Projets de Loi de Finance 2024/2025 : le moment de tous les possibles !
Trois Projets de loi de finance sont en débat en cette fin d'année 2024. Les trois procédures en cours pourraient bien nous occasionner de profonds bouleversements politiques.
1°) Chronologiquement, le premier à être débattu au parlement est le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). C'est aussi le buget public le plus conséquent en termes de volume budgétaire, loin devant le budget de l'état. Le PLFSS de 2025 prévoit 661,5 Milliards d'€ de dépenses (645,4 Milliards de recettes), contre 643,4 pour l'année 2024, dont 263,9 Miliards pour le seul Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie (ONDAM). Des dépenses de santé qui ne représentent que 8% du PIB, ce qui est peu au regard de la proportion (dépenses totales de santé/PIB) constatée aux Etats-Unis d'Amérique où elles approchent les 14% du PIB.
2°) Le Projet de Loi de Finance de Fin de Gestion (PLF FG), qui permet de terminer l'année 2024 en présentant les ajustements complémentaires sans comporter de dispositions fiscales nouvelles, le plus modeste en termes de valeurs monétaires.
3°) Enfin, le Projet de loi de Finance (PLF) ou budget de l'état proprement dit, dont les dépenses sont actuellement ciblées à 513,8 Milliards d'€ pour l'année 2025 mais présentant un solde général déficitaire de - 135,6 milliards d'€ du fait des 379,7 Milliards de recettes prévues.
On peut donc mesurer l'énorme écart de poids du déficit public, entre celui de l'Etat proprement dit, celui des collectivités territoriales fort modeste (5,3 Milliards d'€ pour 2023, alors qu'en 2021 et 2022 elles étaient quaisment à l'équilibre) du fait notament que ces dernières sont tenues de présenter des comptes à l'équilibre, conformément à la fameuse ″règle d'or″ des monétaristes et autres néo-libéraux. Ce à quoi l’État proprement dit ne s'astreint pas !
Examiné à l’AN le 28 octobre 2024, son vote est prévu pour le 05 novembre 2024.
De fait ce vote n’aura pas eu lieu, les députés n’ayant pas pu achever l’examen du texte en première lecture à l’AN dans les délais impartis (05/11). Ce PLFSS n’a donc pas été validé par l’AN en première lecture.
Retraçons l'historique de ce PLFSS.
Le 08 novembre, le texte est transmis au sénat dans sa version originelle, celle du projet de loi du gouvernement, assortie toutefois de quelques amendements (mineurs) retenus par le gouvernement.
Du 18 au 26 novembre, discussion au Sénat avec vote le 26. Le texte est finalement adopté par 202 voix « pour » (LR + « Union des Centristes » + les « Indépendants » d'Edouard Philippe) et 109 voix « contre » (les sénateurs du NFP + les radicaux de Centre-Gauche + quelques voix RN - ils ne sont pas plus de 4 rangés dans cette case des ″sans groupe″). Tous les ″macronistes″ se sont abstenus. Pour apporter les voix de son groupe, Laurent Wauquiez avait précédemment obtenu la suppression de la proposition gouvernementale des 7 heures travaillées gratuitement : manœuvre dilatoire de sa part, bien évidemment.
Après ce vote, le texte est passé devant une Commission Paritaire Mixte (CPM) composée de 7 députés et 7 Sénateurs. Celle-ci a débattu à huis clos à partir du 27 novembre, disposant de quelques jours mais … en 7 heures l’accord fut trouvé : diminution des allègements de cotisations patronales pour 1,6 Milliards d’Euros (au lieu des 4 Milliards initialement prévus par le gouvernement).
Le 02 décembre, le texte validé par la CPM est repassé devant l’AN … et nous connaissons la suite : sans majorité à l’AN, comme ses prédécesseurs Michel Barnier a dégainé un 49.3 supplémentaire (le 24ème sous la présidence de Macron !). Immédiatement suivi du dépôt d’une motion de censure de la part du NFP (le RN a déposé la sienne mais elle ne sera vraisemblablement pas examinée).
Le 04 décembre (au plus tard le 05) sera organisé le vote de cette 1ère motion de censure. Première, car il y a fort à parier que, si le gouvernement ne tombait pas de suite (ruse de dernière minute du RN/FN, par exemple), une seconde motion de censure serait déposée lors de l’examen du Projet de Loi de Finance du budget de l’Etat (PLF).
Il permet ainsi de boucler le budget de l'Etat 2024 par des ajustements de dernière minute, toute nouvelle disposition fiscale étant exclue. Ce PLF FG vient donc compléter la précédente Loi de Finance Rectificative. Ce texte a été présenté en Conseil des Ministres le 06 novembre.
Le 19 novembre 2024, le texte est passé en discussion à l’AN où il a été immédiatement rejeté.
Le 25 novembre ce texte est passé devant le Sénat qui l’a adopté par 232 Voix (Pour) contre 101. Précisons toutefois que le Sénat a annulé 56 Milliards d’€ de crédits, pour limiter le déficit public de 2024 à 6,1 % du PIB courant (au lieu des 6,3% prévus). Mais, en face, il a ajouté 4,2 Milliards d’€ pour des dépenses exceptionnelles : émeutes en Kanaky/Nouvelle Calédonie, Jeux Olympiques etc…
Le 03 décembre le PLF FG passe donc en CPM et le 04 décembre il reviendra à l’AN : à l’heure où nous publions son issue est incertaine.
Ce PLF 2025 n’est rien d’autre qu’un budget d’austérité qui ne peut que cristalliser toutes les tensions. En application de ce « quoiqu’il en coûte », un tel projet de loi de finance impose de ramener les « déficits publics » dans la limite de 5% du PIB … alors que toutes les prévisions anticipent plutôt 7% de déficit !
Or c’est la Commission européenne, cet exécutif européen non élu, qui a validé ce PLF et son objectif de limitation des déficits publics par l’imposition du mécanisme dit de « semestre européen ». Un ensemble de règles très strictes et autoritaires qui imposent des normes drastiques aux différents pays, tenus de s’y soumettre sous peine de sanctions financières.
Il a donc fallu couper sévèrement dans le budget, nous a asséné le gouvernement Barnier en sursis, surtout côté dépenses bien entendu. De sorte à récupérer 60,6 Milliards d’€, soit 2 points de PIB, ce qui est énorme et nous rapproche de la situation subie par la Grèce au moment où la troïka lui a imposé des politiques austéritaires (2008-2014 pour l’essentiel). A ce propos, rappelons ce que le peuple grec a enduré sous le joug des mémorendums imposés par cette « troïka » BCE, FMI, Commission européenne :
« Le produit intérieur brut (PIB) nominal [de la Grèce] est [ainsi] passé de 242,1 milliards d’euros en 2008 à 179,1 milliards d’euros en 2014. L’économie réelle est en récession depuis 2009 et le PIB s’est contracté de 26 % entre 2008 et 2014, principalement à cause de la baisse brutale des investissements et de la consommation publique et privée. Le ratio dette/PIB n’a cessé d’augmenter et est passé de 109,3 % en 2008 à 177,1 % en 2014. » (Cf. « L’impact de la crise financière et des mesures d’austérité sur l’état de santé des Grecs et le système de santé en Grèce », Revue française des affaires sociales, in CAIRN : https://shs.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2015-3-page-200?lang=fr).
Ces 60,6 Milliards d’€ de réduction des déficits publics recherchée se décomposent en 41,3 Milliards en réduction des dépenses (dont 21,5 Milliards pour le seul État, et on se doute bien sur quels budgets ils vont aller les chercher !). Il faudra trouver en outre 19,3 Milliards de recettes « exceptionnelles, temporaires et ciblées » (sic).
Du 16 au 19 octobre : durant ces quatre jours, la version gouvernementale du texte est passée devant la Commission des Finances, présidée par Éric Coquerel. Après l'avoir passée à la moulinette, entre amendements de suppression et création de nouvelles taxes, la commission a rejeté le texte du gouvernement. Par ailleurs, la commission des finances a fait d’autres propositions dont des amendements pour soutenir le logement social, etc … C'est donc dans sa version initiale que le texte arrive en discussion dans l'hémicycle. (Pour davantage de détails, cf. ″Banque des Territoires″ : https://www.banquedesterritoires.fr/plf-2025-retour-la-case-depart-pour-la-partie-recettes).
Du 21 au 29 octobre, la première partie (recettes) a été débattue à l’AN mais elle a été rejetée le 12 novembre. Donc l’ensemble du texte a été invalidé, avant même que ne soit examinée la partie dépenses.
Pourtant, durant les débats devant la Commission des Finances, le texte originel (celui du gouvernement) avait été fortement amendé au point qu’il est devenu ″NFP compatible″. Il est vrai que l’on était allé chercher l’argent là où il se trouve.
Durant la séance plénière, « les députés ont largement remaniée le texte originel en adoptant 472 amendements sur les quelque 3 500 déposés avant le début des débats. Ils ont notamment élargi et pérennisé la nouvelle surtaxe sur les plus hauts revenus, renforcé l'exit-tax, créé un nouvel impôt de 2% sur le patrimoine des milliardaires et une taxe exceptionnelle sur les superdividendes. En outre, le versement du crédit impôt recherche (CIR) a été conditionné à l’interdiction pour les entreprises bénéficiaires de délocaliser leurs activités à l'étranger pendant dix ans. » (Projet de loi de finance pour 2025 ; https://www.vie-publique.fr/loi/295632-budget-2025-projet-de-loi-de-finances-plf#:~:text=Le%20projet%20de%20budget%20de,produit%20int%C3%A9rieur%20brut%20(PIB)).
Appréciez le paradoxe : le texte initial ayant été si bien amendé par la gauche NFP, c’est elle qui a voté favorablement son adoption (192 Pour) … quand il a été massivement rejeté (362 voix contre) par la droite et l’extrême-droite.
Le 13 novembre le texte est donc parti au Sénat dans la version originelle.
Du 25 novembre au 12 décembre : discussion en cours au Sénat.
Foire d’empoigne. Le premier Ministre, Michel Barnier, tente quelques concessions pour amadouer les sénateurs, dont la proposition de désindexation partielle (au lieu de totale dans la première version) des retraites sur l’inflation ainsi que la possibilité d’un blocage temporaire des prix de l’électricité, le tout à l’adresse du RN/FN.
La partie recette est adoptée le 1er décembre, la partie dépense étant mise en discussion jusqu’au 12 décembre. Au passage et contre toute attente, et à 6 voix près de majorité, les sénateurs ont adopté le 26 novembre un relèvement du taux de la ″Flat Tax″ (le fameux Prélèvement Forfaitaire Unique – PFU – sur les revenus de placement) alors que le gouvernement comptait sur eux pour minorer les amendements frappant plus lourdement les impôts sur le capital. Où va-t-on si même les sénateurs …
Si nécessaire, une nouvelle Commission Mixte Paritaire sera mise en place le 16 décembre (rappelons qu’il ne lui a fallu que 7h30 pour se mettre d’accord sur la PLF FG ). Le texte qui en ressortira devra passer à nouveau devant l’AN et tout devra être bouclé pour le 21 décembre de sorte que le budget 2025 soit promulgué par le Président de la République et publié au Journal Officiel au plus tard le 31 décembre 2O24.
Mais d’ici là … tout autre scénario est possible !