Une loi de discorde

Publié le par Guy Desportes

Dans une décision du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la délibération du conseil municipal de Strasbourg du 22 mars 2021 d’accorder une subvention de 2,5 millions à l’association cultuelle Confédération islamique du Milli Görüs pour la construction de la Grande Mosquée Eyyub Sultan.

Dans son communiqué de presse, les motifs invoqués sont essentiellement d’ordres procéduraux. Ainsi peut-on y lire :

« Le tribunal a notamment considéré que la ville de Strasbourg n’avait pas respecté les critères de subventionnement des lieux de culte qu’elle s’était elle-même fixés par deux délibérations de 1999 et 2000, à savoir en particulier que la demande de subvention devait intervenir avant le début des travaux et être étayée d’un plan de financement consolidé. »

Etai d'été

Etai d'été

Déni de réalité.

Par contre, la lecture d’un motif de la décision de justice laisse songeur au regard de la situation sur le terrain des conditions d’exercice du culte musulman dans l’agglomération strasbourgeoise :

« Au demeurant, il appartient à une commune qui entend accorder une subvention à une association d’établir que l’aide envisagée est justifiée par un intérêt public local. En l'espèce, alors que la préfète du Bas-Rhin fait valoir que les capacités existantes pour l’accueil des pratiquants du culte musulman sont suffisantes, la commune de Strasbourg n’expose pas avoir procédé à une analyse des besoins et ne produit aucun état des lieux de nature à mettre en évidence la circonstance que les lieux de culte existants étaient insuffisants ou inadaptés. Dans ces conditions, l’existence d’un intérêt public local n’est pas établi. »

L’appréciation de madame la préfète sur les capacités d’accueil s’apparente à une forme de déni de la réalité tant les besoins sont grands. D’ailleurs, la ville de Strasbourg ne peut s’empêcher d’ironiser sur le mode « si madame la préfète du Bas-Rhin le dit, c’est que cela doit être vrai », notamment par ce communiqué :

« La Ville de Strasbourg prend note de la conviction des services de l’État selon laquelle les infrastructures existantes sont suffisantes pour assurer la pratique, digne et sécurisée, du culte musulman sur le territoire. ».

Assurément, par ces propos l’exécutif municipal prend date pour l’avenir à des fins d’utilisation ultérieure, notamment pour se couvrir d’éventuelles accusations.

Jeux d'influence, arguments de poids !

Jeux d'influence, arguments de poids !

Un climat général de tension.

A la lecture des motifs de la décision du tribunal administratif, l’impression qui prédomine, c’est que ce dossier trouve une issue sage suite à un différend de nature juridique. D’ailleurs, dans cet esprit, Fabienne Keller, Brigitte Klinkert, Thierry Michels, Bruno Studer, Sylvain Waserman, cinq parlementaires de la majorité de Emmanuel Macron, avaient signé une tribune le 9 avril 2021 affirmant que « le régime concordataire nourrit, en Alsace-Moselle, un climat de dialogue et de respect unique en France entre les cultes et l’État ».

Pourtant, il y a plus d’un an, cette décision de la ville de Strasbourg de participer au financement de la construction de la plus grande mosquée d’Europe dans le quartier de la Meinau avait suscité de vives polémiques. Le compte rendu du conseil municipal témoigne de la vigueur des échanges. De même, lors du conseil municipal du 26 septembre 2022, des invectives et accusations comme « islamophobie » ou « révisionnisme » ont fusé, témoignant de tensions qui n’ont pas lieu d’être lors d’un conseil municipal. D’ailleurs, madame la Maire, Jeanne BARSEGHIAN a révélé durant la séance qu’elle avait reçu des menaces de mort au printemps 2021.

De plus, entre madame la préfète du Bas-Rhin Josiane CHEVALIER et madame la Maire de Strasbourg, les relations se sont envenimées concernant ce dossier au point que le différend a été non seulement rendu public ce qui est déjà en soit inhabituel mais l’affaire a été porté devant la justice par la représentante de l’État à la demande du ministre de l’intérieur Gérald DARMANIN. Elle accuse d’ailleurs Jeanne BARSEGHIAN de fournir des « informations inexactes » dans la lettre qu’elle a envoyée au président de la République.

A l’évidence, ce dossier prend une tournure politique où tous les coups sont permis, bien loin de l’esprit de dialogue et de respect mutuel vanté par les défenseurs du droit local. Ainsi, en mars 2021, le parti politique Europe Ecologie/Les Verts avait dénoncé une « cabale médiatique orchestrée par le parti de la majorité, qui, fébrile à l’approche d’échéances électorales, n’hésite pas à diffamer ses opposants politiques et à chercher à les discréditer ».

Assurément, le communiqué du 10 novembre 2022 de Gérald DARMANIN qui « se félicite de la décision du Tribunal administratif de Strasbourg », ne va pas apaiser les esprits.

Parcours d'orientations

Parcours d'orientations

De basses manœuvres politiciennes.

Si le tweet posté par le ministre de l’intérieur en mars 2021 visait la municipalité écologiste, son objectif politique était de montrer à l’électorat de droite et d’extrême-droite sa détermination à lutter contre le communautarisme lors du débat sur le projet de loi séparatisme, dans la perspective des élections présidentielle. Pour les besoins de la démonstration, il s’agissait de montrer du doigt les musulmans et de pointer la connivence à l’égard des islamistes de tous ceux qui s’insurgent contre de telles attaques.

Pour Gérald DARMANIN et les élus macronistes et de Droite du conseil municipal de Strasbourg, la subvention de 2,5 millions d’euros délivrée par la municipalité écologiste de Strasbourg à l’association Millî Görüs pour lui permettre l’achèvement de la mosquée était l’occasion d’une opération politicienne délétère, tout en se prononçant pour la défense du droit local qui permet précisément le vote d’une telle subvention. Comme quoi, les élus macronistes et de Droite ne sont pas à une contradiction près.

Et ce ne sont pas les dénégations enflammées des cinq parlementaires cités précédemment qui pourront dissiper cette incohérence lorsqu’ils claironnent tout en entretenant une confusion entre Concordat et droit local Alsace-Moselle, dans leur tribune publiée par le journal La Croix :

« Les opposants idéologiques au concordat ont exploité et instrumentalisé le débat sensible sur le financement de la mosquée Eyyub Sultan. Ils ont notamment laissé croire que le concordat était la cause de cette mauvaise décision prise par la municipalité strasbourgeoise. Un amalgame grossier et trompeur. Oui, le régime particulier en vigueur en Alsace-Moselle permet aux collectivités locales de financer des projets cultuels dans les limites prévues par le Concordat. Mais, cela n’enlève en rien la responsabilité de chaque collectivité de marquer son exigence sur l’intérêt public du projet qu’elle envisage de soutenir. Dans le cas de la mosquée Eyyub Sultan, le problème tient avant tout à un manque de discernement de la Maire et son équipe municipale et en rien à une faiblesse du concordat. »

Comment croire à leur sincérité en entendant Fabienne KELLER mettre en cause la complaisance avec les islamistes, dont feraient preuve la majorité écologiste de la ville de Strasbourg. Les arguments juridiques avancés, ou la référence à la laïcité pour stigmatiser les musulmans, ne peuvent cacher les arrière-pensées bassement politiciennes des responsables de droite et de la Macronie à l’égard de l’extrême droite.

Chat ... gesse !

Chat ... gesse !

Une ligne de défense inadéquate.

Face à de telles attaques, la réponse ne peut pas être de s’abriter derrière le Concordat et le droit local, comme l’a fait Jeanne Barseghian qui a adopté la posture d’avocate du droit local Alsace-Moselle en déclarant : « Est-ce que Gérald Darmanin remet en cause le droit local et le Concordat ? Dans ce cas, il faut le dire clairement ». Ou bien lors du conseil municipal du 26 septembre 2022 concernant la délibération intitulée « Cadre du soutien de la ville de Strasbourg aux associations cultuelles et projets cultuels » en affirmant : « Elle nous permet de concilier le cadre du droit local avec les principes de la République ».

Adopter une telle ligne de défense revient à prêter le flanc aux attaques infâmes des milieux réactionnaires, qui utilisent la sophistication des règles d’octroi des aides aux associations cultuelles et aux lieux de culte pour stigmatiser la communauté musulmane. D’ailleurs, à vouloir inscrire « le traitement équitable de toutes les spiritualités » dans le cadre du droit local, comme l’établit la délibération du 26 septembre 2022, la majorité écologiste prend le risque d’une instabilité juridique du fait de la complexité de la procédure d’instruction.

La loi de 1905, une loi de concorde.

Pour le Parti de Gauche, la réponse passe par un sursaut républicain en abrogeant notamment le Concordat Alsace-Moselle. Il s’agit de s’appuyer sur les principes de la loi de 1905 qui est une loi de concorde comme l’explique l’article de Jean-Claude VAL[1]. La laïcité est d’abord l'application universelle du principe de séparation stricte des Églises et de l’État et la seule limite à l’exercice des religions est le respect de la loi et de l’ordre public.

La laïcité n’est pas un athéisme d’État. Elle est au contraire la garantie pour chaque Français de vivre libre, qu’il soit croyant ou non.

 

[1]http://www.pg67.fr/2021/05/la-loi-de-1905-une-loi-de-concorde.html

Une loi de discorde
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