Collectivité Européenne d’Alsace : danger ! Un leurre peut cacher une volonté … de destruction.
On nous l’affirme à chaque contre-projet de « rénovation » des collectivités territoriales de notre région : les alsaciens auraient un « désir d’Alsace » inassouvi !
C’est du moins ce que prétendent les élus de nos deux départements. D'où le projet-de-loi à nouveau sorti de leur chapeau (ils n’en manquent guère… et veulent nous les faire avaler sans sourciller !) portant sur la création d'une nouvelle entité territoriale au nom pompeux, la dynamique … Collectivité Européenne d’Alsace (CEA, un sigle atomique !) aux effets prévisibles pourtant destructeurs.
Ce projet de loi vient d’être débattu au Sénat et passera pour première lecture devant l’Assemblée nationale, courant juin. Au sénat, il a donné lieu à la publication suivante (cf. https://www.publicsenat.fr) :
« Les contours de la future collectivité européenne d'Alsace en débat au Sénat »
Assouvir le "désir d’Alsace", c’est l’ambitieux objectif poursuivi par le projet de loi Collectivité européenne d’Alsace. Un texte trop timoré pour les sénateurs qui entendent renforcer ses compétences lors de l’examen du texte cette semaine au Sénat. (Par Helena Berkaoui, 1er avril 2019) »
Un projet qui fut annoncé l’an passé (29.10.2018) par le 1er ministre Edouard Philippe, et devant entrer en fonction au 1er janvier 2021.
Rappelons qu'en 2013 une consultation référendaire portant sur leur unification avait déjà été organisée sur les deux départements.
C'était donc bien avant 2016 et la mise en application de la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe du 07 août 2015), qui eut notamment pour conséquence d’effacer la région Alsace en la fondant dans une « grande région » (Grand’Est), aux contours effectivement sans justifications historiques ou culturelles, et même économiques.
Or ce projet de « Conseil Unique d’Alsace », datant du début des années 2010 (sous l’impulsion notamment de Philippe Richert, alors ministre délégué chargé des collectivités territoriales et président de la région « Alsace »), prévoyait déjà une fusion des 3 entités, les 2 départements et la région. Un projet concocté et présenté par des édiles locaux … certains de la validation de celui-ci par les citoyens des deux départements, au motif déjà proclamé d’un « grand désir d’Alsace forte et puissante de son homogénéité » !
Consultée par voie référendaire la population avait rejeté sans équivoque le projet de fusion/dissolution (7 avril 2013).
En effet, pour que la fusion des deux départements et leur dilution totale dans la Région puissent se faire, l’exigence à remplir (fixée par ces mêmes édiles locaux, sûrs de leur coup et entendant ainsi se glorifier d’un véritable « plébiscite ») était double (condition dite « de double majorité ») :
- une majorité absolue dans chacun des deux départements : ce ne fut pas le cas dans le Haut-Rhin où 55,74% des bulletins exprimés se sont portés sur le « NON » !
- un taux de participation suffisant pour que le « oui » soit au moins égal à 25% des inscrits, et ce dans chaque département. Ce qui ne fut pas le cas non plus dans le Bas-Rhin, la très forte abstention (64,89%) n’ayant pas permis au « oui » majoritaire (67,53% des exprimés) … d’atteindre les 25% des inscrits (22,08% seulement) !
Au total et sur les deux départements seuls 20,05% des électeurs inscrits s’étaient exprimés en faveur de la fusion-dilution (vote OUI), un des 2 départements s’étant clairement prononcé CONTRE sa propre disparition.
Comment analyser la très forte abstention (64,04% sur l’ensemble, légèrement plus forte dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin) ? Peut-être par un manque d’enthousiasme général pour ce bouleversement, qui a visiblement été vécu bien plus négativement par le département du sud que par celui du nord … qui devait abriter la « capitale » de la nouvelle entité unique. Visiblement, une leçon non comprise, en tout cas non apprise !
Là encore, comme après 2005 sur l’ensemble de la République où les français ont voté NON (et tout aussi majoritairement que dans le Haut-Rhin en 2013) et rejeté par la grande porte (près de 70% de taux de participation) le « projet de Traité Constitutionnel Européen » … qui leur est revenu par la fenêtre sous la forme de la transcription quasi intégrale dans le Traité de Lisbonne de 2008 : on s’assoit dessus !
Pour nos "élites" les référendums n'ont donc aucune valeur ... dès lors que les résultats ne leur conviennent pas. Il s’agit bien d’un déni de démocratie exprimé à l'encontre du Peuple.
Pourquoi tant d’acharnement à revenir sur une réponse claire donnée par les citoyens, voici six ans ?
Que cachent les discours des ministres et des élus au moment où les dotations budgétaires aux collectivités territoriales se réduisent comme peau de chagrin ? À un moment où le gouvernement accélère la casse des services publics, complétée par le coup de rabot des statuts qui y sont associés, notamment en engageant une baisse drastique du nombre de fonctionnaires. C’est ce qu’a en effet déclaré, fin janvier 2019, Olivier Dussopt, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics : il a affiché l'objectif de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires d'ici à la fin du quinquennat, et ce moins grâce aux efforts de l'État (-15000 fonctionnaires/an jusqu’en 2022) qu'à ceux des collectivités locales !
Y aurait-il un lien logique (donc profondément politique) entre cette boursoufflure institutionnelle locale et le processus de "métropolisation", le tout dans le cadre de l'UE dans ses traités actuels et accentués par le Traité d'Aix-la-Chapelle ?
Voici donc la première (contre) réforme représentant l’un des gisements de ces « économies de moyens publics » ! La nouvelle collectivité (CEA) ferait en effet disparaître, de fait, les deux conseils départementaux et leurs administrations (L’article 4 précise que « la collectivité européenne d’Alsace succède aux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin dans tous leurs droits et obligations, et qu’elle leur est substituée au sein des structures » …) en transférant leurs compétences vers cette nouvelle structure créatrice « d’économies liées à la mutualisation des services et des moyens ». Les 5984 agents des deux départements « resteront dans leurs lieux de travail s’ils le souhaitent ». Il serait donc bien envisagé … de les déplacer !
Ajoutons au sommet de cet édifice … le traité d’Aix la Chapelle (22 janvier 2019), signé entre Macron et Merkel en dehors de toute consultation de nos institutions.
Dans son chapitre sur la coopération régionale et transfrontalière, Celui-ci stipule que « Les deux Etats reconnaissent l’importance que revêt la coopérations transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne pour resserrer les liens entre les citoyens et les entreprises de part et d’autre de la frontière, notamment le rôle essentiel des collectivités territoriales et autres acteurs locaux à cet égard. Ils entendent faciliter l’élimination des obstacles dans les territoires frontaliers … ». Et de préciser « …les deux états dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économiques, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports. Si aucun autre moyen ne leur permet de surmonter ces obstacles, des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. Dans ce cas, il revient aux deux Etats d’adopter la législation appropriée » (Article 13 § 1 et 2, la fin du § 2 est par nous soulignée).
L’article 20 dudit traité ne peut que nous inquiéter :
« (1) Les deux États approfondissent l’intégration de leurs économies afin d’instituer une zone économique franco-allemande dotée de règles communes. Le Conseil économique et financier franco-allemand favorise l’harmonisation bilatérale de leurs législations, notamment dans le domaine du droit des affaires, et coordonne de façon régulière les politiques économiques entre la République française et la République fédérale d’Allemagne afin de favoriser la convergence entre les deux États et d’améliorer la compétitivité de leurs économies.
(2) Les deux États instituent un « Conseil franco-allemand d’experts économiques » composé de dix experts indépendants afin de présenter aux deux gouvernements des recommandations sur leur action économique. » (Toujours par nous souligné).
Bien sûr, le §3 stipule que « les deux états demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociales, de la santé et de la sécurité, ainsi que de la protection de l’environnement ». Mais il omet de préciser quelle est l’envergure précise de ces « normes strictes » ! Dans le domaine du droit du travail par exemple, sont-ce les normes de type « Ein Euro Job » et les normes à la « loi Hartz » édictées sous le gouvernement Schroeder ?
Quant aux normes environnementales, la référence à « l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 » est bien précisée à nouveau dans l’article 18, mais ne nous donne aucune garantie de prises de dispositions réelles allant dans ce sens. En effet, le 4 février dernier, le projet de loi « énergie » adressé pour avis au Conseil économique, social et environnemental (CESE) a laissé apparaître que le gouvernement s'apprête à supprimer discrètement le code de l'énergie en sacrifiant un des objectifs majeurs de la politique énergétique et climatique de la France : la réduction par quatre des émissions de gaz à effet de serre du pays d'ici à 2050. Un objectif pourtant inscrit dans la loi au début des années 2000 (source : Le Figaro, 08 février 2019). Il n’est plus fait mention que d’ « aller vers la neutralité carbone à l’horizon 2050. », soit à cette date mais à celle-ci seulement, atteindre l’objectif d’une société qui n'émettrait pas plus de gaz à effet de serre que sa capacité à en absorber. Quid de leur production (accumulée) dans l’espace-temps de ces trente-deux années ?
Quant à l’article 14, il n’est pas fait pour nous rassurer !
« Les deux États instituent un comité de coopération transfrontalière […] chargé de coordonner tous les aspects de l’observation territoriale transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne […], d’assurer le suivi des difficultés rencontrées dans les territoires frontaliers et d’émettre des propositions en vue d’y remédier, ainsi que d’analyser l’incidence de la législation nouvelle sur les territoires frontaliers. »
Il est donc clairement fait référence dans ce Traité d’Aix-la-Chapelle de possibilités de législation nouvelle sur le territoire « transfrontalier », qui pourraient déroger à la législation nationale française et notamment, vraisemblablement, dans le cas du droit du travail. Comme le démontre le précédent de l’aéroport de Bâle/Mulhouse, par exemple ?
Ainsi, le projet de loi concernant la collectivité européenne d’Alsace venant d’être adopté au Sénat, et qui sera présenté prochainement à l’Assemblée nationale, veut servir au gouvernement d’exemple. Ou de champ d’expérimentation dans le cadre de la mise en application du traité d’Aix-la-Chapelle.
Le projet de loi « CEA » y fait explicitement référence : « Le traité de l’Elysée entre les parties françaises et allemandes sera également le cadre d’avancées en matière de coopération transfrontalière, au bénéfice notamment de la collectivité européenne d’Alsace. Une représentation transfrontalière préfet de région – président de région sera mise en place dans le cadre d’une responsabilité diplomatique expérimentale à l’échelle régionale. Dans le cadre de son chef de filât, une représentation transfrontalière préfet de région – président de la collectivité européenne d’Alsace sera expérimentée à l’échelle du Rhin supérieur » (Exposé des motifs, bas de page 2)
Il s’agira, de permettre (en Alsace, puis ailleurs) le contournement des droits nationaux, le Code du travail et les statuts de la fonction publique, au nom de l’exception « transfrontalière ». En définitive, la mise en place de ce projet de territorialisation particulière nous indique quelle sont les orientations de la volonté gouvernementale, d’atomisation de l’égalité et de l’unicité des droits liés aux acquis et aux conquêtes sociales.
La mise en place de ce type de démarche appliquée à un territoire de taille restreinte équivaut aussi au retour des provinces d’ancien régime, celles d’avant la Révolution française. Car c’est bien la « grande révolution » qui engendra les départements, maillage administratif de proximité, après la commune.
Comme lors de la campagne de 2013, nous assistons à une même profusion d'arguments fallacieux destinés à nous enfumer, pour nous vendre une marchandise … avariée.
Dans une Lettre Aux Alsaciens publiée en pleine page dans nos deux journaux régionaux, signée par nos deux Présidents Départementaux, on a pu lire qu’à la date du 29 octobre, la déclaration commune signée entre le gouvernement et les "élus alsaciens" s'inscrit en faveur de la création de la « Collectivité Européenne d'Alsace », dans... une semaine historique pour l'Alsace ! Quelle histoire !
Nous aurions enfin les mains libres... pour l'emploi, la solidarité, la transition énergétiques ; des déplacements facilités, le développement de tous les territoires, la réussite éducative et l'épanouissement de la jeunesse et, tenez-vous bien, pour revenir à nos ... plaques d'immatriculation.
Tout un programme !
Une chose est certaine : il faudra se souvenir de tout cela dans un mois, le dimanche 26 Mai, au moment de l'élection pour l'envoi de députés de combat au Parlement européen, qui siège ... à Strasbourg !
Article rédigé en association avec le PG68 sous la plume de Bernard Enggasser.
Un article va suivre sur la thématique de "la métropolisation" qui est, bien entendu, intiment liée à ce projet de "CEA", aussi peu démocratique qu'il est mégalomaniaque !
La démocratie en confettis (extraits du « post » publié par Jean-Luc Mélenchon lundi 29 avril 2019 sur son blog, L’ère du Peuple). Ce complément d'information apporté par l'analyse de Jean-Luc Mélenchon permet de mieux saisir (si besoin est) l'envergure de l'attaque à laquelle nous allons être exposés en Alsace, comme cobayes !
Macron ressort aussi son « pacte girondin ». Là encore, ce n’est rien de nouveau. On en reste au contenu de sa révision constitutionnelle à l’arrêt depuis cet été. Le but est de créer des collectivités locales « à la carte » et de permettre des lois locales dérogatoires à celles votées au niveau national. Le résultat de telles idées est connu : c’est la compétition entre les collectivités et une course vers le bas. On imagine bien la concurrence malsaine qui s’exercerait du moment que l’on donnerait aux collectivités la possibilité d’édicter leur propre loi sur les domaines sociaux ou environnementaux. Par ailleurs, c’est en contradiction totale avec les principes républicains d’unité et d’indivisibilité de la loi. La loi est, dans la tradition républicaine, l’expression de la volonté générale du souverain : le peuple. Celui-ci n’est pas réductible à une addition de communautés, eussent-elles un fondement géographique. Dans la Nation, l’égalité de tous devant la loi prévaut. Qu’on soit à Marseille, à Lille, à Brest ou à Strasbourg, on est soumis à la même loi car on appartient au même peuple. Comment un principe aussi élémentaire et aussi fondateur pourrait-il être remis en cause sans autre forme d’interrogations sur ses fondements ni sur son impact sur la forme républicaine de notre État ? (les passages en gras sont par nous soulignés)