L'affaire " STOCAMINE " (1ère Partie : une histoire minée...)
Stocamine est le nom d’une entreprise, créée en 1991 puis dissoute en 2014, originellement filiale de la société des Mines de Potasse d’Alsace ("MDPA" : Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mines_de_potasse_d'Alsace) et dont la raison sociale était de mettre en œuvre le projet, apparu à la fin des années 1980, d’utiliser des galeries de mines de potasse désaffectées pour y stocker, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, des déchets toxiques ultimes, de "classe 0" (arsenic, chrome, mercure ...) et de classe 1 (REFIOMS ou "Résidus d'Épuration des Fumées d'Incinération des Ordures Ménagères.", amiante, mâchefer - résidu solide d'incinération des ordures ménagères ou du charbon dans les centrales thermiques ou les hauts fourneaux).
Cette contribution présente tout d'abord un historique de ce dossier (L'affaire STOCAMINE, 1ère partie), suivi de quelques réflexions générales sur les enseignements que l’on peut tirer de l’enchaînement d’événements nombreux et variés liés à Stocamine, étalés sur plusieurs décennies (L'affaire STOCAMINE, 2ème partie).
des MDPA (Mines de potasse d’Alsace) ...
Le bassin potassique d'Alsace, situé au nord-ouest à une dizaine de kilomètres de Mulhouse, a été découvert, assez fortuitement, au début du XXème par une dénommée Amélie Zurcher, laquelle espérait trouver plutôt du charbon. Deux couches de sel étaient présentes, distantes l'une de l'autre d'une vingtaine de mètres, se situant à des profondeurs de 400 à 1100 mètres. Une première couche de deux mètres d’épaisseur contenait 40% de chlorure de potassium ; la seconde, d'une épaisseur de cinq mètres en contenait 30%. Le complément à cent de la concentration en chlorure de potassium était essentiellement constitué de chlorure de sodium. L'utilisation principale de la potasse est d'entrer dans la composition des engrais de l'agriculture intensive. Les limites des veines rentables ont été établies entre 1904 et 1910 par de nombreux sondages et l'exploitation par une compagnie allemande a commencé à la suite.
Après 1918, l'État français prend le contrôle des mines, l'exploitation s'intensifie progressivement jusqu'à son apogée entre 1950 et 1960, avec un effectif maximal de mineurs de l'ordre de 15 000 personnes, ce qui montre l'ampleur de l'activité économique et sociale associée à cette ressource du sous-sol. On entre ensuite dans une période où des puits sont abandonnés (première fermeture dès 1954) pendant que des nouveaux sont mis en service (dernier puits ouvert en 1973). Dans les années 80, les fermetures sont de plus en plus nombreuses, le déclin est progressivement de plus en plus sensible et l'exploitation se clôt définitivement avec la fermeture du dernier puits à Berrwiller en 2001. 567 millions de tonnes de minerai brut de potasse (140 millions de tonnes de chlorure de potassium pur), auront été extraites du sous-sol alsacien pendant un siècle d'activité (Cf : https://www.mdpa-stocamine.org/lhistoire-des-mines-de-potasse-dalsace). [N.B. La phrase précédente passe sous silence les problèmes liés à la gestion du sous-produit du minerai, le chlorure de sodium, longtemps rejeté dans le Rhin et à l'origine d'un contentieux juridique de longue haleine avec la Hollande et la ville d'Amsterdam (Cf : https://www.persee.fr/doc/rjenv_0397-0299_1986_num_11_2_2138?q=Potasse%20d%27Alsace/), sujet intéressant en soi mais hors du champ de cet article.]
à STOCAMINE
C'est dans ce contexte de perte d'activité d'un bassin minier, avec son cortège de reconversions individuelles plus ou moins satisfaisantes et de chômage, qu'apparaît à la fin des années 1980 le projet de stockage de déchets, provisoire à l'origine, dans des galeries désaffectées. La société Stocamine est créée à cette fin. Le schéma ci-dessous montre la localisation du stockage (schéma reproduit avec l'aimable autorisation du collectif Destocamine : https://destocamine.fr/) sous la nappe phréatique d'Alsace, à l'aplomb des puits Joseph et Else, à Wittelsheim (Haut-Rhin).
DATES ET EVENEMENTS CLEFS DU PROJET STOCAMINE (hormis la lutte contre l'enfouissement traitée dans le paragraphe suivant. Remarque : cet historique s'appuie essentiellement sur l'information disponible sur le site du collectif "Destocamine")
Mai 1989 : Les MDPA dévoilent le projet d'enfouissement de déchets.
13 juillet 1992 : La loi Barnier (Loi N° 92-646) relative à l'élimination des déchets et aux installations classées pour la protection de l'environnement, impose la réversibilité du stockage.
1996 : Promesse des promoteurs du projet de création d'une centaine d'emplois (27 emplois effectifs en 2022) et d'un pôle "environnement" sur le site (qui n'existe toujours pas).
3 février 1997 : Autorisation par arrêté préfectoral de l'activité de stockage par l'entreprise Stocamine pour une durée maximale de 30 ans et obligation pour l'exploitant de provisionner le coût du déstockage.
10 février 1999 : Descente des premiers colis de déchets.
22 juin, 18 aout et 30 novembre 1999 : Tentatives (infructueuses) de descendre des déchets radioactifs. On constate ensuite que Stocamine essaie et parvient parfois à stocker toutes sortes de déchets non prévus par les autorisations initiales.
27 juin 2001 : On apprend que 50 tonnes de déchets souillés au pyralène ont été descendus en toute illégalité (Le pyralène est le nom commercial de produits de la famille des polychlorobiphényles, hautement toxiques, interdits en France depuis 1987 et produits par l'entreprise Monsanto) . Le préfet ordonne leur déstockage.
30 aout 2002 : Une nouvelle tentative de stockage illégal concernant des déchets mal conditionnés, mouillés et dégageant de fortes odeurs est constatée (empêchée par une intervention des associations directement sur le site).
10 septembre 2002 : A cette date, se produit l'évènement majeur qui provoquera l'arrêt de l'activité de stockage : l'incendie dans un des secteurs d'entreposage au fond, le "bloc 15" selon la nomenclature en usage sur le site (photo ci-dessous reproduite avec l'aimable autorisation du collectif Destocamine : https://destocamine.fr/)
La cause du sinistre n'a pu être établie avec certitude en raison de l'imprécision sur la nature des déchets entreposés dans la mine, là encore descendus en contrevenant au cahier des charges défini dans l'arrêté préfectoral du 3 février 1997. On a invoqué une réaction de fermentation, favorisée par la température de plus de trente degrés régnant naturellement à cette profondeur, dans un mélange complexe de résidus d'engrais organiques et de pesticides.
Il a fallu six semaines d'efforts à des équipes de pompiers spécialisés pour maitriser l'incendie, période au cours de laquelle 12 000 m3 de fumées toxiques (contenant dioxines, acides chlorhydrique et cyanhydrique, acétaldéhyde, benzène, ...) ont été libérées dans l'atmosphère. L'incendie a eu pour conséquence l'arrêt de tout enfouissement supplémentaire. A noter aussi que l'incendie a dégradé l'environnement immédiat du foyer et fortement pollué le sel de la galerie ce qui rajouterait 1800 tonnes de déchets supplémentaires à ceux qui ont été descendus volontairement.
Stocamine et son directeur ont été jugés et condamnés pour cet évènement, à des peines dérisoires selon les opposants, par rapport au désastre provoqué par le non-respect du cahier des charges. L'entreprise "Séché Environnement", acteur spécialisé dans le traitement des déchets (https://www.groupe-seche.com/), connue à Strasbourg à travers sa filiale "Trédi" (https://www.groupe-seche.com/implantations/tredi-strasbourg), entrée au capital de Stocamine pour faire "gérer" ses déchets, s'est éclipsée sur la pointe des pieds après le sinistre sans être inquiétée. Les déchets non conformes stockés frauduleusement provenaient pourtant d’une usine de son groupe.
Mécanisme redouté de remontée de la saumure polluée vers la nappe phréatique (toujours avec l'aimable autorisation du collectif "Destocamine")
En un peu plus de trois ans et demi (10 février 1999-10 septembre 2002), 44 000 tonnes de déchets (sur les 320 000 tonnes autorisées par l'arrêté initial) auront été stockés à 600 mètres sous la surface du sol.
10 mars 2006 : Le député du Haut-Rhin Michel Sordi (UMP) fait voter le décret mettant fin à l'obligation de réversibilité du stockage souterrain, permettant, de fait, l'abandon définitif des produits toxiques dans la mine.
2°) Le "Problème STOCAMINE" : un risque majeur d'ennoyage dû à un phénomène de convergence des galeries de mine !
S'ouvre alors une longue période de tergiversations, de débats, de consultations, d'expertises et de batailles juridiques à propos des deux options existantes pour régler définitivement le "problème Stocamine" : laisser les déchets au fond en les confinant dans le béton ou tout remonter, trier et traiter ce qui doit l'être (l'option "déstockage", soutenue par le mouvement associatif) (et quelques scénarios intermédiaires où seuls des déchets solubles parmi les plus dangereux, ceux contenant du mercure notamment, seraient remontés).
Le risque majeur de l'option "confinement" serait que les espaces de stockage soient progressivement envahis par les eaux souterraines ("ennoyage"), lesquelles se chargeraient de polluants hautement toxiques et seraient repoussées vers le haut par le phénomène de "convergence" des galeries de mine (les vides souterrains tendent à se combler), dû à la pression et aux mouvements naturels de la croute terrestre (éventuellement favorisés par l'activité sismique du bassin rhénan), polluant ainsi l'énorme réservoir d'eau potable de la nappe phréatique du Rhin.
Il est évident dès le départ que l'option "déstockage" est incomparablement plus complexe et couteuse que le "confinement définitif" (les coûts respectifs sont dans un facteur 3 à 4 pour des ordres de grandeur de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'euros) et que cette dernière aura la préférence de l'Etat. Les coûts évoqués ici négligent, bien entendu, ceux qui résulteraient d'une pollution massive de la nappe.
Décembre 2012 : Dix ans après l'incendie, la pression des associations et des élus locaux amène à la proposition de la ministre de l'environnement du début du mandat Hollande, Delphine Batho, de déstocker un peu plus de 2000 tonnes de déchets mercuriels solubles, reconnus comme les plus dangereux pour la nappe phréatique mais de confiner définitivement tout le reste (soient 42 000 tonnes). Cette position de l'État ne variera plus jusqu'à nos jours. De son côté, le monde associatif ne démord pas de sa demande de déstockage total. Depuis lors, ces deux positions antagonistes sont figées.
Fin 2014 à mi 2017 : mise en œuvre du déstockage des déchets mercuriels et transport vers le site de Sondershausen. Le choix de cette mine en Allemagne n'a pas été compris par les opposants, celle d'Herfa-Neurode (site spécialisé qui accueillait déjà les déchets de classe 0 avant l'ouverture de Stocamine puis après l'incendie de 2002) semblant plus pertinent. A l'occasion de la manipulation des colis pour sortir ceux qui contiennent du mercure, 180 tonnes de zirame (fongicide neurotoxique) sont découvertes et extraites également. Lors de ce déstockage partiel, des quantités de fûts ont été déplacés puis remis en place. Pourquoi n’en a-t-on pas profité pour les sortir ?
Une quantité impressionnante de rapports techniques (134, selon Lisa Claussmann dans sa thèse de doctorat sur l'affaire Stocamine : Cf. "L'affaire Stocamine. Entre expertise scientifique et action publique, le difficile stockage souterrain de déchets dangereux." Doctorat Université Paris Cité. Décembre 2023) d'évaluation des options principales et des variantes a été produite depuis les années 1990 par des organismes publics et des entreprises de consultants français et étrangers : BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et minières), INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) , ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), Curium (Gestion des risques environnementaux majeurs), Ercosplan (https://www.ercosplan.com/), Socotec (https://www.socotec.fr/) ... il est impossible de les citer tous.
Ces expertises portent principalement sur :
i) la faisabilité technique du déstockage,
ii) l'ampleur et la gravité de la pollution éventuelle de la nappe en cas de confinement définitif et ...
iii) les coûts de mise en œuvre des différentes options.
i) Dans une étude rendue en 2019 (https://www.brgm.fr/fr/reference-projet-acheve/stocamine-expertise-delais-risques-couts-destockage-dechets), le BRGM estime que l'extraction totale des déchets (hormis ceux de la zone incendiée) serait possible en un peu moins de huit ans. Néanmoins, en raison de la poursuite de la convergence, entre 2025 et 2029, le déstockage complet demeurerait possible mais avec davantage de difficultés et des délais augmentés. Après 2029, l'effondrement de certaines galeries rendrait la récupération de certains colis impossible.
ii) Les modélisations de l'Ineris concluent à un risque négligeable de pollution de la nappe à l'échelle du millénaire. "La structuration de la nappe en plusieurs couches superposées de perméabilités différentes, localement séparées par des intercalaires argileux, limitera très fortement la propagation vers la surface des panaches de saumure potentiellement polluée." (https://destocamine.fr/ineris-etude-ecotoxicologique-des-composants-des-dechets-susceptibles-de-polluer-la-nappe-ou-les-sols/). La fiabilité des modèles utilisés peut évidemment toujours être contestée.
ii) Les modélisations de l'Ineris concluent à un risque négligeable de pollution de la nappe à l'échelle du millénaire. "La structuration de la nappe en plusieurs couches superposées de perméabilités différentes, localement séparées par des intercalaires argileux, limitera très fortement la propagation vers la surface des panaches de saumure potentiellement polluée." (https://destocamine.fr/ineris-etude-ecotoxicologique-des-composants-des-dechets-susceptibles-de-polluer-la-nappe-ou-les-sols/). La fiabilité des modèles utilisés peut évidemment toujours être contestée.
iii) D'après l'étude du BRGM déjà citée, le déstockage complet, réalisé avant 2029, couterait entre 380 et 440 millions d'euros (M€) ; limité aux produits solubles (soit 25% de la masse totale des déchets), il reviendrait à environ 300 M€ (bien plus du quart de la somme précédente car les déchets solubles sont dispersés parmi les autres qu'il faudrait donc manipuler également) ; enfin, le confinement sans déstockage nécessiterait 90 M€.
23 mars 2017 : Arrêté préfectoral autorisant l'enfouissement définitif des 42 000 tonnes de déchets restant. Suite à cet arrêté préfectoral, s'est engagée une lutte intense sur le plan juridique (voir les détails dans la partie "Lutte" ci-après).
2017 – 2023 : Tous les ministres de l'écologie successifs des gouvernements Macron, après quelques gesticulations (nièmes études techniques de faisabilité du déstockage : toutes ces études concluent à la faisabilité technique du déstockage, modulant toutefois cet optimisme récurrent du diagnostic par l'averrtissement de difficultés croissantes avec le temps en raison de la convergence de la mine), ... confirment la volonté de l'enfouissement définitif : il en va autant du "grand écologiste" Hulot (31 aout 2017), que de François De Rugy (21 janvier 2019), Barabara Pompili (18 janvier 2021), ou le petit dernier, Chrispophe Béchu (juillet 2023).
Septembre 2023 : Production d'un plan de prévention des risques et de suivi pour le bassin potassique par le ministre de l'écologie, Christophe Béchu (https://s3.documentcloud.org/documents/23988588/plan-de-prevention-des-risques-et-de-suivi-pour-le-bassin-potassique.pdf. Voir également l'illustration ci-dessous). Ce plan promet aussi quelques cacahuètes pour séduire des élus parmi les plus naïfs : extension de la réserve naturelle du Rothmoos, installation d'une unité de production d'électricité photovoltaïque, dépollution de quelques friches industrielles.) dans lequel la remontée éventuelle de la saumure polluée vers la nappe sera suivie dans des captages et quand le danger sera avéré, dans plusieurs siècles peut-être, les descendants de monsieur le ministre se chargeront de la récupérer ainsi que les déchets grâce à des forages à travers 550 mètres de terrain (Le plan "Béchu", aussi aberrant qu'il paraisse, a néanmoins le mérite de reconnaitre officiellement le risque de pollution, nié jusqu'ici. Et, certains élus, de guerre lasse peut-être, s'y sont ralliés.). Ils en auront la possibilité puisque leur lointain ancêtre aura eu la sagesse de préserver la maitrise foncière de la zone de surface à la verticale du stockage et, comble de prévoyance, aura réservé les financements nécessaires (prétendre provisionner des crédits à si long terme parait aberrant aux connaisseurs des règles de gestion des finances publiques). Plus intelligents encore que monsieur le ministre, ils auront fait progresser les techniques permettant ("peut-être" précise néanmoins le texte) de réaliser ces opérations. Suggestion à messieurs les intelligents : sortir les déchets aujourd’hui pour éviter tous ces aléas et risques potentiellement dramatiques ("Bon sang, mais c’est bien sûr ! Que n’y avons-nous pensé plus tôt !")
Après cet exposé historique et "géologico-technique", on comprend mieux pourquoi la lutte contre le "projet Stocamine" est primordiale. Primordiale pour les Alsaciennes et Alsaciens en premier lieu, mais aussi pour tous les habitants-riverains de la plaine du Rhin, quand bien même ils n'en percoivent pas le risque immédiat du fait de leur éloignement de l'épicentre de ce cataclysme (plus que) prévisible !
Cette lutte contre le projet d'enfouissement de déchets comporte deux enjeux fondamentaux :
- Empêcher les tenants de l'économie capitaliste, productiviste par essence, de faire disparaître de la vue de tout un chacun la masse des déchets immanquablement générés par son activité. "Balayons ces cochonneries sous le tapis et n'en parlons plus. Et que les générations futures s'en débrouillent." (Citation fictive attribuable à l'un quelconque de nos "grands" décideurs.). A contrario, les opposants exigent que le problème soit traité au vu et au su de l'ensemble de la société et que les désagréments et les coûts soient assumés au présent et dans la transparence.
- Prévenir (en bloquant cette stratégie de "sanctuarisation") le risque majeur de pollution de la nappe phréatique rhénane, une nappe qui s'étale sur plus de 5000 km2 entre Bâle et Francfort.
(à suivre...)