LA ZFE-m, UN BOL D'AIR INDISPENSABLE (2éme Partie)
Face à la pollution de l'air,
l'absurdité des politiques publiques
Dans un premier article, nous avons constaté une baisse de la pollution atmosphérique en 2023 sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS). Cette baisse reflète des conditions météorologiques favorables mais aussi l’application de politiques locales visant à réduire les émissions de polluants, notamment de par la mise en place de la Zone à Faibles Émissions-mobilité (ZFE-m).
Dès le début, la majorité de l’EMS s’est fortement engagée dans la lutte contre la pollution. Elle a notamment mis en place le Plan Climat 2030, adopté en décembre 2019. Ce plan comprend des objectifs thématiques clairs et un plan d’action structuré.
En effet, il était impératif d'agir face à la dégradation de la qualité de l'air. Cette détérioration a entrainé une hausse inquiétante des maladies liées à la pollution, comme les cancers, ainsi que les maladies cardiovasculaires et neurologiques.
Dans cet article, nous analyserons le contexte politique et règlementaire entourant la décision de l’EMS de reporter l'interdiction des véhicules dotés de la vignette "Crit'Air 3". Nous examinerons également l'évolution des seuils règlementaires suite à la signature le 23 octobre 2024 de la "directive européenne concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe". Enfin, au vu de ces nouvelles normes, nous évaluerons si la décision de l'EMS est justifiée sur le plan sanitaire.
Suite aux dépassements des normes de qualité de l'air, des procédures contentieuses ont été engagées contre l'État français. Ces procédures visent le non-respect des seuils fixés par la directive 2008/50/CE sur la qualité de l'air. Elles concernent en particulier le dioxyde d'azote (NO₂), dont les valeurs limites protègent la santé humaine. De plus, la France a été condamnée le 28 avril 2022 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour des dépassements persistants des valeurs limites de particules fines (PM10).
En réponse, la France a rendu obligatoire la mise en place de Zones à Faibles Émissions-mobilité (ZFE-m) dans 11 métropoles, y compris l'EMS, conformément à la Loi d'Orientation des Mobilités (LOM) de 2019. Cette obligation a été étendue par la loi Climat et Résilience de 2021, imposant des ZFE-m dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitant·es d'ici fin 2024. Cela représente 42 agglomérations, mais actuellement, seules 12 ZFE sont en place.
La loi Climat et Résilience de 2021 a introduit deux obligations pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants. La première concerne les agglomérations où les niveaux de NO₂ dépassent la valeur guide de l’OMS, fixée à 10 µg/m³. Dans ces cas, une règlementation ZFE-m doit être appliquée. La seconde concerne celles où le NO₂ dépasse le seuil national de 40 µg/m³. Dans ces zones, une ZFE-m est requise avec un calendrier précis pour chaque phase d'interdiction des véhicules polluants.
Voici les modalités principales de de la ZFE-m de l’EMS délibérée le 15 octobre 2021 pour un déploiement à partir du 1 janvier 2022.
Lors du comité ministériel du 19 mars 2024, des annonces importantes et inattendues ont été faites par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, et Frédéric Valletoux, ministre délégué à la Santé. Ils ont précisé que les agglomérations respectant les seuils de qualité de l'air seraient désormais appelées "territoires de vigilance". L'EMS a reçu cette classification. Elle peut donc suspendre les étapes futures de son calendrier de restrictions liées aux ZFE. Cependant, l'EMS a choisi de conserver son calendrier initial pour plus de cohérence et d'efficacité dans son effort de réduction de la pollution de l'air.
En effet, comme le précise la note de l'ADEUS "si la qualité de l’air de l’Eurométropole s’améliore tendanciellement, il est difficile d’attribuer cette évolution à la seule ZFE-m, même si l’on peut observer une accélération du renouvellement du parc automobile roulant dans l’Eurométropole. Les modélisations de l’étude d’impact initiale montraient que les effets de ce dispositif sur la qualité de l’air seront plus marqués avec les étapes d’interdiction des véhicules Crit’Air 3" (1)
De plus, une nouvelle directive européenne sur la qualité de l'air ambiant a été officiellement adoptée par le Conseil de l'Union européenne le lundi 14 octobre 2024. Cette révision témoigne d'une volonté accrue de privilégier la santé des citoyens de l'UE, en fixant des normes plus strictes pour les principaux polluants atmosphériques, à atteindre d'ici 2030. Effectivement, la pollution atmosphérique est le principal risque sanitaire environnemental en Europe, les polluants pouvant être extrêmement nocifs tant pour l'homme que pour l'environnement. Environ 300 000 décès prématurés surviennent chaque année en Europe en raison de la pollution atmosphérique.
Ces normes sont désormais plus étroitement alignées sur les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de qualité de l'air, reflétant les dernières avancées scientifiques en la matière. Parmi les polluants visés figurent notamment les particules en suspension (PM10 et PM2,5), le dioxyde d'azote (NO₂) et le dioxyde de soufre (SO₂), tous reconnus pour leurs effets délétères sur le système respiratoire. Ainsi, peut on lire dans son article 3 « Aux fins des objectifs fixés à l'article 1er, la Commission évalue lors de son réexamen les options et les calendriers pour faire en sorte que les normes de qualité de l'air soient en adéquation avec les lignes directrices les plus récentes de l'OMS sur la qualité de l'air et avec les données scientifiques les plus récentes », le tableau ci-dessous présente les nouveaux seuils
Un écart important existe entre les normes en vigueur dans l’Union Européenne et les recommandations de l’OMS. Les seuils de l’OMS, basés sur des données scientifiques, visent à protéger la santé publique. Ils sont plus stricts que les normes européennes et nationales, qui tolèrent des niveaux de pollution plus élevés. Le tableau ci-dessous montre cet écart pour trois polluants principaux : le dioxyde d'azote (NO₂), les particules fines PM2,5 et les particules grossières PM10.
Le document de travail « Dernières valeurs guides de l’OMS en matière de qualité de l’air extérieur : situation de la France » (2), publié en octobre 2024, présente des simulations du Service des données et études statistiques (SDES) pour évaluer la position de la France face aux nouvelles valeurs guides de l'OMS de septembre 2021. Ces valeurs concernent six polluants clés. Le rapport souligne les écarts entre les niveaux observés en France et les recommandations de l’OMS, conçues pour limiter les effets de la pollution sur la santé.
Nous pouvons lire « Les résultats des simulations montrent que de très nombreux territoires sont concernés par des dépassements des valeurs guides de l’OMS pour les particules de diamètre inférieur ou égal à 10 µm (PM10) et celles de diamètre inférieur ou égal à 2,5 µm (PM2,5), le dioxyde d’azote (NO2) et l’ozone (O3), alors que c’était peu ou pas du tout le cas pour les normes règlementaires actuelles »
À la lumière de ce constat, il apparaît que les décisions prises par le gouvernement de Gabriel Attal en mars 2024 sont irresponsables. Elles répondent à des motivations électoralistes évidentes. Et il est vrai aussi que les révoltes du monde agricole a joué dans la prise de décision du gouvernement. Cette attitude est d'autant plus surprenante lorsque l'on examine les données issues du dossier de presse publié à la suite du comité ministériel consacré à la qualité de l'air en milieu urbain.
En effet, il y est précisé que « Dans les zones en dépassement régulier des normes de qualité de l’air, l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 en 2025 entraine par rapport à 2018 une réduction entre 31 % et 50 % des émissions de NOX selon les territoires concernés par la mise en place d’une ZFE. S’agissant des émissions de particules PM10, cette même mesure a pour conséquence une réduction entre 24 % et 48 % selon les territoires. » Ces chiffres soulignent clairement l’impact positif des ZFE dans la lutte contre la pollution de l’air. Nous pouvons supposer que les bénéfices observés dans les zones en dépassement régulier des normes de qualité de l’air s’appliquent également aux zones respectant les seuils règlementaires.
Ainsi, le gouvernement reconnaît l’efficacité des ZFE dans la lutte contre la pollution atmosphérique. Pourtant, à l'approche des élections européennes, il choisit de modifier ce dispositif, une décision soutenue d'ailleurs par les partis de droite à Strasbourg. Un tel revirement suscite des doutes sur la cohérence et la continuité des actions publiques visant à réduire la pollution de l'air.
Les Zones à Faibles Émissions (ZFE) sont aujourd'hui un outil reconnu contre la pollution atmosphérique. Elles permettent d’agir directement sur les sources de pollution et de freiner la dégradation de la santé des populations exposées. En limitant progressivement les véhicules les plus polluants, les ZFE améliorent la qualité de l’air. Plusieurs grandes villes européennes, qui ont adopté ce dispositif depuis des années, ont obtenu des résultats concrets prouvant son efficacité.
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A Madrid, la ZFE a permis de réduire la concentration de dioxyde d’azote (NO2) de 32%. (3)
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A Lisbonne, la ZFE a permis de réduire la concentration de NO2 de 12% et celle de PM10 de 23%. (4)
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Dans 25 villes allemandes, l’introduction de ZFE de phase 1 a réduit l’impact total du transport routier sur la santé en Allemagne de 5%, tandis que l’introduction de zones de phase 2 les réduit de 16,2%. (5)
La décision prise par l’EMS de revenir sur l’interdiction des véhicules classés "Crit'Air 3" à la fin de l’année 2025 apparaît prématurée au vu des données récentes. En effet, les chiffres publiés par le Service des données et études statistiques (SDES) le 23 septembre 2024 révèlent que, bien que le nombre de voitures particulières ait diminué en 2023, cette tendance s’est inversée en 2024, avec une nouvelle augmentation.
Le tableau ci-dessous montre également que, entre le 22 octobre 2023 et le 22 octobre 2024, les concentrations de dioxyde d'azote (NO₂) ont presque quotidiennement dépassé le seuil recommandé par l'OMS, fixé à 10 µg/m³, observé dans les stations de mesure de Strasbourg Neudorf (Écoquartier Danube) et Strasbourg Clémenceau. Ce dépassement illustre la persistance de la pollution atmosphérique dans ces zones urbaines.
Ces informations soulèvent des interrogations quant à la pertinence d’un assouplissement de la réglementation, notamment dans un contexte où la réduction des émissions polluantes demeure une priorité.
Dans un article ultérieur, nous examinerons la légitimité de la décision de report prise par la Présidente de l'EMS Pia Imbs, justifiée par la nécessité de tenir compte de « la situation économique et sociale des ménages ». Pourtant, les français se montrent de plus en plus préoccupés par les enjeux environnementaux. Face à cette contradiction, nous analyserons les obstacles sociaux et économiques à une politique efficace de lutte contre la pollution de l'air. Nous interrogerons également les conditions nécessaires pour assurer une mise en œuvre équitable et socialement acceptable par tous des Zones à Faibles Émissions (ZFE).
(1) ADEUS Évaluation de la Zone à faibles émissions-Mobilités EMS, rapport détaillé, Septembre 2024
(2) Commissariat général au développement durable, Dernières valeurs guides de l’OMS en matière de qualité de l’air extérieur : situation de la France, Octobre 2024
(3) M. CARDENAS-MONTESA, 2021, Évaluation de l'impact d'une zone à faibles émissions : le centre de Madrid comme étude de cas, CIEMAT.
(4) F. Ferreira, P. Gomes*, H. Tente, A.C. Carvalho, P. Pereira, J. Monjardino, 2015, Amélioration de la qualité de l'air suite à la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne en faveur des faibles émissions de CO, CENSE.
(5) Christiane Malina , Frauke Scheffler, L'impact des zones à faibles émissions sur les particules, University of Muenster.