EAU : un défi vital !
Depuis le 1er mars 2021 et pour une durée de six mois, les habitants résidant dans le Comité de Bassin Rhin-Meuse sont invités à donner leur avis1 sur les enjeux de l'eau pour les années 2022-2027, dans le cadre de la révision du Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion (SDAGE) et du Plan de Gestion des Risques d'Inondation (PGRI).
Il est étonnant que cette consultation n’ait pas fait l’objet d’une communication plus large de la part des pouvoirs publics. Certes, une conférence de presse a été organisée le 8 mars 2021 par le préfet coordonnateur et le Comité du bassin Rhin-Meuse. Pourtant, la prise de conscience de l'importance vitale que revêt la gestion de l’eau, est clairement affirmée dans le dossier de presse. Il est en effet indiqué que « Les enjeux sont vitaux, les territoires Rhin-Meuse doivent s’adapter rapidement au changement climatique et enrayer son impact sur la biodiversité ».
Sensibiliser les citoyens à la problématique de la gestion de l'eau est une priorité. Trop souvent pensée comme une question technique, la gestion du cycle de l’eau doit être impérativement conçue dans sa dimension politique en tant qu’enjeu d’aménagement du territoire. Elle suppose en effet d’arbitrer entre des intérêts parfois divergents entre les agriculteurs, les entreprises et les usagers domestiques. L’action des pouvoirs publiques locaux doit avoir pour objectif de créer un intérêt commun autour de l’eau.
Le comité de bassin Rhin-Meuse est le lieu où se construit ce projet politique à l'échelle d'un territoire, il peut être considéré comme le « parlement de l'eau », cela se concrétise par la rédaction tous les six ans d'un SDAGE. En conformité avec la directive européenne cadre sur l’eau (DCE) adoptée le 23 octobre 2000, ce schéma fixe les grandes orientations pour atteindre l’objectif de bon état écologique et chimique des eaux. Ce document a une forte portée juridique puisque ses orientations et ses dispositions sont opposables à toutes les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau ainsi qu’aux documents d’urbanisme.
Ainsi pour le SDAGE 2022-2027 du bassin Rhin-Meuse, soumis actuellement à la consultation du public, six enjeux ont été définis :
- Eau et changement climatique, un enjeu chapeautant tous les autres : il est urgent d’agir.
- Eau, nature et biodiversité : préserver la biodiversité et les fonctionnalités des milieux aquatiques, notre assurance-vie pour demain.
- Eau et santé : priorité à la diminution des pesticides et autres substances toxiques.
- Eau et territoires : l’eau et le vivant au cœur de notre cadre de vie.
- Eau et mémoire : gérer les impacts de l’arrêt de l’exploitation minière et les pollutions liées aux guerres mondiales, connaître le passé pour mieux appréhender l’avenir.
- Eaux internationales : une gestion concertée qui ne connaît pas de frontières.
Intéressons-nous plus particulièrement à l'enjeu Eau et changement climatique. Selon l'état des lieux des districts Rhin et Meuse adopté le 6 décembre 2019, des tensions pourraient apparaître dans l'avenir sur de nouveaux secteurs du bassin Rhin-Meuse de par l’accroissement de l’évapotranspiration dû à l'augmentation des températures et l’incertitude sur le régime des précipitations. En effet, si les tendances climatiques actuelles perdurent en Alsace, nous devrions connaître des hivers plus humides, donc à des phénomènes de crues accentués et à des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes et longues ce qui pourrait accroître la concurrence entre les usages domestiques et économiques de l’eau.
D’ailleurs, le Comité d'anticipation et de suivi hydrologique (CASH) chargé de mieux anticiper et gérer les épisodes de sécheresse, a lancé ce constat alarmant lors de la réunion du lundi 17 mai 2021. « Malgré le printemps pluvieux que nous connaissons actuellement, la cartographie d’anticipation de la sécheresse publiée à l'occasion du comité révèle que l’été 2021 pourrait être sec. Elle constitue une projection de la situation d’ici à la fin de l’été et identifie les territoires les plus à risque ». Voici la carte des départements avec un niveau de risque de sécheresse probable pour le Bas-Rhin.
Le tableau ci-dessous résume les conséquences des aléas climatiques selon les activités économiques.
Les conséquences du dérèglement climatique sur l’environnement aquatique sont également nombreuses avec notamment :
- Une aggravation des nuisances dues aux pollutions en raison d'un moindre pouvoir de dilution dû aux basses eaux.
- Un renforcement des phénomènes biologiques comme l'euthrophisation.
- Une détérioration de la qualité des nappes de par une minéralisation accrue de l'azote des sols.
- Une dégradation de la biodiversité des écosystèmes aquatiques et l’apparition d’espèces invasives.
Le SDAGE du comité de bassin Rhin-Meuse se fixe un objectif de 46% des masses d’eau en bon état écologique à l’horizon 2027 sachant que, actuellement, seulement 27% des masses d’eau sont en bon ou très bon état. Selon le document « cet objectif est pourtant réaliste compte tenu du nombre très élevé de masses d’eau assez peu éloignées du bon état écologique (45% des masses d’eau sont en état moyen). ». Il affirme que « l’effet des deux premiers programmes de mesures qui s’est déjà traduit par une amélioration notable de l’état écologique depuis 10 ans, devrait se poursuivre et même s’accentuer par effet cumulatif des mesures mises en place ».
Mais l'étonnement est grand lorsqu’on lit dans le rapport que « L’impact du changement climatique constitue le principal facteur d’incertitude sur l’atteinte des objectifs. Si les conditions météorologiques de ces dernières années se poursuivent, voire s’amplifient, cela peut remettre en cause les projections des objectifs a l’horizon 2027 et au-delà ».
S’en remettre à l'évolution du climat dans l'atteinte des objectifs laisse perplexe, il y a là une forme d'aveu de fatalisme voir d'impuissance. Certes dans le Programme De Mesures (PDM) qui définit les actions concrètes à mettre en œuvre, nous pouvons lire « Le SDAGE et les PDM 2022-2027 des districts du Rhin et de la Meuse sont marqués par la prégnance du changement climatique, sujet transversal et d'envergure aux conséquences majeures sur toutes les politiques sectorielles de gestion de l’eau ».
Ainsi les principales mesures des PDM 2022-2027 pour lutter contre le changement climatique sont les suivantes :
- En milieu urbain, limiter la pollution par temps de pluie et favoriser l’infiltration.
- Dans le domaine des milieux aquatiques, restaurer les cours d’eau et les zones humides.
- Dans le domaine agricole, des pratiques pérennes à faibles intrants chimiques.
- Une amélioration des connaissances destinées à mieux évaluer les pressions sur la ressource en eau, à mieux identifier les secteurs en tension quantitative et à renforcer la gouvernance sur ces secteurs pour une meilleure gestion de la ressource.
- Des économies d’eau, réduction des fuites des réseaux et gestion de crise de sécheresse.
Mais le doute sur la capacité à faire face au changement climatique demeure néanmoins à la lecture suivante : « L’amélioration de la connaissance des pressions sur la ressource en eau est toujours un enjeu pour mieux identifier les secteurs en tension quantitative et renforcer la gouvernance sur ces secteurs pour une meilleure gestion de l’eau ». Un scepticisme renforcé par l’incertitude sur l’évaluation des coûts des mesures du PDM.
Toujours est-il que le montant prévisionnel global s’élève à 1. 425. 418.100 € (1,425 Millard) pour la période 2022-2027, dans la continuité des budgets précédents. Pour mémoire, le montant était de 1.475.346.089€ (1,475 Milliard) pour le cycle 2010-2015 et de 1.484.793.157€ (1,484 Milliard) pour la période 2016-2021.Quant à la répartition par domaine, elle est la suivante :
Nous voyons que le domaine "Ressources" connaît une augmentation significative avec un coût total de 75 Millions et 9.900€, pour 7 Millions et 453 643€ seulement en 2016-2021 et aucun investissement en 2010-2015.
Cette hausse témoigne de la prise de conscience des autorités publiques des conséquences futures des dérèglements climatiques. Une illustration nous est donnée par le projet de charte sur la gestion de la ressource en eau, signé le mardi 18 mai 2021 par le Syndicat mixte des cours d’eau et de la plaine du Rhin, Rivières de Haute-Alsace, la FDSEA, les Jeunes agriculteurs et la Collectivité européenne d’Alsace (CEA). Nous pouvons lire dans les Dernières Nouvelles d'Alsace du 25 mai 2021« Concrètement, les partenaires du monde agricole souhaiteraient que l’État rétrocède ce canal de la Hardt à un organisme local tel que le Syndicat des cours d’eau de la plaine du Rhin, convaincus qu’une gestion de proximité est la meilleure option ». Ils demandent aussi un rattrapage des investissements pour remettre le canal à flot. « Cette histoire de rétrocession, c’est une Arlésienne…….. Mais nous pensons que les planètes sont alignées actuellement, avec la prise en compte de plus en plus grande de la ressource en eau », note Denis Nass, le président de la Chambre d’agriculture ».
Cependant, concernant la lutte contre les pertes en eau par fuite sur le réseau, l’action des pouvoirs publiques démontre que les actions ne sont pas à la hauteur des défis. L’indicateur « Rendement du réseau de distribution d’eau potable » rend compte de l'insuffisance des moyens mis en œuvre pour réduire les pertes d’eau. Avec 80%, la CEA se situe au même niveau que la moyenne nationale en 2018, quel que soit d’ailleurs le mode de gestion de l'eau, publique ou privé. Ce qu’il faut retenir, c’est que en Alsace 1 litre d’eau sur cinq distribués ne parvient pas à l’usager, ce qui constitue un gaspillage irresponsable face aux défis climatiques futurs.
De ce fait, se posent les questions de l'amélioration de la performance des réseaux de distribution, de la politique d’investissement et de la gouvernance, pour faire face à une ressource en eau pouvant être moins généreuse d’ici une vingtaine d’années.
Un constat s’impose d’emblée en la matière, c’est la faiblesse des investissements pour le poste eau potable ces dernières années de par la baisse des aides et subventions des départements, des régions et des agences de l’eau. Ainsi, l'indicateur « taux moyen de renouvellement des réseaux d’eau potable » sur le bassin Rhin-Meuse est de 0,6% : il signifie qu’il faut 170 ans pour le renouvellement de l'intégralité du parc alors qu'un litre d’eau sur cinq est perdu. De plus, un manque de connaissance exacte des infrastructures de distribution d’eau est à souligner, ce qui rend difficile l'élaboration d’une politique d’investissement rigoureuse et ambitieuse.
Enfin, se pose la question de la gouvernance de cette ressource précieuse et vitale qu’est l'eau. Sa gestion en est rendue compliquée du fait du morcellement des services d'eau potable qui sont les communes et les intercommunalités. Mettre en œuvre une politique de gestion patrimoniale des réseaux visant à réduire les pertes et à assurer un bon état des infrastructures nécessite une régulation adaptée. C'est bien ce qu'aborde le programme de la FI, "l'Avenir en Commun" qui propose « la création d'un ministère et d'une fonction publique de l'eau rassemblant l'ensemble des métiers de l'eau » avec « un vaste plan d'investissement dans le renouvellement des canalisations ».
Vous trouverez dans le programme de "l’Avenir en Commun" l'ensemble des objectifs et des propositions concernant l’eau, problématique considérée comme le défi commun de l’humanité. En voici quelques-unes :
- Inscrire l'eau comme bien commun ainsi que la protection de l'ensemble de son cycle dans la constitution.
- Généraliser la gestion publique, locale et citoyenne de l'eau sur tout le territoire.
- Garantir une gestion transparente dans laquelle les usagers sont partie prenante des décisions.
- Garantir la gratuité des quantités d'eau nécessaires pour boire, se nourrir, pour l’hygiène et l'assainissement.
- Établir une carte crédible des cours d'eau de toutes natures pour lesquels s'appliqueront les dispositions environnementales, notamment en matière de rejet.
Certes, la ressource en eau est encore globalement abondante sur l'ensemble du pays et notamment dans le bassin Rhin-Meuse, mais une vigilance accrue est nécessaire avec le changement climatique. Un projet politique national s’inscrivant dans les territoires et la durée doit être élaboré en faisant de l'eau un "bien commun" et en associant les élus, les techniciens, l’ensemble des acteurs locaux ... et la population ! Il s’agit d’encourager à la sobriété des usages et de réguler en amont la ressource.
Ces objectifs doivent infuser l’ensemble des politiques publiques : urbanisme, transition énergétique, aménagement du territoire, sécurité alimentaire, santé publique et développement économique. Intégrer la gestion de l’eau comme une composante essentielle de la transition écologique est crucial. C'est ainsi que l’on garantira un accès à une eau de qualité aux générations présentes et futures, et que l’on préservera les écosystèmes indispensables à la survie de l'humanité.
1) Comment participer ? C'est très simple puisque tout est en ligne sur la plateforme de concertation publique via le lien : https://consultation.eau-rhin-meuse.fr
Alors ... à vos claviers !