Consultation citoyenne sur l'Alsace : si y'a du flou, cherchez le loup !

Publié le par Guy Desportes

Avec 92,4 % des voix, une large majorité des participants à la consultation citoyenne sur l'avenir de l'Alsace s’est prononcée en faveur de la sortie des deux départements alsaciens de la région Grand Est. La question était simple et directe « L’Alsace doit-elle sortir du Grand Est pour redevenir une région à part entière ? ».

Sur la base de ce résultat, les déclarations de Frédéric Bierry, président de la CEA, sont sans ambiguïté mais empreintes d’une certaine emphase. Ainsi, lors de la conférence de presse du 21 février annonçant les résultats, proclamait-il que « L’Alsace veut redevenir une région à part entière. Le résultat est sans appel, ce 21 février est historique. Ce succès nous engage. Il nous oblige. Il m’oblige personnellement. Il oblige aussi tous les élus locaux, la représentation nationale et les autres institutions à répondre positivement aux Alsaciens. » Et de conclure en lançant « l’appel du 21 février pour retrouver le fil de notre histoire et fermer la parenthèse du Grand Est ».

A l’écoute de tels propos l’étonnement est de mise et teinté d’une certaine dérision. Frédéric Bierry ne nous avait pas habitué à autant de grandiloquence, qui ne peut s’expliquer par son seul attachement légitime à la culture et à l’histoire de l’Alsace. D’autant que la participation à cette consultation, fort modeste (moins de 13 % de votants soit 153.844 bulletins validés), devrait l’inciter à se montrer plus réservé. De même, le fait que cette consultation n’a aucune valeur juridique n’a en rien diminué l’enthousiasme dont il a fait preuve à cette occasion.

Détours ...

Détours ...

Un glissement amorcé vers une Europe des régions ?

A moins que les enjeux de cette consultation ne se limitent pas simplement au souhait de « donner corps au désir d’Alsace » comme l’écrivait le préfet Jean-Luc Marx dans son rapport publié en 2018 sur l’avenir institutionnel de l’Alsace. Ne faut-il pas considérer cette consultation dans une approche plus globale, qui trouve sa logique dans l'articulation avec les textes législatifs suivants ?

- La loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015, confiant de nouvelles compétences aux régions et modifiant leurs découpages, notamment en créant la région Grand-Est.

- Le traité d’Aix-la-Chapelle entre la République française et la République fédérale d'Allemagne et portant sur la coopération et l'intégration franco-allemande, publiée au Journal officiel le 22 octobre 2019.

La création de la Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) au 1 janvier 2021.

La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), parue au journal officiel le 22 février 2022.

Le fil rouge de ces changements institutionnels ne serait-il pas à chercher dans ce courant idéologique « l’Europe des Région », promouvant une Union européenne organisée en une fédération de régions à la place de l'actuelle association d'États-nations. Cette orientation politique vise à remplacer les espaces de solidarité et de souveraineté structurés par les États par un grand marché où s’exercerait la concurrence libre et non faussée mis en œuvre par l’Union Européenne. Cette politique trouve à s’incarner dans le Comité Européen des régions, structure européenne composée de 329 membres représentant les autorités régionales et locales des 27 États membres de l’Union. Une telle orientation à l’échelon européen est confortée par les mouvements régionalistes dont l’action, sous couvert de défendre des identités aux contours toujours plus étroits, participe de la remise en cause d’acquis sociaux, issus des luttes du mouvement des salariés.

L’étude des changements institutionnels et les déclarations des responsables politiques et du patronat permettront d’apporter des réponses sur les évolutions en cours et la nature des enjeux sociaux, politiques et économiques.

Un charcutage territorial au service des métropoles.

Promulguée le 7 août 2015, la loi portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) confie de nouvelles compétences aux régions. Il s'agit du troisième volet de la réforme des territoires, voulue par le président de la République François Hollande, après la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi relative à la délimitation des régions n° 2015-29 du 16 janvier 2015.

L'objectif avoué par les initiateurs de cette réorganisation territoriale était de réduire les dépenses publiques locales et de mieux prendre en compte les besoins des citoyens. Cette réforme part du postulat que le dynamisme économique se concentre dans les grandes villes, dans une logique de ruissellement, théorie qui n’a pourtant jamais trouvé sa confirmation dans les faits. C'est qu'en fait le but était de réorganiser les structures administratives françaises avant tout pour réduire le montant global des dépenses publiques, par une forte diminution des dotations de l’État d'une part et, d'autre part, en encadrant les interventions des différentes collectivités locales par une spécialisation de leurs compétences. Il s’agissait de la sorte de convaincre la Commission Européenne de la détermination de la France de s’attaquer aux déficits budgétaires récurrents.

Pour s’en persuader, il convient de se reporter au programme national de réforme 2016, présenté par  Emmanuel Macron lors du conseil des ministres du 13 avril 2016 pour transmission à la Commission Européenne. Nous pouvons y lire, page 36 : « Cet effort de maîtrise de la dépense locale s’effectue en cohérence avec la réforme territoriale ». A l’évidence, l’amélioration du service rendu à la population et la promotion d’une politique de solidarité n’étaient assurément pas la priorité. Ainsi, dans son discours de politique générale du 8 avril 2014, le Premier ministre Manuel Valls annonçait-il la suppression des départements, en charge notamment de la cohésion sociale. Mais ne disposant pas d’une majorité des trois cinquièmes nécessaires à la révision constitutionnelle requise pour supprimer l’échelon départemental, le gouvernement Valls a dû faire marche arrière.

Prenons nos désirs pour une réalité !

Prenons nos désirs pour une réalité !

Un constat accablant !

Tant pour ce qui concerne la réduction des dépenses publiques que l’amélioration de la proximité pour les usagers, le moins que l’on puisse dire est que l’objectif est raté. Pour s'en convaincre il suffit de lire le rapport d'information du 18 décembre 2019 sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015, relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) : celui-ci est édifiant.

Pour mémoire, cette mission d’information était conduite par Bruno Questel, Vice-président du groupe LREM à l'Assemblée Nationale et chargé des relations institutionnelles et des territoires, et Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin et membre du parti "Les Républicains".

« Au final, non seulement la loi NOTRe n’a pas atteint ses objectifs initiaux mais elle a à bien des égards, produit des effets contraires aux intentions du législateur. Il en est ainsi de la simplification du mille-feuille territorial tant décrié, comme de la clarification de la répartition des compétences entre les catégories de collectivités territoriales, des objectifs au demeurant largement inatteignables compte tenu de la complexité de l’action publique locale. En privilégiant l’augmentation de la taille de certaines entités territoriales (intercommunalités, régions) et le renforcement de leurs compétences, les réformes territoriales ont entraîné une perte de proximité pour les citoyens et de manière paradoxale au regard de leurs objectifs, remis en évidence le rôle essentiel de la commune et du département. »

Au passage, les rapporteurs soulignent que « la méthode retenue lors de l’élaboration de la loi NOTRe était inadaptée : l’absence de véritable étude d’impact, le cadre contraignant et rigide de la réforme de la carte intercommunale et des transferts de compétences, mais aussi les hésitations s’agissant de la suppression des départements, ont largement détérioré la relation entre l’État et les collectivités territoriales ».

Principe de subsidiarité et principe de différenciation : même combat !

Suite à un constat aussi sévère de cette réforme nous aurions pu penser que les auteurs de ce rapport allaient proposer de stabiliser l’architecture territoriale en revenant aux trois échelons d’organisation décentralisée (communes, départements, régions). Grande est la surprise en lisant que ... « Il est en revanche nécessaire de lever les rigidités, de procéder à des adaptations et de rétablir des libertés qui ont été entravées par la loi NOTRe, mais aussi de donner du contenu aux principes de subsidiarité et de différenciation ». Tout en précisant : « L’objectif ne doit pas être de bouleverser à nouveau les structures territoriales et la spécialisation des collectivités, les élus locaux exprimant à juste titre une demande de stabilité ». Cependant, les écrits suivants peinent à nous rassurer :

« La différenciation territoriale peut prendre deux formes :

la différenciation des compétences exercées par une même catégorie de collectivités territoriales ;

la différenciation des normes régissant l’exercice des compétences des collectivités territoriales.

Les rapporteurs se limiteront à la question de la différenciation des compétences, car elle seule est susceptible d’avoir un impact sur la répartition des compétences entre collectivités territoriales issue de la loi NOTRe ».

Et les auteurs de livrer le fond de leurs pensées : « La différenciation des compétences apparaît également comme un moyen de donner tout son sens au principe de subsidiarité inscrit à l’article 72, alinéa 2, de la Constitution ». Et d'ajouter encore :  « Depuis le début de son quinquennat, le président de la République a souhaité faire de la différenciation territoriale un nouvel axe de la décentralisation. »

Et d’enfoncer le clou en se prononçant pour « l’inscription du principe de différenciation des compétences dans la Constitution et à la définition des conditions de sa mise en œuvre par une loi organique, ce qui permettrait de lui conférer un cadre juridique incontestable et de favoriser son appropriation par l’ensemble des acteurs. »

Intéressons-nous maintenant au principe de subsidiarité qui trouve son origine dans le droit communautaire européen avec l’article 3 B du traité de Maastricht signé le 7 février 1992 (devenu article 5 à la suite de la nouvelle numérotation issue du traité d’Amsterdam). Rappelons que ce principe de philosophie politique, issu du droit canon, n'appartient pas à la tradition politique française, mais qu'il est conforme avec une vision libérale de l’organisation de la société. Et c’est par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République que ce principe fait son entrée dans la constitution française dans son article 72, alinéa 2.

Toutefois, ce principe peine à s’appliquer en France de par l’existence d'autres principes à valeur constitutionnelle tels que l'indivisibilité de la République ou encore l'égalité des citoyens devant la loi. Ainsi, le Conseil constitutionnel a déjà fait prévaloir le principe d'égalité sur celui de la libre administration des collectivités territoriales dans une décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994. C’est la raison pour laquelle il trouve à s’appliquer non pas de manière ascendante comme dans le cadre du droit communautaire où il appartient aux institutions communautaires de justifier leur intervention, mais par principe "descendant", c'est-à-dire de l’État vers les collectivités territoriales. En raison du caractère unitaire de l’État Français, les collectivités ne peuvent en effet recevoir de nouvelles compétences que de l’État. Cela constitue est une des singularités de l’organisation institutionnelle de la France par rapport aux pays européens.

Saper les fondements de la République française ? 

Cependant, les tentatives de s’attaquer à l'architecture institutionnelle de la France se multiplient ces dernières années au nom d’une recherche d'efficacité du fonctionnement des pouvoirs publics par la proximité avec le citoyen, au risque de voir se développer les inégalités entre les régions et ruiner la cohésion nationale faute de solidarité.

Les propos du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin lors du Congrès du Parlement le 17 mars 2003 sont édifiants : « Le premier levier de la réforme est le principe de subsidiarité et de proximité... La République reste unitaire ; elle n'est pas fédérale, mais elle doit adapter notre ordre institutionnel au principe de subsidiarité ».

La loi NOTRe de 2015 s’inscrit dans cette volonté d’adapter notre ordre institutionnel au principe de subsidiarité en essayant de contourner par différents moyens les principes à valeur constitutionnelle tels que l'indivisibilité de la République ou encore l'égalité des citoyens devant la loi. Cette détermination est d’autant plus suspecte que jamais les tenants de ce principe ne définissent les compétences de l’État qui seraient intransférables au niveau local.

Ainsi un autre angle d’attaque a été emprunté, celui du principe de différenciation. Les propos du Premier ministre formulés le 20 octobre 2017 devant le Congrès de l’Assemblée des départements de France, sont clairs : « [...] nous avons franchi une nouvelle étape de la décentralisation. Cette nouvelle étape ne sera pas celle de grandes transformations institutionnelles appliquées uniformément sur le territoire national. Il s’agira d’une étape où l’uniformité des organisations n’est plus la condition de l’unité de la Nation. Une étape qui laisse place, non seulement à l’expérimentation, mais à la différenciation ».

En fait, derrière le paravent de la prise en compte des spécificités locales au travers du principe de différenciation, se cache la volonté de masquer les inégalités sociales et la réduction des dépenses publiques. Avec la mise en application du principe de différenciation à l’ensemble du territoire est remise en cause l’égalité devant la loi Celle-ci est maintenant modulée d’une collectivité à l’autre, du fait des compétences spécifiques qui leurs sont dévolues. De plus, il en résultera une totale opacité pour les citoyens concernant les compétences des collectivités, et ce à l’opposé du principe de rapprochement.

Continuité territoriale !

Continuité territoriale !

La création de la CEA : une préfiguration de la révision constitutionnelle ?

La création de la CEA s’inscrit dans ce cadre, comme le dit clairement le communiqué de presse du conseil des ministres du 27 février 2019 : « la future collectivité, au sein de la région Grand Est, exercera les compétences des départements, mais bénéficiera également, grâce au présent projet de loi, de compétences spécifiques, de nature à répondre aux caractéristiques de l’Alsace. Ces nouvelles attributions préfigurent ainsi le principe de différenciation des compétences des collectivités territoriales qui a été proposé par le Gouvernement dans le cadre de la révision constitutionnelle. Dans le respect des compétences du conseil régional Grand Est et de l’eurométropole de Strasbourg, la Collectivité européenne d’Alsace sera le chef de file de la coopération transfrontalière sur son périmètre ».

Ainsi, la loi du 2 août 2019 prévoit la création au 1er janvier 2021 de la collectivité européenne d’Alsace, issue de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. La collectivité européenne d’Alsace ne constitue donc pas une collectivité territoriale à statut particulier, comme la collectivité de Corse. Cependant, la loi la dote de compétences spécifiques :

 

  • Elle intervient dans la politique du bilinguisme et du plurilinguisme, selon des modalités définies par une convention opérationnelle conclue avec l’État et le conseil régional Grand Est.
  • Elle est chargée d'établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière.
  • Elle coordonne l'action des collectivités territoriales et de leurs établissements publics en matière de tourisme.
  • Le réseau routier national non concédé lui est transféré.

Pour appréhender la logique qui gouverne la création de la CEA, la lecture de sa présentation sur son site internet est édifiante : « la Collectivité européenne d’Alsace dispose dorénavant de nouvelles compétences qui prennent en compte les spécificités culturelles et géographiques de l’Alsace.

 

  • Plus de coopération transfrontalière pour favoriser la dynamique des entreprises alsaciennes,
  • Plus de bilinguisme franco-allemand pour permettre aux jeunes Alsaciens l’accès à un bassin d’emploi à l’échelle du Rhin supérieur,
  • Plus d’Europe pour faciliter le développement de l’Alsace »

Il apparaît nettement que l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnes vivant en Alsace n’est pas la priorité. Ce sont l’attractivité de son territoire et le dynamisme de ses entreprises qui priment par un renforcement de la coopération transfrontalière.

Traité d'Aix-la-Chapelle : quand l'international s'en mêle.

D’ailleurs, dans le traité d’Aix-la-Chapelle les articles concernant la coopération régionale et transfrontalière s’inscrivent dans la même logique. Certes, l’article 13 alinéa 3 affirme que « Les deux États demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la santé et de la sécurité, ainsi que de la protection de l’environnement ». Mais de par sa formulation juridiquement non contraignante, un tel article laisse la porte ouverte à des dérives qui peuvent être préjudiciables aux salariés.

L'autre inquiétude concerne son alinéa 2 stipulant :

« À cet effet, dans le respect des règles constitutionnelles respectives des deux États et dans les limites du droit de l’Union européenne, les deux États dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports. Si aucun autre moyen ne leur permet de surmonter ces obstacles, des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. Dans ce cas, il revient aux deux États d’adopter la législation appropriée ». Nous retrouvons dans cet article cette volonté de modifier le cadre institutionnel français. Avec le traité d’Aix-la-Chapelle, la nouveauté vient du fait que cela est rendu possible par l'application d’un traité international. Cependant, l’objectif reste le même, à savoir contourner les principes à valeur constitutionnelle tels que l'indivisibilité de la République ou encore l'égalité des citoyens devant la loi, s’attaquant ainsi aux fondements même de la République française.

Un des outils de cette offensive est la création du Comité franco-allemand de coopération transfrontalière prévue par l’article 14 du traité :

« Les deux États instituent un comité de coopération transfrontalière comprenant des parties prenantes telles que l’État et les collectivités territoriales, les parlements et les entités transfrontalières comme les eurodistricts et, en cas de nécessité, les eurorégions intéressées. Ce comité est chargé de coordonner tous les aspects de l’observation territoriale transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, de définir une stratégie commune de choix de projets prioritaires, d’assurer le suivi des difficultés rencontrées dans les territoires frontaliers et d’émettre des propositions en vue d’y remédier, ainsi que d’analyser l’incidence de la législation nouvelle sur les territoires frontaliers »

La loi 3DS en renfort !

Les déclarations du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune tenues lors du Comité franco-allemand de coopération transfrontalière (CCT) réuni le 12 mars 2022 à Strasbourg confirme cette orientation « En 2022, la loi française, dite loi 3DS, représente une avancée majeure dans plusieurs domaines et je compte sur le comité pour contribuer à sa mise en oeuvre ». Ainsi, Clément Beaune appelle le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière à mettre en pratique la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) parue au journal officiel le 22 février 2022. Ce texte tend notamment à favoriser la différenciation territoriale en développant les possibilités de délégation de compétences aux collectivités territoriales pour réaliser des projets spécifiques, et en élargissant le champ d'action du pouvoir réglementaire local.

Capture.

Capture.

Et le Comité européen des régions à la rescouse.

Ainsi, avec la loi NOTRe, le traité d’Aix-la-Chapelle, la création de la CEA le 1 janvier 2021 et la loi 3DS, nous voyons apparaître le fil conducteur qui relie ces différents textes.

Il s’agit bien de démanteler l’architecture institutionnelle française pour la rapprocher du système européen. Je rappelle que le principe de subsidiarité trouve à s’appliquer en France non pas de manière « ascendante », comme dans le cadre du droit communautaire mais descendante, c'est-à-dire de l'Etat vers les collectivités territoriales, en raison des principes d’indivisibilité et d'égalité devant la loi de tous les citoyens de par la Constitution Française du 4 octobre 1958.

Ces dernières semaines, les tentatives pour ancrer le principe de subsidiarité dans l’organisation institutionnelle européenne se font plus pressantes ; elles ont pour origine le Comité Européen des Région.

Pour s’en persuader, la résolution du Comité Européen des Régions adoptée le 28 janvier 2022 est particulièrement explicite. Ledit Comité revendique de ne plus être un simple organe de consultation mais de devenir "un organe de codécision de l’Union européenne dans les domaines politiques clés ayant une incidence territoriale". Orientation confirmée par le manifeste de Marseille du 4 mars 2022, en conclusion du neuvième sommet des régions et des villes organisé par le Comité européen des régions. La lecture du point 5 est sur ce point éclairante :

« Nous préconisons que la fonction consultative actuelle du Comité européen des régions soit progressivement réévaluée pour permettre à ce dernier de jouer un rôle contraignant dans un nombre de domaines d’action précis présentant une dimension territoriale, et tout en évitant d’imposer à l’Union un surcroît de complexité. Une meilleure prise en compte de l’expertise des collectivités locales et régionales dans l’élaboration et la mise en œuvre de la législation européenne conduira à une réglementation plus intelligente, et à une légitimité démocratique accrue de l’Union. Ce renforcement du principe de subsidiarité peut s’opérer en accordant au Comité européen des régions un accès étendu aux négociations entre institutions européennes sur les propositions législatives (trilogues) ou en conférant aux parlements régionaux, dans des circonstances dûment définies, un rôle formel dans la proposition de législation européenne. »

Il ne manquait que lui : Emmanuel Macron à la manoeuvre !

Cette initiative se place dans le prolongement des propos de Emmanuel Macron qui, devant le Comité Européen des Régions le 1er décembre, a présenté la réforme institutionnelle comme une des priorités de la présidence française de l’Union européenne. Dès l'ouverture de son discours les paroles prononcées ne laissent aucun doute sur l’attachement que porte Emmanuel Macron au principe de subsidiarité :

« La Présidence française aura à cœur d’associer à ses travaux et à ses ambitions l’ensemble des institutions, des organes européens dont le Comité européen des régions et vous avez rappelé la représentativité, l’importance de votre Comité. L’importance aussi dans une Europe où la subsidiarité est une valeur essentielle que je ne veux pas oublier. Je dirais qu’à chaque fois que l’Europe a subi ou a eu à subir des critiques d’une bureaucratie parfois galopante, c’est à chaque fois qu’elle a oublié ce principe de subsidiarité et l’importance de celles et ceux qui la font vivre au plus près de nos compatriotes ».

Principe qu’il souhaite d’ailleurs voir renforcer : « je continuerai de me battre pour cette Conférence sur l’avenir de l’Europe, pour les conclusions que nous aurons à en tirer au mois de mai. Comme vous l’avez très bien dit d’ailleurs, pour aussi l’indispensable réforme institutionnelle qui doit en découler pour avoir une Europe plus proche du terrain, plus subsidiaire dans laquelle nos concitoyens ont le sentiment d’être, avec leurs élus de proximité, les véritables décideurs dans laquelle on arrivera à sortir de cette idée que l’Europe est devenue lointaine, distante, parfois technocratique ».

Il convient à cet égard de relever la tonalité alarmiste voire anxiogène de son discours. Emmanuel Macron a particulièrement insisté sur les menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur la démocratie européenne. Et d’après lui, c’est en s’appuyant sur le "local" qu’il est possible de la sauver. En revanche pas un mot n'a été prononcé sur la défense des droits sociaux des salariés à l’échelle européenne, ou sur la lutte contre les inégalités des revenus et des conditions de vie. Ce qui serait assurément le moyen le plus efficace permettant de restaurer la confiance des citoyens européens dans les institutions représentatives.

Nous retrouvons la même orientation dans le programme pour l’élection présidentielle de Emmanuel Macron. Ainsi s’est-il exprimé le 17 mars 2022, lors de sa conférence de presse : « je porterai le projet de simplification territoriale avec le projet de conseiller territorial et la mise en œuvre du droit à la différenciation qui permettra à chaque  territoire de revenir sur les organisations territoriales établies ».

Nous voilà prévenus : en cas de réélection, Emmanuel Macron compte mettre à profit son deuxième mandat pour continuer à saper les fondements de notre République !

Frédéric Bierry en embuscade.

A cet égard, les propos de Emmanuel Macron ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Dans un communiqué du même jour intitulé « En Alsace, c’est simple, nous voulons du pragmatisme », Frédéric Bierry enfonce le clou en déclarant « Ici, c’est simple, la synergie entre Département et Région, c’est l’Alsace ! » et d’ajouter « C’est simple parce que les élus d’Alsace pourront agir sur tous les sujets de la vie quotidienne » et de conclure : « Permettre à chaque territoire de revenir sur les organisations territoriales établies, c’est la proposition du candidat Macron. Ici, la bonne organisation, c’est l’Alsace ».

Dans l’esprit de Frédéric Bierry, le retour à une région Alsace va de pair avec la mise en œuvre du principe de différenciation qui consiste à doter cette nouvelle structure des compétences spécifiques de nature à répondre aux enjeux de l'Alsace, comme son insertion socio-économique dans le bassin rhénan et la coopération transfrontalière. Ainsi est-il envisagé la possibilité pour les collectivités françaises et étrangères de créer une société publique locale pour assurer un service public d’intérêt commun, en application de la loi 3DS.

Avec sa lettre du 24 mars demandant aux candidats à l’élection présidentielle à prendre position pour « une loi pour permettre à l’Alsace de redevenir une région à part entière », Frédéric Bierry maintient la pression en dramatisant les enjeux. A le lire, la création de la région Alsace doit se comprendre ainsi : « pour que la démocratie continue à s’exprimer dans les urnes et qu’elle ne soit pas supplantée par des formes de manifestation plus violente dans la rue ».

Quand la réalité vous rattrappe !
Consultation citoyenne sur l'Alsace : si y'a du flou, cherchez le loup !

Le Parti de Gauche du Bas-Rhin est en désaccord avec cette vision globale de la région.

Si nous sommes favorables à une Région "Alsace" ... pour sortir du cadre de la loi NOTRe et de son découpage grand-régional incompatible avec les réalités des territoires, en revanche nous refusons les principes de subsidiarité et de différenciation qui risquent de disloquer les services publics. Comme l’écrit Jean-Luc Mélenchon dans l’introduction du programme de l’Avenir en commune « Les services publics doivent vraiment garantir à chaque personne l’égalité d’accès aux droits et aux réseaux essentiels à la vie actuelle. Et cela, quels que soient son statut personnel, ses revenus, son patrimoine, son lieu d’habitation. Il s’agit de l’école, de la santé, des transports, des moyens de communication, du logement, de la culture. Là encore, il faudra réparer le maillage fin détruit par plusieurs quinquennats de gestion néolibérale ».

Pour se convaincre des effets nuisibles de l’application des principes de subsidiarité et de différenciation pour le quotidien des français, la lecture du rapport de 139 pages de la Cour des Comptes du 10 mars 2022 nommé « l’entretien des routes nationales et départementales est édifiante. Ainsi « Ce processus de décentralisation a vocation à se poursuivre. La loi relative à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et à la simplification de l’action publique locale (« 3DS ») prévoit un nouveau cycle de transfert de parties substantielles du réseau routier national. Sa mise en oeuvre laisse la plus grande place à la négociation entre les collectivités locales et l’État, voire entre collectivités, de sorte que son résultat reste à ce jour peu prévisible ».

« Il s’ensuit une fragmentation croissante de la compétence routière en France. Au total, notre pays évolue vers un modèle complexe, et assez rare en Europe, dans lequel les responsabilités sont réparties entre tous les niveaux de collectivités publiques, la part du réseau national non concédé, en particulier, devenant très faible, tandis que l’avenir des autoroutes concédées demeure incertain à l’échéance des contrats en vigueur. Or, il ne semble pas que cette transformation et ces perspectives aient donné lieu à une réflexion sur le nouveau rôle de l’État en matière de politique routière ».

Et d’ajouter : « Dans les départements, l’entretien et l’exploitation restent encore trop souvent des variables d’ajustement, en fonction de la situation financière mais aussi d’autres priorités d’investissement. ». Et pour ce qui est du réseau national géré par l’État, la situation n’est pas plus positive, « L’État s’étant tourné récemment vers des cabinets suisses pour établir des scénarios technico-économiques simulant les conséquences de différents niveaux d’effort budgétaire sur l’évolution future de l’état de son réseau. Sur cette base, la loi d’orientation des mobilités a prévu une trajectoire financière jusqu’en 2027 et au-delà, dépassant à terme 1 Md€ par an (contre 775 M€ en 2016). Cette augmentation est substantielle. Pour autant, selon les estimations des experts suisses, elle ne suffirait pas pour maintenir à son niveau actuel l’état moyen du réseau, en raison du vieillissement de ce patrimoine. ».

Notons que, selon le communiqué de presse du Conseil des ministres du 27 février 2019, un des motifs de la création de la CEA est le transfert du réseau routier national non concédé qui est explicité ainsi « au regard des spécificités du trafic routier en Alsace, caractérisé par un report important de flux de circulation de poids lourds en provenance d’Allemagne résultant de la mise en place d’un péage kilométrique sur l’autoroute allemande » avec cette profession de foi « Ce transfert permettra une identification plus simple de l'autorité responsable du réseau routier dans la perspective, notamment, d’une régulation du trafic de transit à l’échelle transfrontalière et d’une meilleure insertion de l’axe Nord-Sud alsacien dans les itinéraires transnationaux européens ». Il reste à attendre les résultats.

Toujours est-il que le rapport de la Cour des Comptes met en évidence que la politique de différenciation ne permet pas automatiquement de répondre aux besoins. Au contraire, faute de mesures appropriées, elle complexifie la gestion et augmente l’opacité de la prise de décision publique.

Pour le Parti de Gauche, la décentralisation doit s’opposer à une conception technocratique d’organisation de la société, elle doit respecter la souveraineté populaire. Celle-ci doit s’exprimer par les lois votées par le peuple pour faire face aux défis démocratiques, économiques, sociaux et environnementaux.

Espoir dressé ...

Espoir dressé ...

Les 10 et 24 avril : un choix de société !

Pour le programme de l’Avenir en commun du candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon, il faut mettre fin avec cette vision libérale de l’organisation de la société, source d’inégalités et de désordres. Il est proposé « d’affirmer les trois échelons d’organisation décentralisée (communes, départements, régions) pour mettre fin à la superposition d'échelons technocratiques (métropoles, intercommunalités géantes) [...] qui éloigne les citoyens des prises de décision »

Pour restaurer la confiance entre le peuple et ses institutions représentatives gravement mise à mal par les dérives autoritaires et technocratiques de la pratique du pouvoir par les gouvernements successifs sous la présidence de Emmanuel Macron, il est nécessaire de refonder nos institutions en convoquant une Assemblée constituante pour passer à la 6éme République.

Les 10 et 24 avril, choisir le bulletin de vote de l’Union Populaire, celui de Jean-Luc Mélenchon, c’est vouloir « construire une société d’entraide ayant pour but l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature ». En face, ce ne sont que diverses variantes d'un "néolibéralisme", de fait autoritaire et inégalitaire.

Un barrage ...pacifique !

Un barrage ...pacifique !

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