Il faut taxer les profiteurs du Coronavirus !

Publié le par J.C. VAL

Dans sa dernière livraison de février 2021, la revue Alternatives économiques (Alter-éco N°4091) développe un dossier au titre évocateur : La machine à dividendes.

Présentons quelques chiffres pour en donner la substantifique moelle, mais tout d’abord précisons quelques termes de vocabulaire technique et de mécanismes de base pour bien comprendre ce qui est en jeu.

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Le CAC 40 n'est pas le marqueur du bien être public !

Comme son nom l’indique, le CAC40 (« Compagnie des Agents de Change », la dénomination des anciens intermédiaires de la bourse des valeurs en France, ici cotant les 40 plus grosses entreprises en termes de capitalisation sur la Bourse de Paris) est un indice boursier composite. Créé en 1987, il mesure l’évolution du cours en bourse des actions de 40 sociétés anonymes. Celles-ci sont choisies parmi les 100 plus grosses, c’est-à-dire celles dont le volume d’échange des titres est le plus important (et non celles qui produisent le plus, ou investissent le plus). Ne sont pris en considération que les achats et ventes de ces actions, qu’elles émettent et qu’elles placent ensuite sur la place de Paris pour s’attirer des capitaux (à l’émission initiale), puis que s’échangent entre eux les propriétaires et acheteurs de ces mêmes titres (en quelques sortes des « titres d’occasion »). Ces derniers qui visent alors que l’enrichissement par la différence entre le prix d’achat et le prix de revente des mêmes titres.

Ce sont ces dernières opérations que désigne la « spéculation » : nul véritable investissement ne lui est lié, au sens productif du terme, le seul qui vaille pour savoir si ces mouvements boursiers sont utiles pour le bien-être de la population tout entière. « Pourtant le CAC40 continue d’être considéré par les investisseurs comme le baromètre économique de l’hexagone » (Alter-éco N° 4091, page 22).

On pourrait penser fort logiquement que la crise sanitaire de la COVID entraînerait un plongeon de l’indice CAC40. Or … il n’en est rien, en ce début d’année 2021 du moins. Fin 2019 la valeur cumulée (une valeur boursière, non pas une valeur physique ou réelle) de toutes les actions des 40 groupes cotés au CAC40 représentait 1836 milliards d’euros. Le 8 janvier 2021 ces mêmes valeurs (ou à peu près les mêmes puisque la composition des « 40 » a pu être légèrement modifiée) retrouvaient leur niveau de 2019, soit 1832 milliards d’euro. La crise sanitaire est pourtant loin d’être résolue et l’on sait l’aggravation du chômage qui en découle, ainsi que la fragilisation aigüe de la quasi-totalité des petites et moyennes entreprises, de fait de loin les plus nombreuses (celles-ci ne sont jamais cotées en bourse).

Ivresse !

Ivresse !

Que de milliards ! Mais que représentent-ils ?

Pour se donner une idée de l’ordre de grandeur de ces chiffres il faut des points de repère, fournis notamment par l’organisme statistique public national (toutes les données qui suivent sont extraites de : Insee, Les entreprises en France, INSEE Références, édition 2019 – Éclairage – Photographie du tissu productif en 2017, pages 11 et suivantes). Au 31.12. 2017, l’INSEE comptabilisait en France 3 855 109 entreprises (non agricoles et non financières) employant 12 985 450 salariés et réalisant 3 928 milliards d’euros de chiffres d’affaire; mais ne produisant que 1 162 milliards de Valeur Ajoutée (VA) soit, on le voit immédiatement, moins que la valeur boursière de capitalisation approximativement à la même époque !

Ces 1162 milliards d’euros sont aussi les 52% de la totalité de la valeur ajoutée produite par l’économie française soit, en 2017 toujours, 2234 milliards d’euros : telle était la véritable richesse produite en France durant l’année (les « ressources » nationales, auxquelles il faudrait toutefois ajouter les importations en biens matériels et services, mais celles-ci étant approximativement équivalentes aux exportations – qui sortent du pays donc ne sont plus disponibles pour nous – elles peuvent être négligées) par les entreprises, les admisnistratins publiques, quelques ménages particuliers et des associattions (à but non lucratif). 2234 milliards de "ressources" en biens et services,t qui pouvait ensuite se partager (être utilisées) entre 4 usages (ou « emplois ») principaux :

  • Les investissements : ce sont des investissements physiques cette fois, permettant de renouveler ou accroître l’équipement productif, donc nécessaires pour mieux (voire plus) produire dans le futur (proche ou plus lointain),
  • La consommation, pour l’essentiel la consommation des ménages (sans qu'on les distingue selon leur capacités individuelle d’achat) mais aussi des « consommations collectives » effectuées par des organismes collectifs telles que les collectivités territoriales (des cantines par exemple) ou des associations,
  • Les exportations (mais nous n’en tenons pas compte, comme expliqué ci-dessus)
  • La variation des stocks (essentiellement une « variable d’ajustement »), que 'on peut également négliger.
Barres de lits !

Barres de lits !

CAC 40 : milliards partout, richesse pour qui ?

Revenons toutefois à nos 40 plus grosses entreprises (sans les banques et autres institutions financières institutions de crédit, compagnies d’assurance, caisses de retraites privées, sociétés de bourse, etc.) et donnons-leur un poids réellement économique, ou productif : elles représentaient en 2019 un Chiffre d’Affaire de 1391 milliards d’euros (ce n’est pas leur « bénéfice » ni la « valeur ajoutée » qu’elles avaient produite), à comparer aux 3 928 milliards d’euros de chiffres d’affaire de la totalité des entreprises (en 2017) soit environ 35% de ce dernier … pour 40 « groupes » seulement (les groupes rassemblent le plus souvent des dizaines d’entreprises) : c’est dire leur poids économique et leur puissance. Et la question suivante est alors de savoir à quoi servent ces groupes … quelle est leur utilité sociale  ? C’est-à-dire que font ces géants du CAC40 de toute cette richesse qu'ils brassent ?

Et là, la réponse est moins brillante : Alter-éco relève que 80% des bénéfices des entreprises du CAC40 sont redistribués aux actionnaires (en moyenne sur les 15 dernières années), c’est-à-dire à ceux-là même qui s’enrichissent sans produire mais essentiellement … en spéculant ! Tel est l’univers de ce capitalisme de plus en plus financiarisé : les dividendes distribués aux actionnaires par les firmes du CAC40 ont atteint 50 milliards d’euros en 2019, contre 24 milliards en 2005, et ce malgré un léger tassement observé (le temps de passer la crise financière dite des subprimes) en 2008. Le résumé graphique (page 24 de l’article) est saisissant : entre 2005 et 2019 les dividendes sont quasiment multipliés par 4 (indice 367 pour un indice 100 au départ), les bénéfices « seulement » par 2,7, les investissements par 2,2 et les « frais de personnel » par 2,1 : les salariés sont bien les grands perdants de l’histoire et la tendance actuelle, en sortie prévisible de crise sanitaire, sera très certainement pire encore.

Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, enfermez-y les capitalos ...

Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, enfermez-y les capitalos ...

Petits arrangements entre capitaux : des dividendes "ordinaires" aux super-bonus

D’autant que certaines entreprisess, grosses parmi les grosses, sont encore plus généreuses pour leurs actionnaires : c'est par exemple le cas de Vivendi ou de Veolia ... qui leur rendent plus que leur bénéfice réalisé (presque trois fois pour Vivendi et deux fois pour Veolia) : soit en vendant des filiales dont la plus-value leur revient alors intégralement (c’est le cas de la vente de Suez à Veolia par Engie en octobre 2020, pour la coquette somme de 3,4 milliards d’euros), soit en rachetant leurs propres actions à leurs détenteurs (donc leurs actionnaires) qui se voient ainsi distribué un « super-bonus ». C’est ce que fit Vivendi en 2019 en rachetant 10% de son propre capital (après avoir vendu Universal Music, vente qui lui a procuré les ressources nécessaires pour le faire) et a pu verser ainsi à ses actionnaires 2,6 milliards d’euros, quitte à émettre par la suite de nouvelles actions … réservées en premier lieu à ses anciens actionnaires !

En face, les frais salariaux (qui correspondent grosso-modo au montant global des salaires versés, cotisations sociales comprises) n’ont pas du tout augmenté au même rythme, suivant en moyenne la courbe du chiffre d’affaires de celles-ci (le montant de leurs ventes) mais jamais leur courbe de profitabilité (le rapport bénéfice/chiffre d’affaire). Certaines entreprises du CAC40 connaissent même une baisse sensible de la masse salariale (approximativement la masse totale des salaires versés) : c’est le cas de Veolia (- 15% sur la période 2005-2019) du fait de la forte baisse de ses effectifs (180.000 salariés en 2020 contre 280.000 en 2010 !), ou encore du champion du luxe, Hermès (-25%) pourtant très rentable dans son secteur malgré sa taille plus modeste que celle de ses concurrents (LVMH et Kering) : « en 15 ans les revenus d’Hermès ont été multipliés par 5 quand son bénéfice a été multiplié par plus de 7 » (Alter-éco, page 28).

Capitalisme ... de haut vol !

Capitalisme ... de haut vol !

Investissements dans la recherche vaccinale : la France en déshérence !

Enfin, pour ces géants de la place boursière de Paris, investir est loin d’être leur principal souci, altérant ainsi leur capacité productive et plus encore leur capacité à innover dans le futur. En cette période de pandémie on a bien vu comment l’industrie pharmaceutique française (privée) a été incapable de se lancer dans la course aux vaccins anti-SARS-COV2, quand un petit pays de 11,5 millions d’habitants, subissant de surcroît un embargo féroce et sans faille depuis plus de 60 ans (merci les USA), Cuba s’apprête à distribuer son propre vaccin (Soberana 2), et sans droit de brevet pour les pays qui souhaiteraient le produire eux-mêmes ! En outre, l’industrie pharmaceutique vaccinale de Cuba a trois autres vaccins en cours de conception, et d’essais avant diffusion. A l’opposé, Sanofi par exemple, affiche un ratio d’investissement très faible sur la période 2005/2019 n’atteignant que 25% du montant de ses amortissements (l’amortissement est une pratique comptable et financière qui permet de prélever sur ses bénéfices - donc sans impôts - les sommes nécessaires au renouvellement de son matériel de production usé ou obsolète) : ceci explique peut-être cela : SANOFI a dû mettre au point mort (toutefois momentanément, semble-t-il) la finalisation de son vaccin « COVID » pour des erreurs relevant apparemment d’une erreur stratégique. Faut-il rappeler que SANOFI a décidé de supprimer 400 postes de chercheurs ? Or la recherche est aussi un investissement (productif, cette fois) !

Vaccins (bien) masqués !

Vaccins (bien) masqués !

Et du côté de l'Institut Pasteur, entité publique ? Un communiqué hélas éloquent !

« Depuis le début de l’année 2020, l’Institut Pasteur a engagé des recherches portant sur plusieurs domaines d’expertise scientifique de l’Institut, en virologie, diagnostic, physiopathologie, épidémiologie, modélisation, recherche thérapeutique et recherche vaccinale. Plusieurs programmes de recherche pour découvrir un vaccin contre le virus SARS-CoV-2, responsable de l’épidémie de Covid-19, ont été conduits. A la suite de résultats intermédiaires d’essai clinique de phase I, l’Institut Pasteur arrête le développement d’un de ses candidats vaccins, celui basé sur le virus du vaccin contre la rougeole. L’Institut Pasteur poursuivra le développement d’autres candidats vaccins arrivés en fin de phase préclinique, et maintient sa forte mobilisation scientifique pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. » (communiqué du 25.01.2021).

Pasteur avait fait le choix original de répéter la piste d’un « vaccin à virus vivant atténué, le virus utilisé comme véhicule (ou vecteur) étant celui du vaccin contre la rougeole (MV) et l’antigène exprimé celui de la protéine Spike du virus SARS-CoV-2. La protéine Spike, « clé d’entrée » du virus dans la cellule, forme des spicules tout autour du virus. » (https://www.pasteur.fr/fr/sars-cov-2-covid-19-institut-pasteur/projets-recherche/covid-19-vaccin-utilisant-vecteur-rougeole)

Cette orientation semblait logique : « cette « plateforme rougeole » a été choisie contre le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 car, en 2003, un précédent candidat vaccin contre le coronavirus SARS-CoV-1, également conçu par les chercheurs de l’Institut Pasteur, basé sur ce même vecteur rougeole, était arrivé au stade de développement clinique, son efficacité avait été démontrée sur un modèle animal. Cependant, son développement n’a pas été poursuivi car l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), causée à l’époque par le virus SARS-CoV-1, s’était éteinte » (même source).

Déferlante

Déferlante

Devant le "scandale Pasteur", il nous faut un pôle public du médicament !

Par la voix de Jean-Luc Mélenchon, la France Insoumise a très tôt dénoncé l’absence d’implication publique dans ce domaine, conjoncturellement et, certainement, structurellement essentiel en matière de santé publique, d’autres épidémies étant malheureusement à craindre dans un futur proche : « Jean-Luc Mélenchon a fait état d’une forme de déclassement de la France avec l’effondrement de l’État. Il s’est interrogé sur la raison pour laquelle la France était la seule grande puissance à ne pas avoir développé de vaccin, ou encore sur la raison pour laquelle c’était LVMH qui avait fourni 5 millions d’euros à l’institut Pasteur de Lille pour des recherches sur un traitement contre le Covid 19 plutôt que l’État. Il a appelé à construire un pôle public du médicament.(https://lafranceinsoumise.fr/2021/01/11/vaccin-effondrement-de-letat-rend-la-france-impuissante).

Il est clair que les choix politiques faits par le gouvernement Macron-Philippe/Castex ne font qu’accentuer les politiques austéritaires et de « redistributions à l’envers » (c’est-à-dire des plus modestes vers les plus riches), que ce soit par les largesses fiscales accordées aux entreprises (suppression de l’ISF, CICE – « crédit d’impôt compétitivité emploi » sic ! mais où est donc l’emploi … - et « flat tax » - ou « prélèvement forfaitaire unique » sur les profits, etc.) ou la baisse de l’impôt sur les revenus des plus aisés amorcée voici une trentaine d’année et jamais remise par les gouvernements successifs de droite ou socio-libéraux (davantage libéraux que … « sociaux » en fait !).

La destruction du bien public ... un véritable Castex !

La destruction du bien public ... un véritable Castex !

Plus nocif que l'épidémie de COVID-19 ?
Le virus des inégalités !

Et c’est ainsi que nous pouvons revenir à nos premiers propos concernant les versements des dividendes en lieu et place des investissements productifs, de la création d’emplois (bien nécessaires ceux-là, que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la recherche des transports publics, etc.) et de l’indispensable hausse des salaires … qui sont bloqués depuis plus d’une décennie ! Les revenus des 0,1% des français les plus riches ont fortement et continuellement augmenté depuis deux ou trois décennies tandis que les dividendes versés par les grandes sociétés capitalistes ont explosé depuis trois ans. Le dernier rapport du Comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité (publié le 8 octobre 2020) avait souligné que les dividendes avaient augmenté de 60% en 2018 puis de près de 10% en 2019, soit 51 milliards d’euros. En outre cette distribution est de plus en plus concentrée puisque les 2/3 de ces sommes sont concentrés dans les mains d’environ 38.000 personnes en 2018 … contre la moitié « seulement » … en 2017 ! Et le rapport d’ajouter que la forte hausse des dividendes reçus par les ménages (pas « tous » les ménages, bien évidemment !) en 2020 est en partie rendue possible par la baisse de leur taxation mais … sans que cette exonération fiscale n’ait eu un impact positif sur les investissements (productifs s’entend). C’est bien ce que nous venons de voir.

Ponctionner là ou ailleurs, c'est Cayman la même chose !

Ponctionner là ou ailleurs, c'est Cayman la même chose !

OXFAM soulignait dans son dernier rapport (« Le virus des inégalités ») que les mille personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau de richesse d’avant la pandémie, en neuf mois seulement … alors qu’il faudrait 10 ans aux plus pauvres pour se relever de son impact économique : perte de revenus, chômage, cessation d’activité pour les petits entrepreneurs, etc. Rien qu’en France, les milliardaires ont gagné 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020 dépassant leur niveau de richesses d’avant la crise sanitaire et atteignant ainsi en fortune personnelle l’équivalent de deux fois le budget de l’hôpital public. Et si les livrets d’épargne ont vu leur encours (total des sommes versées et accumulées) augmenter de 26,4 milliards (2 fois plus qu’en 2019, malgré un taux de rémunération très faible puisque de 0,5%), ce sont essentiellement les plus aisés (20% des ménages) qui les ont abondés, en concentrant 70 de l’épargne soit 32 milliards sur les 50 accumulés entre mars et août 2020 : les investissements productifs n’ont pourtant pas suivi ! L’argent des plus riches s’accumule mais dort, alors que les besoins sont immenses et criant, partout !

L'espoir qui venait du froid

L'espoir qui venait du froid

Concluons alors par la formule choc de Jean-Luc Mélenchon dans son interview accordée à l’hebdomadaire « Challenge’s » (04 mars 2021) : « Il faut taxer les profiteurs du Coronavirus ! ». Un hebdomadaire qui n’est pourtant pas notre tasse de thé !

Chat .... Gesse !

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