Consommation foncière: une modération coupable
Dans la modification n°3 du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de l'Eurométropole de Strasbourg (EMS), soumise à enquête publique du 18 janvier au vendredi 26 février 2021 inclus, la modération de la consommation foncière est présentée par l'exécutif EELV/PS comme un enjeu central.
Ainsi peut-on lire dans la note de présentation : « Enjeu transversal du PLU, la modération foncière est une préoccupation omniprésente dans le document en vigueur et dans la présente modification. »
Mais que recouvre précisément cette volonté de modération de consommation foncière?
- Se situe-t-elle dans la logique de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) qui a été mis à l’agenda politique dans le cadre du plan biodiversité du 4 juillet 2018 ?
- Se conforme-t-elle au projet de loi "Climat et Résilience" en débat actuellement à l'Assemblée Nationale qui, dans son article 49, « fixe une trajectoire permettant d’aboutir à l’absence de toute artificialisation nette des sols, avec, par tranches de dix années, un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation »? Pour la première tranche, « le rythme d’artificialisation … ne peut pas dépasser la moitié de la consommation d’espace observée sur les dix années précédant cette date.»
- Ou se contente-t-elle de limiter la consommation des sols, dans la continuité des politiques réglementaires menées par le passé, se résumant par la formule "Éviter – Réduire – Compenser" (ERC) ?
Pour répondre à ces 3 questions nous nous appuierons sur une étude de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) pour qui l’objectif de ZAN doit poursuivre trois grandes finalités :
- La préservation des fonctions et ressources non renouvelables des sols et sous-sols :
« Une des finalités premières de ZAN est de préserver l’ensemble des ressources du sol, considéré comme un bien rare et non renouvelable. Les sols et sous-sols remplissent de nombreuses fonctions écosystémiques notamment le captage et la séquestration du carbone, la bonne gestion du cycle de l’eau et la réduction des risques naturels, la limitation du changement climatique et la résilience des territoires pour l’adaptation au changement climatique ».
- Le maintien des gisements d’espaces naturels, agricoles et forestiers :
« La préservation et la restauration des réservoirs de biodiversité mais aussi des corridors écologiques pour assurer les continuités écologiques sont des enjeux indispensables pour arrêter l’effondrement de la biodiversité.
La préservation de gisements d’espaces agricoles est également clef pour permettre de maintenir, diversifier, voire augmenter les capacités de production alimentaire et sylvicole pour favoriser la production de proximité et les circuits courts. C’est également une ressource déterminante de la diversité des paysages et de la qualité de vie dans les territoires ».
- L’amélioration de la sobriété foncière et de l’efficience urbaine :
« L’objectif de maîtrise de l’artificialisation et l’efficience urbaine sont deux facettes d’un même enjeu pour viser un modèle de sobriété foncière de l’urbanisation : faire mieux avec moins. Depuis la loi SRU, les surfaces ouvertes à l’urbanisation dans les PLU ont été réduites. Néanmoins, l’avantage concurrentiel économique de l’urbanisation en extension par rapport au renouvellement urbain et les aspirations et modes de vie des ménages sont deux freins à la régénération urbaine et à la limitation de l’artificialisation ».
Cette étude souligne l’importance « de distinguer la notion d’artificialisation des sols, de la notion de consommation d’espaces agricoles et naturels, inscrite dans le code de l’urbanisme ». Il est enfin rappelé qu’il faut « faire évoluer les modèles économiques et les représentations auprès de l’ensemble de la chaine d’acteurs (élus, professionnels et citoyens) afin de s’inscrire dans une trajectoire positive et réaliste ».
Et c’est précisément sur ce point que la modification n°3 du PLU n’est pas à la hauteur des enjeux dans la lutte contre l’artificialisation des sols. Et ce, de par les limites imposées par les dispositions du Code de l’urbanisme qui précise qu’une modification d’un PLU n’a pas vocation à changer les orientations définies par le Projet d’aménagement et de développement durables (PADD).
Or dans ce PADD est inscrit l'objectif suivant : « L'ambition démographique étant d'accueillir 50 000 habitants supplémentaires à l'horizon 2030, l'Eurométropole de Strasbourg doit produire annuellement environ 3 000 logements ». Ce qui représenterait un total de 45 000 logements sur l'ensemble de la période !
Et comme il est écrit dans le rapport de présentation (Tome 4) que « Pour répondre à l'ambition démographique portée par le PADD, deux principales formes d'urbanisation sont programmées, l'urbanisation au sein de l'enveloppe urbaine (par densification ou par mutation du bâti existant) et les extensions urbaines en dehors de l'enveloppe urbaine », on voit clairement où est la contradiction.
En tant que 2éme Vice-présidente EELV de l'Eurométropole et en charge du PLUI, Danielle DAMBACH affirme poursuivre l'objectif de privilégier l'urbanisation au sein de l'enveloppe urbaine « afin de mettre en œuvre les orientations fondamentales du PADD, en particulier la volonté de favoriser l'agrégation des fonctions et des tissus afin de développer les centralités urbaines, l'articulation de l'urbanisation avec les transports collectifs, la limitation de l'étalement urbain ».
Or, d’après les estimations de l'EMS, 70 % environ des besoins en logements doivent pourvoir être satisfaits au sein de l'enveloppe urbaine, pour une superficie de 610 hectares. Avec 260 hectares, les extensions urbaines représentent à peu près 30 % de la consommation totale de foncier ce qui est contraire à l'objectif affiché qui est une gestion économe du foncier.
Le document reconnaît d'ailleurs l'insuffisance de l'effort de modération de la consommation foncière en écrivant « L'ordre de grandeur de cette réduction porte, à minima, sur une centaine d'hectares, et ceci indépendamment de la pertinence que pouvaient avoir ou non les différentes zones. Il s'agit de la première étape montrant que le PLU s'inscrit dans une logique de modération de la consommation foncière à l'échelle de la globalité du territoire ».
En matière de développement économique, les mêmes raisonnements s'appliquent. Ainsi, nous pouvons lire dans le rapport que « Le PADD fixe comme objectif une création de + 27 000 emplois à l'horizon du PLU : il est lié à un objectif de croissance démographique » et, un peu plus loin, « L'ambition affichée dans le PLU est de permettre un rééquilibrage, en augmentant la part de EMS dans l'emploi départemental total. Cet objectif plaide à minima pour un confortement de ce ratio en faveur de l'emploi. En revanche, cette tendance peut être contrebalancée par le vieillissement de la population. Partant de ces éléments, un ratio d'environ 1 emploi pour 1,9 habitants a été retenu, soit une création de l'ordre de 27 000 emplois à l'horizon du PLU. ».
Il est de plus clairement énoncé que l'EMS doit accroître la part de l'emploi conformément à une volonté politique de métropolisation dans une logique de compétition entre territoires « permettant de relancer l'Eurométropole par rapport aux autres métropoles françaises ». Or différentes études récentes ont démontré la tendance des métropoles à phagocyter l'emploi au détriment des territoires voisins ... pour un effet global négatif !
Il ressort de ces études qu'un aménagement plus équilibré des territoires serait un facteur positif de création globale d'emplois.
Les besoins fonciers à vocation d'activité économiques sont évalués à 500 hectares de zones IAUX et IIAUX, largement inférieure il est vrai à la superficie totale des zones NA/AU à vocation d'activités économiques dans les POS et PLU des communes de l'EMS estimée à environ 1 170 ha au moment de l'élaboration du PLU en 2016.
Il apparaît que le facteur déterminant pour évaluer les projections des besoins fonciers est l’objectif démographique, avec 50 000 habitants de plus envisagés à l’horizon 2030. Ainsi, au total c'est à dire les besoins fonciers à vocation de logement et d'activités économiques additionnés, plus 1300 hectares seront consommés dans les prochaines années. Ce qui est loin de l’objectif de zéro artificialisation des sols et tourne le dos à un développement urbain durable.
Dans un article intitulé « CONVERSION URBAINE DE TERRES ET MÉTROPOLISATION DU TERRITOIRE » et publié dans la revue d’Économie Régionale & Urbaine (2020), Bocquet et Jean Cavailhès démontrent que « l’urbanisation est d’autant plus forte que les unités urbaines sont grandes ». Sur la base d’un modèle économétrique utilisant pour la première fois les données fiscales de la DGFIP, il est établi « le rôle central dans les conversions urbaines de la population et de sa répartition sur le gradient centre-périphérie. L’urbanisation consomme des terres surtout dans les très grandes unités urbaines, d’autant plus qu’elles sont grandes et que la localisation est proche du centre urbain. Elle opère plus par construction sur de nouvelles parcelles dans les métropoles, donc surtout là où les ressources foncières sont rares, que sur des terrains en périphérie ».
Certes, les élus disposent de différents outils pour limiter la consommation foncière, comme l’indiquent l’avis de la FNAU n°9 « Zéro artificialisation nette, une équation complexe pour les politiques publiques » ou la fiche du Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages intitulée « Maîtriser la consommation foncière et lutter contre l’artificialisation des sols ».
Mais, ces mesures sont insuffisantes pour atteindre un objectif de zéro artificialisation prévu par le plan biodiversité, comme le souligne l’avis de la FNAU qui affirme que « tendre vers la zéro artificialisation des sols par une injonction venue d’en haut risque de rester un vœu pieux si on ne s’oriente pas vers un changement de paradigme des modèles économiques et des représentations sociales des modes de vie ».
Pour lutter efficacement contre l'artificialisation du sol, la présidente de l'EMS, Pia IMBS, doit réorienter les objectifs du PLU, en relation avec la révision du Schéma de Cohérence Territoriale de la Région de Strasbourg (SCOTERS) décidée le 4 octobre 2018.
Une remise en cause de l'objectif des 50 000 habitants supplémentaires à l’horizon 2030 est donc nécessaire. Le débat annuel sur les politiques urbaines en conseil d’EMS, prévu par la loi ALUR, doit également être l’occasion pour l’exécutif de l’EMS de refonder le projet urbain en lien avec un aménagement durable et équilibré des territoires contribuant au renforcement du lien social.