Ukraine : des enjeux géopolitiques indéniables, une guerre injustifiable. 1ère partie, 2014-2015, des accords de dupes pour un putsch masqué.
La guerre en Ukraine exige tous les jours son millier de victimes. Elle aurait pourtant pu s’arrêter en mars 2022, des pourparlers de cessez-le-feu ayant été engagés mais qui furent rapidement bloqués. En Occident, la faute est attribuée à la Russie qui ne baisse pas les armes, alors qu’en face on dénonce la volonté occidentale de poursuivre les combats afin d’affaiblir la Russie et de l’obliger à accepter la présence de l’OTAN à ses portes, en Ukraine.
Cette question de l’extension de l’OTAN aux portes de la Russie contemporaine (qui s’est faite en 2 temps : Pologne, République tchèque et Hongrie en 1999, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Roumanie et Bulgarie en 2004) est importante car elle est fréquemment mise en avant par Poutine pour justifier le qualificatif "d’agressive" à propos de l’attitude de l’occident à l’égard de la Russie. « Le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait même déclaré mardi 15 mars [2022] qu’il était temps de "reconnaître" que l’Ukraine ne pourrait pas adhérer à l’Otan. Une concession de taille, alors que le pays réclamait son adhésion à l’alliance militaire depuis plusieurs années. » (Cf. Julie Richard - avec AFP, La Croix, 16/03/2022).
Or s’ « Il n’y a pas eu de traité formel garantissant à l’URSS que l’OTAN ne s’élargira pas », [selon Amélie Zima, chercheuse spécialiste de l’OTAN, au Centre Thucydide, Université Paris 2 Panthéon-Assas et à l’Inserm, reprise dans Libération, Chek News, 2 mars 2022 : https://www.liberation.fr/checknews/lotan-avait-elle-promis-a-la-russie-de-ne-pas-setendre-aux-anciens-pays-du-pacte-de-varsovie] … « Il y a eu des discussions en février 1990 entre le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, James Baker et Mikhaïl Gorbatchev, notamment à propos du statut de l’Allemagne réunifiée et de l’inclusion de la RDA au sein de l’Otan ».
L’expression "pas d’un pouce" fait référence à une déclaration du secrétaire d’Etat James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, lors de ces échanges. Elle est tirée d’un mémorendum américain déclassifié. « Nous comprenons la nécessité de donner des assurances aux pays de l’Est. Si nous maintenons une présence dans une Allemagne qui fait partie de l’Otan, il n’y aura pas d’extension de la juridiction de l’Otan pour les forces de l’Otan d’un pouce à l’Est », aurait-il [James Backer] déclaré, d’après ce document.
Les citoyens européens assistent, médusés, à l’utilisation de leurs impôts pour la fourniture d’armes de plus en plus puissantes, alors que l’Ukraine a épuisé tous ses stocks depuis plusieurs mois. Les estimations des pertes matérielles subies par l’Ukraine depuis l’invasion russe de février 2022, selon le premier ministre ukrainien Denys Shmyhal, s’élèvent à 750 Milliards d’Euros. Le montant des aides financières que le Conseil de l’Union européenne a décidé d’allouer à l’Ukraine pour 2023 s’élève lui à 18 Milliards d’Euros, qui viennent s’ajouter aux 19,7 Milliards déjà versés par Bruxelles à Kiev depuis le début de l’offensive russe (source : Libération 4 février 2023 et Conseil de l’Union européenne, 10 décembre 2022 ; Parlement européen, 24 novembre 2022, citées par Le Monde diplomatique/Manières de voir, N° 188, avril-Mai 2023, page 96).
On attribue à Poutine la volonté de conquérir toute l’Europe, alors que celui-ci a défini des objectifs clairs : démilitariser et "dénazifier" l’Ukraine (Sur ce dernier sujet, fort délicat et fortement controversé, voir le fascicule « Tract Gallimard » de Nicolas Werth, un historien spécialiste de l’URSS puis de la Russie : Poutine historien en chef ; Tract Gallimard N°40, juin 2022. À partir de la page 41, dans le paragraphe « Russie-Ukraine : une guerre mémorielle », Nicolas Werth y aborde cette notion de "dénazification" de manière critique, mais ne masque pas l’erreur commise par de nombreux manifestants durant « la révolution de l’Euro-Maïdan de février 2014 », qui « avaient repris l’un des slogans de l’OUN [Organisation of Ukrainian Nationalists] "Gloire à l’Ukraine, gloire aux héros !" , allant jusqu’à se qualifier, pour certains de "bandéristes" – en référence à Stepan Bandera : pour davantage d’explications, voir plus bas).
À la demande de la Douma et en particulier du Parti Communiste de la Fédération de Russie, il a porté secours aux indépendantistes du Donbass, des populations russophones résidant dans les Oblasts de Donetsk (26 500 Km2 et plus de 4 millions d’habitants avant le conflit) et de Louhansk (26 700 Km2 et plus de 2 millions d’habitants), qui ont été attaquées dès 2014 par les milices ukrainiennes malgré la tenue d’un référendum dans chacun d’eux le 11 Mai (96% de votes favorables à l’indépendance dans l’Oblast de Lougansk et 89% dans celui de Donetsk), suivi des accords de Minsk (5 décembre 2014 puis 11 février 2015).
Ces 2 référendums, à visée plus "autonomistes" que séparatiste au départ, ont eu lieu en parallèle à l'élection présidentielle anticipée d'Ukraine qui s’est tenue le 25 mai 2014, après la fuite du Président ukrainien pro-russe, Viktor Ianoukovytch, le 22 février de la même année (mais la présidentielle n’a pas été organisée dans le Donbass). « En mars 1994 est organisé au Donbass un référendum régional consultatif. 87% des électeurs de la région de Donetsk et 91% de ceux de la région de Louhansk soutiennent l’attribution du statut de seconde langue officielle au Russe » (Cf. Le Monde diplomatique/Manières de voir, op. cit. , page 93.).
Rappelons que cette question épineuse de la langue (le Russe pour les populations de l'Est et du Sud de l'actuelle ukraine, y compris jusqu'à Odessa en forte proportion) est un des points clefs des accords de Minsk ("Minsk II" plus encore que "Minsk I"), pour lesquel le pouvoir ukrainien s'était engagé dans le cadre de ces accords. L'élection présidentielle de 2019 a révélé un vote largement majoritaire pour Volodymyr Zelensky (73,22% des voix sur l'ensemble du pays), et dans toutes les circonscriptions, à l'exception de la région de Lviv frontalière de la Pologne et connue pour être le berceau de "l'idée nationale ukrainienne", qui n'a donné que 24,45% des voix à Zelensky contre 76,55% à Petro Porochenko (voir Michel Foucher, Ukraine-Russie, la carte mentale du duel ; Tract Gallimard N°39, Mai 2022. Se reporter notamment aux cartes des résultats des élections présidentielles de 2004 - pages 38/39, et de 2019 - pages 40/41. Voir également pages 46/47 la carte détaillant les revendications russes sur le Donbass et la "Nouvelle Russie").
Une élection étonnament "plébiscitaire" de Volodymyr Zelensky, y compris à l'Est (exception faite des Oblasts de Donetsk et Lougansk où l'élection n'a pas été organisée, bien entendu), qui s'est faite sur au moins 2 objectifs politiques, aspirations partagés par une grande majorité des citoyens ukrainiens:
- la lutte vigoureuse contre la corruption, l'Ukraine ayant la réputation d'être l'état le plus corrompu d'Europe ... après quelques autres d'Europe centrale ou balkanique.
- la fin de la guerre "russo-ukrainienne" (par Donbass interposé) et la signature de la paix (donc le respect effectif des accords de Minsk), notamment en officialisant définitivement et solennellement les deux langues comme officielles "à parts égales", même si la proportion d'ukrainophones est nettement supérieure à celle des russophones au plan "national". Il semble toutefois que dans des Oblasts de l'Est et du Sud-Est, l'invasion de l'Ukraine par les forces militaires russes ait poussé une proportion non négligeable de la population pourtant russophone à "ne plus parler russe". Proportion toutefois difficile à estimer en cette période trouble.
De même que pour la déclaration de la Crimée en 2014, cette déclaration d’indépendance des 2 républiques du Donbass n’est pas reconnue par l’Occident, alors que vingt ans plus tôt, les forces de l’OTAN ont imposé l’indépendance du Kosovo, sans référendum, en bombardant la Serbie jusqu’à ce qu’elle cède (Voir notamment : Oliver Stone, Conversations avec Poutine, Albin Michell, 2017, cité par Le Monde Diplomatique/Manière de voir, page 95). Deux poids, deux mesures ? Aucun pays n’a le droit d’envahir un autre, mais alors a-t-on jugé et condamné ceux qui ont envahi l’Irak et la Libye ? L’extension de l’OTAN à l’est de l’Europe ne contredit-elle pas les accords passés après le démantèlement de l’Union Soviétique le 26 décembre 1991 ? Passer outre aux accords internationaux, est-ce respecter le droit international ? La diplomatie nord-américaine n’est pas à une contradiction près, dans l’esprit du « Fais ce que je dis et pas ce que je fais ».
A chaque fois que des armes plus sophistiquées sont utilisées du côté ukrainien, la Fédération de Russie répond par des armes encore plus performantes. Elle détruit les drones et les missiles, bombarde les dépôts d’obus et de matériel militaire mis à la disposition de l’armée ukrainienne. Les obus à uranium appauvri, livrés par la Grande-Bretagne ont aussitôt été détruits, ce qui devrait faire réfléchir l’armée ukrainienne (si elle a encore son mot à dire). L’économie russe est à nouveau en croissance. L’armée russe est puissante et bien équipée, les meilleures troupes et les meilleurs matériels n’ont toujours pas été engagés. Pourquoi faut-il que l’occident multiplie les provocations ?
Suite à la volonté exprimée par les dirigeants polonais d’entrer en Biélorussie pour y « défendre les droits de l’homme » et par ce fait reconquérir les territoires abandonnés à l’Union Soviétique en 1945, le camp russe a exprimé son intention d’utiliser contre le Pologne des bombes nucléaires tactiques si cela se produisait.
Ce serait un degré de plus dans l’escalade, pas des moindres. Washington semble en avoir pris conscience et exhorte la Pologne à la modération. Finalement, les néo-conservateurs américains qui ont mis en scène l’opposition ukrainienne au gouvernement pro-russe, et se sont associés au président Joe Biden, pourraient se résoudre à laisser l’Europe s’occuper de l’issue du conflit.
Avec 600 000 kilomètres carrés, l’Ukraine est le plus grand pays d’Europe. Elle n’existe en tant qu’État qu’à partir de 1920, et n’est devenue indépendante qu’en1991. Il existe en fait quatre "Ukraine" :
- L’Est de l’Ukraine, industriel, russophone, ayant très longtemps appartenu à la Russie. On compte 30% de russophones en Ukraine ;
- Le Centre, ukrainophone, qui a très longtemps appartenu à la Russie ;
- L’Ouest, avec la Galicie, ukrainophone, mais ayant appartenu à l’Autriche-Hongrie jusqu’en 1920, puis à la Pologne entre 1920 et 1940 ;
- La Crimée, qui n’était pas une région comme les autres, mais une « République autonome », rattachée [à l’Ukraine] par le bon plaisir de Khrouchtchev en 1954. Elle comprenait une vaste majorité de Russes, et la base militaire russe de Sébastopol.
Sur le plan économique, la situation est très difficile. En 1997, le PIB par habitant est tombé à 50% de celui de 1991, et il n’est remonté qu’à 80% de ce niveau [en 2014, date de publication de cet article] … Du coup, le revenu par Ukrainien est toujours huit à dix fois inférieur à celui d’un Français, quatre fois inférieur à celui d’un Russe et de 40 % inférieur à un habitant de Namibie ou d’Irak… Avec un salaire minimal mensuel de cent euros, le salaire d’un Ukrainien est de 30% inférieur à celui d’un Chinois !
Comme nous le verrons à la fin de cette série, la négociation de paix qui s’annonce devra être soutenue par les peuples européens. Il est temps de les informer honnêtement sur la situation réelle en Ukraine. C’est pourquoi, nous allons effectuer un retour historique qui pourra nous éclairer et nous aider à comprendre les différentes composantes de la société ukrainienne et leurs motivations respectives. (Source : Olivier Berruyer, Ukraine, des vérités qui dérangent, publié dans Humanisme 2014/2, N° 303, pages 5 à 12. Repris par la plateforme en ligne CAIRN; https://www.cairn.info/revue-humanisme-2014-2-page-5.htm)
De plus en plus d’Américains ne croient plus au mythe néo-conservateur de « la guerre non provoquée » (André Damon 12 mai 2023). La déclaration du Norvégien Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN : la guerre en Ukraine « n’a pas commencé en 2022, la guerre a commencé en 2014 » vient confirmer les paroles d’Angela Merkel et de François Hollande pour lesquels les accords ...
- de "Minsk I" (Accords dits de Minsk I du 5 septembre 2014. Ils devaient aboutir à un cessez-le-feu immédiat entre les Républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk d’une part, et d’autre part l’Ukraine, suite à la guerre enclenchée en février 2014 entre ces deux entités. Mais le cessez-le-feu a échoué) et
- de "Minsk II" (Accords dits de Minsk I du 5 septembre 2014. Ils devaient aboutir à un cessez-le-feu immédiat entre les Républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk d’une part, et d’autre part l’Ukraine, suite à la guerre enclenchée en février 2014 entre ces deux entités. Mais le cessez-le-feu a échoué), destinés à protéger les populations du Donbass,
... étaient un prétexte destiné à « rassurer les Russes » et à donner du temps à l’armée ukrainienne pour permettre sa réorganisation et son renforcement notamment par son réarmement (voir plus loin les propos d’Angela Merkel, rapportés par le journal Die Zeit du 7.12.2022).
A part l’envoi d’observateurs neutres, rien n’a été fait pour protéger ces populations russophones de l’est de l’Ukraine, livrées aux exactions des milices, comme l’ont dénoncé en leur temps les fonctionnaires du CSCE, de l’OFPRA, de l’UNHCR et d’Amnesty International. La guerre avait bien lieu contre ces habitants du Donbass. Les milices, puis l’armée régulière ukrainienne, étaient armés par les pays de l’OTAN, les USA, la Grande-Bretagne et le Canada, en particulier, comme l’a confirmé Jens Stoltenberg.
Les déclarations de Victoria Nuland, aujourd’hui sous-secrétaire d’État aux affaires politiques du gouvernement Biden sous la direction du secrétaire désigné, Anthony Blinken, s’adressant à la presse et devant la commission ad hoc du Sénat américain ont confirmé ce que les journalistes et historiens bien informés ont publié depuis 2014. Le putsch de Maïdan qui a renversé le président régulièrement élu a bien été co-organisé par des puissances occidentales. (N.B. : « Numéro 3 de la diplomatie américaine, la sous-secrétaire d’Etat a tenu des propos peu amènes envers l’UE en février 2014, avant l’annexion de la Crimée par la Russie […] Si le secrétaire d’Etat Antony Blinken est logiquement le plus médiatisé, à force de multiplier les rencontres avec les pays de l’OTAN et de l’UE – il a par ailleurs rencontré le président ukrainien à Kiev dimanche –, elle contribue également à façonner le point de vue américain sur la Russie […] Victoria Nuland est chargée de l’Europe et de l’Eurasie au sein du Département d’Etat. On l’a ainsi vue, dès les premiers jours de l’invasion russe, défendre les sanctions américaines et prédire la fin du gazoduc Nord Stream 2. En décembre, elle soulignait déjà : « Nous travaillons sur des mesures inédites. Elles auront des conséquences considérables, des conséquences qui feront mal au peuple russe. » ... rapporte le quotidien helvétique, « Le Temps » (25 avril 2022), dans cet article au titre évocateur : « Qui est Victoria Nuland, la madame Ukraine de Joe Biden ? ». (https://www.letemps.ch/monde/victoria-nuland-madame-ukraine-joe-biden)
Victoria Nuland a déclaré que les USA avaient investi plus de 5 milliards de dollars pour obtenir que soit élu un président favorable à l’entrée de son pays dans l’OTAN. Pour cela il fallait destituer le président Victor Ianoukovitch, mission effectuée par les milices Azov et Pravy Sektor, selon les déclarations de leurs dirigeants respectifs. (N.B. : "Secteur Droit" est un parti politique ultranationaliste fondé en tant que confédération paramilitaire en novembre 2013, au moment des évènements dits "Euromaïdan" du 21 novembre 2013 au 22 février 2014, dont l’UNA-UNSO. Fondée en 1990 l'UNA-UNSO se réclamait de l’Armée Insurrectionnelle Ukrainienne - UPA, formée en octobre 1942 et dont les membres jurèrent fidélité au IIIème Reich au château du Wavel à Cracovie, l’Allemagne nazie y étant représentée par le Gouverneur Général de Pologne, Hans Franck. L’UNA-UNSO fut dirigée entre-autre par Stepan Bandera. "Secteur droit" s’est structuré en parti politique dès mars 2014. Pour davantage de précisions sur le rôle de Stepan Bandera et de l’organisation OUN - Organisation of Ukrainian Nationalists - qu’il dirigeait, voir l’article de la revue « Humanisme » ci-dessus mentionné, au paragraphe : « Le nationalisme néonazi ukrainien »).
Accusé d’avoir accepté l’offre économique de la Russie, très avantageuse, plutôt que celle de l’UE et donc de l’OTAN, le président Ianoukovitch était menacé de mort et avait dû se réfugier dans le Donbass. La plupart des députés qui lui étaient favorables se sont enfuis ou ont "retourné leur veste". Le Parlement était désormais en mesure de prendre des initiatives favorables à l’Occident. On ne peut s’empêcher de penser à la méthode utilisée par Hitler en 1933 pour obtenir un Reichstag qui lui soit favorable.
Les moyens techniques d’aujourd’hui ont permis d’enregistrer une conversation téléphonique de Victoria Nuland, qui a eu lieu au moment du putsch et au cours de laquelle elle recommandait de mettre au pouvoir « Yats » (Iatséniouk, devenu premier ministre) plutôt que Vitali Klitschko (Vitali Klitschko n’est autre que l’actuel maire de Kiev, élu depuis 2014 et ancien champion du monde poids lourd de boxe, comme son frère Wladimir) que les Allemands voulaient imposer, puisque la CDU le finançait depuis plusieurs années. (N.B. : Sur cette notion controversée de « putsch » en Ukraine en 2014, voir le Blog de J-L Mélenchon : L’Ukraine, nouvelle frontière américaine. http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/02/25/de-nantes-a-florange-le-temps-des-degouts/#article3)
Le « Fuck the EU » (« l’UE n’a qu’à aller se faire voir », selon la traduction du quotidien Le Temps) prononcé dans cette conversation faisait allusion au plan franco-allemand qui proposait de donner le pouvoir à des personnalités plus modérées et moins ouvertement néo-nazies. L’existence de ce plan expliquerait la présente à Kiev, la veille du putsch, de Laurent Fabius, premier ministre et de Pierre Moscovici, ministre français des Affaires Etrangères.
Et les Américains ont eu le dernier mot en février 2014, puisque le pouvoir armé était aux mains des milices formées en Pologne et Lituanie au cours des années précédentes. Que ces milices soient composées et dirigées par des néo-fascistes notoires ne gênait en rien le pouvoir US. Victoria Nuland est une personnalité politique proche des néo-conservateurs américains qui sont farouchement anti-russes (N.B. : Elle est par ailleurs l’épouse du politologue et historien néoconservateur Robert Kagan, qui a pourtant quitté le Parti républicain en 2016, en dénonçant le «fascisme» de Donald Trump (Cf. Le Temps, : « Qui est Victoria Nuland, la madame Ukraine de Joe Biden ? »).
A la suite de Maïdan et du putsch, puis de la nomination d’un premier ministre ultranationaliste Iatséniouk (Arseni Iatséniouk avait notamment déclaré au micro de la chaîne de télévision allemande ARD, le 8 janvier 2015 : « Nous nous souvenons tous de l’invasion de l’Ukraine et de l’Allemagne par l’URSS [en 1945]. Nous ne devons pas permettre à nouveau cela ». Cf. l’article qui lui est consacré sur Wikipedia) et du ministre de l’Intérieur Arsen Avakov, les néofascistes de Svoboda et de Pravy Sektor sont entrés en force au gouvernement (N.B. : Quoique plus nuancé, l’article du Monde Diplomatique de mars 2014 décrit cette imbrication trouble entre les milieux nationalistes ultras, voire d’extrême-droite, et les évènements de la place Maïdan puis leur introduction importante à la Rada - le parlement d’Ukraine : lire « En Ukraine, les ultras du nationalisme » par Emmanuel Dreyfus (le titre est modifié dans « Manière de voir » N° 188, pages 38-40, devenant « Les ultras du Maïdan »).
Dans les mois qui suivirent, de nombreux chefs de la police, de gouverneurs et de maires ont été remplacés par des personnalités proches ou dirigeantes de l’extrême-droite ultranationaliste ou néofasciste (Cf. Le Monde diplomatique/Manières de voir N° 188, mai-juin 2023, op.cit. ; le numéro consacre son chapitre 4 aux « Habits noirs des nationalismes » en plusieurs articles dont ceux de Jean-Marie Chauvier, l’un faisant le point « Sur les traces de Bandera » : cf. page 50).
Dans le même temps, les milices faisaient régner la terreur partout où elles se sentaient en force. La police officielle étant tenue de se soumettre depuis l’injonction de Maidan "de laisser faire", prononcée par Victoria Nuland. Dans le Donbass en particulier, elles avaient toute latitude pour séquestrer, torturer, exécuter, sans craindre de devoir se justifier. Plusieurs rapports d’Amnesty International en ont rendu compte.
Refusant le gouvernement putschiste, excédés des exactions des milices (l’armée régulière y a peu participé en 2014), les habitants du Donbass ont organisé la résistance et fait appel à la Russie. Selon l’ONU, près de 14 500 personnes (civiles et militaires et des 2 côtés, dont plus de 3 400 civils) sont décédées entre 2014 et 2021 dans la région du Donbass (Source : Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, 27 janvier 2022. Rapporté par Le Monde diplomatique/Manières de voir, « Ukraine jusqu’où l’escalade ? », Mai-Juin 2023, encarté page 95.
Alors qu'au début 2022 Kiev avait rassemblé plus de 150 000 hommes pour "réduire le Donbass" (Note : les rapports de l’OSCE font mention de ces importants mouvements de troupes en février 2022), certains affirment que cela n’a rien à voir avec la décision prise par le pouvoir russe d’envahir l’Ukraine le 24 février 2022. Ce qui est étonnant c’est que la décision n’ait pas été prise dix ans plus tôt, dès 2014. Moscou a peut-être eu la naïveté de croire en la sincérité occidentale dans les Accords de Minsk 1 et Minsk 2.
Depuis, Angela Merkel et François Hollande, les dirigeants allemand et français de l’époque, ont révélé que c’était une duperie. ("5 avril 2023. Les accords de Minsk étaient un stratagème pour stopper l’intervention russe dans le Donbass. Il n’était pas question de les faire appliquer. Hollande confirme les déclarations de Merkel. De plus, Hollande déclare que Maidan a bien eu lieu sous les auspices de Porochenko et Klitchko: Accords de Minsk : François Hollande se confie à son insu aux imitateurs russes Vovan et Lexus" : https://francais.rt.com/international/105302-accords-minsk-francois-hollande-se-confie-son-ainsu-imitateurs-russes-vovan-et-lexus).
Et que l’occident n’a jamais bougé le petit doigt pour défendre les populations du Donbass à qui on avait promis une certaine autonomie (dont une autonomie linguistique par la reconnaissance du Russe comme seconde langue officielle) et la protection, face aux massacreurs néonazis, venus de l’ouest ukrainien et de quelques pays européens. Rappelons l’article de "Die Zeit" du 7 décembre 2022 qui rapporte les propos de l’ancienne chancelière Angela Merkel : « Les accords de Minsk en 2014 constituaient une tentative de donner du temps à l’Ukraine. Celle-ci a profité de ce temps pour devenir plus forte, comme on le voit aujourd’hui. L’Ukraine de 2014-2015 n’est pas l’Ukraine d’aujourd’hui. Comme on l’a vu avec la bataille de Debaltseve début 2015 [un nœud ferroviaire du Donbass dans la région de Donetsk, reconquise par les séparatistes en février 2015], Poutine aurait pu facilement la déborder à l’époque. Et je doute fort que les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord auraient pu faire à l’époque ce qu’ils font aujourd’hui pour aider l’Ukraine » (In Le monde diplomatique/Manières de voir, op. cit. , page 94. Voir également : 28 dec22 Angela Merkel admet que les accords de Minsk n’ont été signés que pour donner du temps à l’Ukraine de renforcer l’armée. https://www.legrandsoir.info/angela-merkel-admet-que-les-accords-de-minsk-n-ont-ete-signes-que-pour-donner-du-temps-a-l-ukraine.html. En contradiction avec les accords de Minsk).
A plusieurs reprises le parti communiste de la Fédération de Russie a publié des communiqués exhortant le président Poutine à protéger "les frères" du Donbass. Or le PC de Russie fait partie de l’opposition à Poutine, ce qui montre que la décision de Poutine était souhaitée en Russie. Il est donc mensonger de prétendre que le président était la seule force politique à avoir décidé d’intervenir dans le Donbass. On ne peut dès lors lui reprocher d’avoir anéanti l’aviation ukrainienne pour protéger l’avancée des troupes russes.
Cependant, on ne peut cautionner pour autant le fait d’envahir un pays voisin dont les frontières ont été reconnues par toutes les nations concernées et les instances internationales, même si l’on peut comprendre les raisons de cette intervention (toujours officiellement qualifiée par la Russie de Poutine d' "opération spéciale", alors qu'il s'agit bien d'un acte de guerre). Les forces nord-américaines, sans l'aval de l'ONU et malgré plusieurs oppositions dont celle du gouvernement français n’ont pas hésité à envahir l’Irak sur des preuves créées de toutes pièces (en ardent défenseur de "la voie diplomatique", Dominique de Villepin s'y était ferment opposé devant le Conseil de Sécurité des Nations Unis à New-York, le 14 février 2003). Les forces de l'OTAN, sous les directives des Etats-Unis d'Amérique, n'avaient pas hésité à bombarder Belgrade en avril 1999 ("opération force alliée") et 78 jours durant, de mars à juin, dans le cadre du conflit entre la Serbie et le Kosovo mais également pour imposer à la République Fédérale de Yougoslavie un droit de passage absolu pour les personnels et matériels de l'OTAN à travers la totalité de son territoire, violant ainsi plusieurs lois et conventions internationales. Pour quels motifs ? Avec quels résultats ? Le seul qui soit visible, ce sont les puits de pétrole qui sont désormais aux mains de grandes firmes occidentales. Faut-il conclure au "deux poids, deux mesures", une fois de plus ?
(A suivre)