Mais où est donc passé l'OR ... ni car !
À la veille du 15 août 1971 le prix officiel de l'once d'or (1 once "monétaire" = 31,10 grammes d'or à 18 carats) était fixé à ... 35 dollars.
Ce "prix de l’or" était fixé depuis plus d’un quart de siècle par le Fonds Monétaire International (FMI) et dans le cadre d’un ensemble d‘accords issus de la "conférence de Bretton Woods". Accords qui se sont tenus dans cette station d’altitude du nord-est des États-Unis d'Amérique (New-Hampshire, une station dotée d’infrastructures hotellières suffisantes pour accueillir les 44 délégations nationales venues y participer, et même une délégation soviétique) durant la presque totalité du mois de juillet 1944 ... Soit bien avant la fin de la seconde guerre mondiale quoique tout juste après le débarquement du 6 juin, remarquez-le !
Anticipant la victoire des "alliés", ces accords avaient pour objectif de dessiner les grandes lignes du système financier international de l’après-seconde guerre mondiale, ébranlé par la "crise des années 30". Si les Etats-Unis d’Amérique occupaient une place prépondérante dans cette conférence internationale dont ils étaient les hôtes, l’Angleterre y était représentée par une personnalité de marque, économiste et membre de la Haute administration britannique, John-Maynard Keynes. Ladite conférence a d’ailleurs consisté essentiellement en une confrontation entre deux "plans" : le "plan Keynes", britannique, et le "plan White" … nord-américain, Harry Dexter White étant l’assistant au Secrétaire d’Etat au trésor US. Et c’est finalement le plan White qui a été adopté, l’Angleterre perdant dès lors définitivement, symboliquement et matériellement, la place hégémonique financière qu’elle tenait jusqu’alors. Elaboré dès 1941 par l’économiste de grande renommée qu’est Keynes, son plan était pourtant beaucoup plus ambitieux que le plan White, qui ne visait qu’à assurer l’hégémonie nord-américaine.
Le plan de Keynes était profondément théorisé par ses écrits antérieurs (Théorie générale, Traité sur la monnaie, La fin du laisser-faire …) et reflétait une philosophie économique, politique et sociale bien plus complète en même temps que progressiste, même si Keynes n’entendait absolument pas « rompre avec le capitalisme ». Au contraire, par son plan Keynes comptait bien sauver le capitalisme en le protégeant des maux à venir intrinsèques au "laisser-faire" qu’il vilipendait, et prédisait avec certitude une nouvelle déroute mondiale … si rien ne changeait ! Il fallait donc … « que tout change … pour que rien ne change » (Giuseppe Tomasi, Comte de Lampedusa, in « Le Guépard ») !
John Maynard Keynes redoutait en particulier les turbulences qu’avait révélées la grande crise financière et bancaire des années 30. Tout cela avait été théorisé dans son ouvrage majeur : « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » (1936). Un titre évocateur, mettant l’emploi au 1er terme de l’équation macro-économique. Un ouvrage " révolutionnaire" pour la pensée économique de l’époque, qui démontre que la réflexion de Keynes n’était pas axée sur un désir hégémonique (de la livre Sterling et du Royaume-Uni) mais était bien plutôt guidée par la certitude que la crise sociale du chômage de masse que connaissait le monde dans les années 30 devait à tout prix être évitée dans le futur. Pour éviter que ne se reproduise ce qu’il pressentait (dès 1936 !) : un nouveau cataclysme mondial, armé !
Il entendait également éviter que les populations touchées par la grande crise globale du capitalisme ne se tournent vers une autre source d’espoir, le "communisme", à moins que ce ne fut vers une nouvelle version de fascisme, dont l’ascension en Europe serait la matrice de ce second conflit mondial … qui allait s’avérer encore plus meurtrier que le premier.
Mais Keynes a perdu. Et les Etats-Unis d’Amérique ont pu imposer "leur" plan qui allait de fait imposer le dollar US en lieu et place de "l’or … cette relique barbare dont il fallait se débarrasser" selon lui (voir notamment son ouvrage d’octobre 1923 : "A tract on Monetary Reform", puis "A Treatise on Money", septembre 1930).
Parallèlement, la "Banque mondiale" que Keynes voulait mettre en place pour émettre une monnaie fiduciaire mondiale, "le Bancor" dont le volume d’émission serait fixé périodiquement par les autorités de cet organisme supranational chargé d’installer la paix monétaire et économique (à l’image de l’ONU chargé de garantir la paix militaire) pour les besoins et le bien de l’ensemble des populations de la planète, cette véritable "Banque mondiale" n’a jamais vu le jour, le plan Keynes n’ayant même pas été examiné sérieusement.
Le prix de l'or servait à déterminer les taux de change entre les principales monnaies nationales par rapport au dollar ... lui-même alors librement convertible en or (entre banques centrales toutefois). Donc elles l'étaient également entre-elles (retour progressif toutefois) puisque les taux de change étaient très stables, quoique ajustables dans le cadre des négociations au sein du FMI.
Le maître mot était celui de la "stabilité des taux de change", visant à faciliter les échanges internationaux ... qui s'étaient sévèrement contractés à la suite de "la grande dépression" et des replis économiques de chacune des Nations, États-Unis d'Amérique compris. Chaque État avait alors cherché à limiter les dégâts de la crise boursière suivie d'une crise bancaire au sein de son territoire. Mais à l'époque, entre 1929 et 1939 (au début du conflit mondial) le système monétaire international était encore celui de "l'étalon-or", très contraignant pour les banques centrales et les États qu’elles représentaient : pour aller vite, la possibilité de création monétaire par la banque centrale dépendait strictement des stocks d'or qu'elle détenait en réserve.
Stabilisé volontairement par les autorités monétaires nord-américaines à 1/35ème d’once d'or dans le cadre des accords de Bretton Woods, le dollar garantissait donc par ricochet systémique la stabilité des taux de change entre monnaies, du moins entre les principales d’entre-elles. Simultanément, les réserves d'or de la FED (Federal Reserve Bank) étaient impressionnantes au (presque) sortir de la guerre (pas loin de 70% du stock d'or monétaire mondial... URSS exclue toutefois !) ; elles permettaient donc d'assurer les besoins en "liquidités" (en dollars imprimés par la "FED") nécessaires aux différents pays pour leurs échanges internationaux (ils pouvaient bien entendu également les solder par des mouvements d'or, mais ce n'était pas l'objectif recherché).
25 ans plus tard, en 1971, la masse de dollars dans le monde atteint toutefois 53 milliards de dollars, ce qui constituait alors plus de cinq fois les stocks d'or du Trésor américain, qui ont effectivement quelque peu fondu (remarquons que nous sommes aujourd'hui très très loin au-delà de ce "misérable" petit montant global, les seules ressources monétaires de la France au sens strict - dites M1, s'élevant par exemple à 1425 Milliards d'euros en février 2023) . La quantité de dollars détenus dans le monde (aujourd'hui des milliers de milliards de dollars !) ne pouvait donc augmenter que si la convertibilité-or du dollar était abolie.
Conscient des difficultés américaines à maintenir la confiance dans le dollar, Nixon annonce unilatéralement le 15 Août 1971 la fin de sa convertibilité-or et, en quelques sorte, la fin du système monétaire de Bretton Woods (fin officialisée par les Accords de la Jamaïque de 1976). Sans chercher un nouvel accord au sein du FMI...
Jugez-en : avant-hier (20 avril 2023) il était fixé par les bourses mondiales des métaux précieux (puisque l'or n'est plus "monétaire") ... au cours (en dollars bien entendu, c'est-à-dire à peine moins en euros) fabuleux de ... 2010 dollars (environ 1850 euros), soit bientôt 100 fois son "prix administré" de 1971 !
Or la production physique d'or n'a pas baissé au niveau mondial, puisque c'est le métal (précieux) qui se conserve le mieux (donc le stock mondial d'or ne diminue jamais) et que, ne "servant à rien" (en dehors des soins dentaires, de la bijouterie et quelques usages de ce type, mais cela ne concerne pas "l'or monétaire"), l'or n'est jamais "consommé" (Voir le dilemme de Midas). L'or n'est donc jamais à re-produire (absence d’usure ou de dégradation de ce métal) : tout au plus faut-il que son stock augmente suffisamment pour que les échanges internationaux (mais aussi nationaux) de matières et marchandises ne soient pas bridés.
A ce jour donc, l’once d’or est cotée sur les marchés internationaux à plus de 2000 dollars !
Cette hausse faramineuse du prix de l'or est bien due à la création monétaire mondiale (essentiellement de la monnaie scripturale et non plus de la monnaie "papier"), une création totalement débridée du fait d'une alimentation sans retenue par les grandes banques centrales. Ces dernières tentent ainsi de sauver le système, en lui apportant les "capitaux" nécessaires dans une véritable "fuite en avant" : créer de la monnaie de manière abondante … pour soutenir les cours des titres financiers, titres "à terme" compris dont ceux sur les matières premières et agricoles. Et éviter ainsi l'effondrement généralisé tant redouté (voir 2008 et la "crise des subprimes") ... mais qui ne fait qu'entretenir (voire accélérer) la spéculation mondiale ! Précisons, pour un lecteur non averti, que les titres financiers "à terme" engagent des contrats sur des productions non encore effectives ou non encore livrées. Il s'agit bien ici de manoeuvres de spéculation sur l'évolution du prix des matières (matières premières, énergétiques ou agricoles).
La spéculation mondiale financière s'est donc envolée en parallèle. Le capitalisme est ainsi entré dans sa phase financière, après avoir été plutôt "industriel" depuis approximativement le milieu du 19ème siècle. Une chose est certaine : on ne peut pas dire que cela nous ait apporté la "stabilité" (on a d'ailleurs eu très chaud en 2008), pas davantage que la "prospérité"... Du moins pas à tous les pays, et pas plus à la totalité de la population à l’intérieur de chaque pays. Au contraire, les inégalités ont très vite augmenté, partout et à vitesse croissante ! Et les conflits aussi, le plus souvent pour s’assurer le contrôle des ressources naturelles, de matières agricoles, minières ou énergétiques.
Alors tant que nous ne remettrons pas en cause ce système capitaliste, plus encore dans sa phase finale dite "financière", il est illusoire de s'attendre à ce que la paix mondiale et la justice sociale soient retrouvées.
La faim dans le monde ne pourra pas régresser non plus, bien entendu, puisque la spéculation touche maintenant tous les domaines, y compris ceux des denrées alimentaires de base (voir notamment les enjeux pour l’Afrique qui se nouent autour de la vente et l’acheminement des céréales produites en Ukraine).
Produire (des biens agricoles) pour un marché mondial dérégulé et assorti d'une spéculation financière sans freins, c'est forcément s'exposer à des variations de cours de ses produits, qui sont en concurrence avec d'autres produits (industriels ou matières premières) et avec les titres financiers des fameux "marchés à terme" ... sur ces mêmes produits indispensables à la vie.
Quant au climat ... chacun sait aujourd'hui le lien direct entre le réchauffement climatique mondial et la déforestation (ou l'artificialisation des terres) ... pratiquées par tous les exploitants de vastes surfaces pour les destiner à la production de biens agricoles de base, eux-mêmes dirigés vers les marchés mondiaux. Et cela ne concerne pas seulement le Brésil et l'Amazonie ... ou les "méga-bassines" de Sainte-Soline !
CQFD ...
Mais il faut maintenant agir, pas seulement réfléchir !
Et vite !
Donc choisir ... entre ça ... et ceci.