Sur le concordat et sa mise en perspective avec le droit social local en Alsace et Moselle (2ème partie : des confusions toujours entretenues entre "droit social local" et "concordat napoléonien")
Le concordat d’Alsace-Moselle, cette survivance de plus de 2 siècles issue de la volonté de Napoléon 1er de contrôler l’institution catholique dans l’exercice de ses fonctions et en particulier dans la composition de sa hiérarchie, passée ensuite au filtre des institutions du Reich allemand (avec notamment son extension aux cultes protestants et juif), ce concordat archaïque n’aurait jamais dû dépasser les quelques années de « transition » nécessaire au moment du retour de l’Alsace et de la Moselle sous le giron de la République. S’appliquant à l’ensemble du territoire de la Nation, la loi de 1905 aurait dû rapidement l’effacer, moyennant des mesures budgétaires transitoires pour ne pas brutaliser les Ministres du culte et les divers officiants (notamment dans leur mission de catéchèse scolaire), permettant ainsi aux institutions religieuses locales reconnues (ou « statutaires ») de s’adapter sans heurts.
Il n’était en aucun cas question d’étendre encore ce régime d’exception, soit à d’autres cultes soit à d’autres ʺterritoiresʺ.
D'où revient périodiquement sur le tapis politique cette question délicate, en Alsace-Moselle du moins, de l’application de la loi de 1905 à la totalité du territoire de la République ... Enfin, oserions nous ajouter !
C’est pour éclaircir les réponses à cette question récurrente que le Grand-Orient de France a récemment commandé à l’IFOP une enquête menée auprès de 2 échantillons de personnes âgée de 18 ans et plus : le premier (1 009 personnes) représentatif de l’ensemble de la population vivant en France métropolitaine, le second (801 personnes) représentatif de la population d’Alsace-Moselle. Une étude comparative, donc fiable, certainement.
Or l’enquête a montré que le principe d’un financement public des cultes en France suscite un très large rejet dans la population : plus de deux Français sur trois (68%) s’opposent à l’idée d’un financement des ministres et des lieux de culte dans certains territoires français (Alsace-Moselle et Guyane).
Certes, 56% des habitants d’Alsace-Moselle y restent favorables, en particulier les catholiques des 3 départements, qui le sont à 65% … mais savent-ils que les 60 millions que représente annuellement ce coût sont supportés par la totalité des contribuables du pays, et non par les seuls Alsaciens-Mosellans ? Un budget des cultes du Ministère de l’intérieur réservé à la rémunération et aux indemnités des officiants des quatre cultes reconnus (ou ʺstatutairesʺ), cotisations sociales prestations sociales et autres indemnités comprises. Un budget auquel s'ajoute une ligne budgétaire transversale aux ministères concernés (16,7 millions en 2013, par exemple) au titre des pensions d’Alsace-Lorraine. Soit, tout de même, un total d’environ 74 millions d’euros par an, comme le relève l’enquête de l’IFOP dans son questionnaire de mars/avril 2021 (cf. ci-dessous. N.B. voir également l’article des DNA du 07 avril page 27).
Et lorsque est avancée l’idée d’abroger « le concordat en Alsace-Moselle afin d’y faire cesser le financement public des salaires des ministres des cultes » (les 4 concernés : catholique, luthérien, réformé et israélite) c’est la surprise : 78% des français s’y montrent favorables, quelle que soit l’affiliation politique ou religieuse des personnes interrogées, la surprise majeure venant des Alsaciens-Mosellans qui n’y sont pas opposés et même légèrement favorables (52%).
Certes la distribution des opinions est plus nuancée selon les départements : 50% des Haut-Rhinois, 60% des strasbourgeois et 57% des Mosellans sont favorables à cette abrogation … et même 46% des catholiques des 3 départements, tout comme 46% des Bas-Rhinois « hors-Strasbourg ». Ce qui contredit tout de même ce qu’affirmait Roland Ries il y a quelques années quand il déclarait appartenir « à la très grande majorité des Alsaciens et Mosellans, d’obédiences religieuses diverses, laïques ou même athées, qui soutiennent le régime concordataire » (N.B. : interviews réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 30 mars au 1er avril 2021. (https://www.ifop.com/publication/etude-sur-le-maintien-du-regime-du-concordat-et-le-financement-des-lieux-de-culte-en-alsace-moselle)
Ajoutons enfin que le financement des constructions et de l’entretien des édifices du culte ne relève pas du concordat mais du droit local, les cathédrales étant propriété de l’Etat, les églises, temples et synagogues soit propriété des communes soit des établissements publics du culte.
Ce qui fait que les communes interviennent en cas d’insuffisance des revenus de ces établissement pour les 4 cultes statutaires, le Ministère de la culture et de la communication entretenant les églises cathédrales au titre de l’entretien du patrimoine national. « La cathédrale de Strasbourg relève d’un statut particulier qui implique l’Etat et la fondation de l’Œuvre Notre-Dame, fondation de droit local créée au Moyen-Âge et administrée par la ville de Strasbourg ». « Les cultes non statutaires acquièrent et vendent les immeubles consacrés à l’exercice de leur religion sans intervention des pouvoirs publics ».
La polémique qui a émergé il y a peu autour de la décision de la municipalité de Strasbourg d’accorder une subvention de 2,56 millions d’euros pour le financement de la construction de la grande mosquée dite « Eyyub Sultan » ne relève pas du concordat mais bien d’une décision politique. Tout au plus celle-ci exprimait-elle la volonté de la nouvelle municipalité (ʺverteʺ) de ne pas remettre en cause une décision de la précédente (Ps), datant de 1999, et d’accorder au culte musulman le même régime de « complément de ressources pour investissement » que permet le droit local certes, pour une somme de 2,56 millions d’euros (N.B. : pour tous ces détails concernant le droit local, voir l’ouvrage publié par l’Institut du droit local Alsacien-Mosellan, « Le guide du droit local »).
C’est bien l’association cultuelle d’origine turque "Milli Görus" (qui doit gérer la mosquée) qui devait être subventionnée. On sait que depuis la mi-avril l’Association Milly Görus a décidé de revoir l’ensemble de son projet et a renoncé à la demande de subvention auprès de la municipalité.
On peut toutefois conclure que, sans le support idéologico-historique du concordat maintenu et la confusion entretenue par nombre de formations et acteurs politiques locaux entre les avantages du droit local (comme les 2 jours fériés supplémentaires du 26 décembre - Saint Etienne - et du vendredi saint) et le régime concordataire des cultes, la question du montant d’une subvention municipale au financement de quelque édifice cultuel que ce soit (temple protestant, église catholique ou orthodoxe, synagogue, mosquée, temple bouddhiste, shintoïste, etc.) ne se serait pas posée. Si, comme l’exprime l’article 2 de la Loi de 1905 « La République ne reconnaît ni ne subventikonne aucun culte », alors les associations cultuelles ne songeront même pas à demander des subventions aux municipalités, régions, ou toute autre collectivité territoriale.
Forte de ses 44 articles, la loi de 1905 a tout prévu pour que les associations cultuelles puissent entretenir, en toute indépendance et autonomie, leur « établissements publics du culte » et les biens mobiliers et immobiliers qui s’y rattachent : qu’attendons-nous pour enfin la généraliser à tout le territoire de la République ?
Cela nous aurait évité des passes d’armes peu républicaines et laïques, qui fleurent bon le rejet d’une communauté religieuse bien particulière et une fois de plus stigmatisée ... au nom d’un particularisme napoléonien, « une épopée qui résonne par-delà le temps », peut-être ? (Cf. DNA du dimanche 2 mai 2021, pages 32/33)
Particularité des 3 départements : le droit français (ou ʺdroit généralʺ) y est complété (voire contrarié) par des textes juridiques qui n’ont pas pour origine la République mais l’empire … allemand.
Siégeant à Strasbourg, un « Institut du droit local alsacien-mosellan » (IDL) a été créée en 1985 « pour promouvoir une connaissance approfondie des diverses composantes du droit local ainsi que des problèmes juridiques que soulève sa combinaison avec le droit général ». Association inscrite de droit local, sa mission a été reconnue d’utilité publique en 1995 : l’Institut veille au grain … avec son œil acéré de juriste !
Le droit local d’Alsace-Moselle n’est donc pas du même registre ni de la même origine que la survivance du concordat Franco-Vatican de 1801 sur le territoire des bordures de l’est … de la République. La généralisation de l’abrogation du second à l’ensemble du territoire de la nation française, après un siècle de tergiversations, ne remettra pas en cause les particularités du premier, surtout avantageux en matière sociale, on va le voir !
Au préalable, il est utile de préciser la genèse de cette particularité qu’est le droit local d’Alsace-Moselle. Vous trouverez ci-après quelques extraits de l’introduction au « Guide du droit local », publication de l’Institut du droit local Alsacien-Mosellan, 2015). (Pour accéder au site de l’IDL : https://idl-am.org/)
« Produit de l’histoire mouvementée des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le droit local alsacien-mosellan s’est construit par strates législatives successives depuis 1870 et la création du Reichsland Elsass-Lothringen. La première se compose des dispositions de la législation française, conservées par l’Allemagne après le Traité de Paix de Francfort de 1871 et par la IIIème République après 1918. Les textes les plus emblématiques ont trait aux cultes avec le concordat de 1801 et les articles organiques du 10 Germinal an X. La deuxième, qui est la plus marquante au regard de l’autonomie institutionnelle du Reichsland, est constituée des lois locales, d’application limitée aux territoires des trois départements de l’Est, adoptées par la Délégation d’Alsace-Lorraine, instituée en 1874 et érigée en Landtag par la constitution du 31 mai 1911. À titre d’illustrations, l’on peut mentionner les lois des 7 février 1881 sur la chasse et 31 mars 1884 sur le cadastre, dont les dispositions sont toujours en vigueur.
De loin la plus importante, la troisième source se compose des lois d’Empire adoptées par le Reichstag. Ces lois portent les grandes codifications du droit en Allemagne (code de commerce, code des professions et code de procédure civile), dont le joyau est le code civil (Bürgerliches Gesetzbuch), entré en vigueur, en Alsace-Moselle, le 1er janvier 1900 avec un cortège de lois d’Empire.
Au lendemain du retour des trois départements d’Alsace-Moselle à la France, en 1918, les pouvoirs publics créent différentes commissions juridiques […] afin de déterminer le sort de la législation locale. […]
Ce choix de politique législative est rendu effectif par les deux grandes lois du 1er juin 1924, l’une concernant le droit civil, l’autre le droit commercial.
Depuis […] le droit local a fortement évolué.[… des matières] sont devenus très attractives tels le droit du travail, le régime local d’assurance maladie ou encore la faillite civile. […] Aujourd’hui, le droit local représente environ 5% de la réglementation applicable en Alsace-Moselle. Parmi les matières les plus emblématiques, il y a le régime des cultes, les associations, la sécurité sociale, l’aide sociale, le droit du travail, l’artisanat, le notariat, la chasse, les communes, l’urbanisme, la faillite civile, la navigation sur le Rhin et la Moselle, les baux, les successions, le partage judiciaire, la saisie immobilière, le Livre foncier, les sûretés ainsi que le droit judiciaire privé ».
En termes de droit social le droit local d’Alsace-Moselle se traduit par plusieurs avantages, dont les 2 jours fériés supplémentaires mentionnés plus haut, le vendredi saint et le 26 décembre (ou "Saint Etienne" : ordonnance allemande du 16 août 1892).
En outre, TOUS les jours fériés (ET les dimanches !) sont dits également "CHOMÉS". Dans le droit social général français seul le jour du 1er Mai est dit « chômé ». La conséquence n’est pas mince puisque ces jours fériés (dans l'année civile 13 au total + les dimanches) sont rémunérés à un taux particulièrement favorable, qui peut aller jusqu'à + 100% pour les dimanches avant Noël. En outre, lorsque le salarié est sollicité par son employeur pour travailler ces jours-là, la durée de travail est également limitée à 5 heures dans la journée ; le plus souvent c'est dans le secteur des services et du commerce. Et le code de préciser : « A la majorité de rémunération s’ajoute un repos équivalent en temps » (voir guide du droit local, page 257/58, rubrique « jours fériés »).
Il est bien évident qu'un programme politique progressiste en matière sociale devra intégrer ces avantages sociaux "locaux" et les généraliser à l'ensemble de la République « Une et indivisible », donc à tous les salariés "France entière". Cette fois le régime local sera un point d’appui, comme il pourra l’être dans le domaine de la protection sociale, notamment pour sa partie ʺmaladieʺ.
On aborde ici Régime Local d'Assurance Maladie (RLAM), bien plus favorable aux salariés des 3 départements que l'actuel régime général en vigueur sur le reste du territoire français. Lorsque l’Alsace et la Moselle sont redevenus français en 1918, la France ne dispose pas encore de système d’assurance maladie obligatoire. Une loi du 17 octobre 1919 maintient localement ce code des assurances sociales hérité de l’empire allemand et institue un régime transitoire en Alsace-Moselle. La loi du 31 décembre 1991 et, par la suite, le décret du 31 mars 1995 pérennisent ce régime et créent les conditions de son autonomie.
Pour l’heure, le RLAM fonctionne comme une « complémentaire maladie » qui permet d’atteindre un taux de remboursement de 90% (soins ambulatoire compris), contre 70% dans le reste de la France ; il garantit également la gratuité de l’hospitalisation. Pour les assurés sociaux ce régime local diminue donc sensiblement l’effet négatif du « ticket modérateur », introduit en France dès l’ordonnance du 19 octobre 1945 à hauteur de 20% mais relevé à 30% par l’ordonnance du 21 août 1967 (ordonnances Jeannenay). En outre, ce RLAM couvre non seulement les assurés (au 1er janvier 2023, 1,6 Millions de personnes) mais aussi leurs conjoints et tous les ayant-droits (descendants, et ce jusqu’à 24 ans si étudiants ou apprentis, soit 474000 personnes supplémentaires) et sans sur-cotisation. Plus de 2,2 Millions de personnes sont donc couvertes par le RLAM, pour une population totale de 3 millions de résidants. En effet, seuls les salariés du secteur privé, résidant et/ou travaillant régulièrement sur le territoire des 3 départements, peuvent prétendre à ce régime complémentaire, les fonctionnaires, par exemple, étant soumis à un autre régime. Pour atteindre un taux de remboursement à 100% les salariés des trois départements n’ont donc plus qu’à compléter par une mutuelle « surcomplémentaire », qui leur coûte bien moins cher qu’aux autres assurés sociaux en France.
L’autre particularité du RLAM est sa forme pionnière d’organisme autogéré. Son conseil d’administration n’est composé que de représentants des assurés salariés puisqu’ils sont les seuls à cotiser, retraités y compris (absence de cotisation dite « patronale » ce qui garantit une indépendance totale face aux exigences éventuelles du patronat). Composé de 23 représentants titulaires, pour l’essentiel représentants des organisations syndicales de salariés dites « représentatives », son conseil d’administration dont son Président (actuellement désigné sur la liste CGT) détermine le niveau des prestations et des cotisations (dans une fourchette réglementaire de 0,45% à 2,5%), ainsi que les exonérations de cotisation pour insuffisance de ressource. C’est ainsi le cas des chômeurs ou des retraités à faibles ressources par exemple : 90% des chômeurs et 20% des retraités sont ainsi assurés sans payer de cotisation. Depuis avril 2022 ce taux de cotisation complémentaire est de 1,3% du salaire brut (ou pension de retraite, avantages compris), après qu’il ait été abaissé une première fois à 1,5% au 1er janvier 2012. C’est dire que la gestion du RLAM est efficace : en témoigne le fait que les frais de fonctionnement ne représentent que 1% des dépenses de ce régime, tout en sachant que le RLAM s’adosse à la CPAM, à la CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de Santé Au Travail) et aux Unions de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocation Familiales (URSSAF) qui centralisent les cotisations du régime précomptées sur les salaires (moyennant rémunération des services rendus). Exit aux marges de ce beau système social les pseudos ʺmutuelles complémentairesʺ et autres ʺfondsʺ à caractère capitaliste qui ne cherchent qu’à se gaver sur le dos des travailleurs.
(Pour davantage de précisions : https://www.senat.fr/rap/r11-443/r11-443-annexe.pdf)
Toutefois, notre programme ʺL’Avenir en communʺ veut encore l’améliorer en promouvant partout le remboursement à 100% des soins, médicaments, lunetterie, dentisterie ... etc. dans le cadre d’une nouvelle ʺSécurité Sociale Intégraleʺ. C’est tout l’intérêt de l’existant en Alsace-Moselle, pouvant dès lors servir de point d’appui.
Revenons au concordat napoléonien et relevons-en quelques points archaïques, pour le moins surprenant dans notre République « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le "Guide du droit local" mentionne notamment comme point marquant du concordat, « la nomination des évêques par le chef de l'Etat », « l'agrément des curés par le gouvernement », et « l'attribution d'un traitement convenable aux évêques et aux curés ...». Alignés sur les salaires de la fonction publique d’État, de l'indice 329 à l'indice 672 pour les curés, les rabbins et les pasteurs, et la "hors échelle A" pour les évêques, cela représente une part importante de ces 60 Millions d'Euros ... prélevés annuellement sur le budget de l'Etat français pour financer la survivance du régime concordataire napoléonien.
Un budget qui serait bien utile à d’autres fins scolaires alors qu’il finance également l'enseignement religieux dans les écoles, collèges et lycées. Quoique dans ces derniers les dispenses soient quasiment devenues la règle. In fine, des Ministres du culte … sans auditoire, quelle gabegie !
Pourtant ce sont bien les contribuables de la France entière qui les rémunèrent. Certes, les textes précisent que ces dépenses ne sont assurées que « pour un plafond autorisé de 1393 emplois » (Code du droit local page 216, rubriques ʺcultes statutairesʺ). Merveilles de la précision législative…