SCOTERS:QUAND L'EMS S'ARRETE AU DIAGNOSTIC

Publié le par Guy Desportes

Par arrêté du 10 juillet 2025, Madame Pia Imbs Présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), a prescrit l’ouverture de l’enquête publique relative à la révision n° 1 du Schéma de Cohérence Territoriale de la Région de Strasbourg (SCOTERS).

Il est regrettable de constater que l’enquête publique, menée du lundi 25 août au mardi 30 septembre 2025, n’ait pas bénéficié d’une concertation à la hauteur de son enjeu. Pourtant, le SCOTERS revêt une importance stratégique majeure dans les processus d’aménagement et de planification du territoire.

Scoters : changer impérativement les pratiques !

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Un sentiment de perplexité

La lecture des documents du dossier suscite un sentiment de perplexité, voire d’incompréhension. Un décalage notable se dessine entre le diagnostic établi et les propositions concrètes qui en découlent. Le diagnostic, rigoureux et solidement argumenté, met en évidence l’impasse à laquelle conduit la logique du mode de développement issu du SCOTERS approuvé en 2006. Ce constat est d’ailleurs exprimé avec force dans le titre d’un paragraphe du Projet d’aménagement stratégique : « Un système à bout de souffle, à réinventer ».

Cependant, les orientations opérationnelles et les choix formulés dans le nouveau dossier ne traduisent aucune rupture significative avec la logique structurelle ayant présidé à l’élaboration du précédent SCOTERS. En effet, au-delà des déclarations d’intention et des principes affirmés selon lesquels « le projet de territoire du SCOTERS doit répondre aux nouveaux défis climatiques, économiques et sociétaux, en replaçant l’humain au cœur des politiques publiques afin de garantir une gestion plus résiliente des ressources au bénéfice de la qualité de vie », les propositions concrètes apparaissent largement en deçà des ambitions affichées.

L’exemple de l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à l’horizon 2050 illustre particulièrement ce décalage. Le document affirme que la mise en œuvre de cet objectif doit passer « par un important changement des pratiques ». Toutefois, les modalités envisagées demeurent floues et ne sont pas à la hauteur des transformations structurelles qu’exige une telle orientation.

Définition du SCOTERS

Rappelons tout à d’abord le périmètre d’application du SCOTERS. Il regroupe quatre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : l’Eurométropole de Strasbourg, la Communauté de communes du Canton d’Erstein, la Communauté de communes du Kochersberg et la Communauté de communes du Pays de la Zorn. Cet ensemble couvre un total de 104 communes, représentant près de 600 000 habitants.

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Le Schéma de Cohérence Territoriale constitue un instrument de planification territoriale à long terme, instauré par la loi du 13 juillet 2001 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite loi SRU. Son périmètre ainsi que son contenu ont été redéfinis par l’ordonnance du 17 juin 2020, dans le but de les adapter aux enjeux contemporains du développement territorial, notamment en matière de durabilité, de sobriété foncière et de cohérence des politiques publiques locales.

Un document de planification majeur

Pour une période prospective de vingt ans, le SCOTERS constitue ainsi la feuille de route stratégique des politiques territoriales visant à accompagner les mutations de l’agglomération strasbourgeoise et à répondre aux enjeux de son développement. Il a pour vocation de définir un cadre de référence et d’assurer la cohérence des politiques publiques menées en matière de sobriété foncière, de politique de l’habitat, d’urbanisme, de développement économique, d’implantation commerciale, de mobilité, de préservation de la biodiversité, de transition énergétique et de protection de l’environnement.

Ce dernier constitue un document pivot en ce qu’il permet au PLUi de l’EMS de ne se référer juridiquement qu’à lui, dans la mesure où il intègre les prescriptions issues des documents de planification supérieurs tels que le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux des districts Rhin et Meuse (2022-2027) (SDAGE), le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux Ill Nappe Rhin (SAGE) et le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) élaboré par la Région Grand Est.

Sa valeur juridique revêt donc une importance majeure dans la mesure où le SCOTERS garanti la cohérence des documents sectoriels intercommunaux tels que le Programme Local de l’Habitat (PLH) et le Plan de Déplacements Urbains (PDU) de l'EMS. Ces documents doivent, en effet, être compatibles avec les orientations définies par le SCOTERS. Rappelons que le PLH et le PDU sont intégrés au PLUi de l'EMS afin d'assurer une meilleure cohérence entre les différentes politiques publiques

Un diagnostic de la métropolisation lucide

Analysons maintenant le diagnostic territorial établi par le Projet d’aménagement stratégique du SCOTERS. Il révèle avec acuité les contradictions internes d’un modèle de développement désormais à bout de souffle. Derrière l’image d’une région strasbourgeoise dynamique et attractive, se dessine une réalité plus sombre, celle d’un territoire sous tension où les logiques de croissance métropolitaine produisent des déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux de plus en plus marqués.

Sans équivoque ...

Sans équivoque ...

La métropolisation, longtemps présentée comme moteur d’innovation et de compétitivité, apparaît ici comme un facteur d’aggravation des inégalités territoriales. La concentration des activités et des flux dans le cœur métropolitain génère une hypermobilité structurelle, accentuant la dépendance à la voiture individuelle et aggravant les phénomènes de congestion et de pollution atmosphérique. Ces dynamiques entraînent une dégradation progressive du cadre de vie et de la santé publique, touchant aussi bien la population métropolitaine que les territoires périurbains et ruraux environnants

Sur le plan résidentiel, l’attractivité de Strasbourg alimente une spéculation foncière et immobilière qui fragilise les ménages les plus modestes. Le marché du logement, guidé par des logiques de rendement, répond de moins en moins aux besoins sociaux, tandis que la production de maisons individuelles en périphérie favorise l’étalement urbain, la consommation foncière et la dépendance énergétique. Ce processus alimente un cercle vicieux : l’urbanisation diffuse détruit les terres agricoles, raréfie les espaces naturels et renforce la vulnérabilité écologique de la plaine rhénane.

Ainsi, la contribution du SCOTERS à la production de logements neufs dans le Bas-Rhin a nettement progressé au tournant des années 2010, atteignant en moyenne 63 %, contre 43 % entre 1999 et 2010. L’effort de construction se révèle particulièrement marqué dans l’EMS qui concentre à elle seule près de 83 % des logements produits dans le périmètre du SCOTERS. Cette dynamique métropolitaine, soutenue par les politiques locales d’attractivité urbaine, a ainsi contribué à accentuer le processus de métropolisation au détriment des territoires périphériques.

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Un modèle de développement en crise

Plus profondément, ces phénomènes traduisent la persistance d’un modèle d’urbanisation hérité de l’après-guerre, fondé sur l’abondance supposée des ressources foncières, énergétiques et environnementales. Or, ce modèle se heurte désormais à ses propres limites. Il révèle une incapacité structurelle à concilier attractivité métropolitaine et soutenabilité territoriale. La métropolisation, loin de constituer une solution, accentue les fractures territoriales, tout en compromettant la résilience écologique du territoire.

Ainsi, dans un paragraphe intitulé « Un risque de précarisation des ménages et de dépendance de certains territoires par rapport à d’autres », figurant dans l’annexe 3 « Démographie – Habitat », un passage met en lumière la progression de la précarité sous ses différentes formes c'est à dire sociale, énergétique, liée à l’accessibilité aux services publics et à la mobilité. Ce texte souligne l’accentuation des ségrégations sociales entre les espaces au sein de l’Eurométropole.

« sur le SCOTERS, on trouve des communes qui montrent une combinaison de facteurs à risque susceptibles de les placer les ménages qui y vivent dans des situations de vulnérabilité énergétiques et, de se placer elle-même en situation de dépendance par rapport à d’autres territoire. Il s’agit des facteurs suivants : l’isolement, l’absence d’offre de transports et la progressive perte de services et d’emplois notamment. Ainsi, sur le SCOTERS, près d’un quart des communes accueillent des ménages qui n’ont pas accès aux services et équipements du quotidien, ni dans la proximité, ni en moins de 60 minutes en transports en commun. On compte 20 % de communes supplémentaires, soit au total 40 % des communes du SCOTERS, où vivent des ménages qui n’ont pas accès aux services et équipements du quotidien, ni dans la proximité, ni en moins de 45 minutes en transports en commun. »

Quand la stratégie nie le diagnostic

Malgré le constat alarmant établi quant aux effets de la métropolisation, il est surprenant de constater, à la lecture du paragraphe intitulé « Axe 1 Un territoire solidaire », les orientations suivantes :

« Afin d’assumer son rôle métropolitain, le SCOTERS se fixe pour objectif, à l’horizon 2050, d’accueillir près de 660 000 habitants. Cet objectif se traduit par une production de logements, modulée par périodes de dix ans (voir p. 18), en réponse aux besoins de la population actuelle et future. »

Dans cette perspective, les objectifs en matière de construction de logements sont définis comme suit :

« Afin de préserver les équilibres territoriaux et d’assumer pleinement son rôle, le SCOTERS se fixe pour objectif, à terme (2050), de produire environ 97 100 logements, répartis par tranches décennales selon la programmation suivante :
• 35 200 logements pour la première décennie (2021-2030) ;
• 32 700 logements pour la deuxième décennie (2031-2040) ;
• 29 200 logements pour la dernière décennie (2041-2050). »

Cette projection démographique et immobilière, présentée comme une réponse aux impératifs de solidarité territoriale, révèle néanmoins une tension fondamentale entre le diagnostic et les orientations stratégiques du document. En effet, alors même que le SCOTERS reconnaît les effets délétères de la métropolisation à savoir l'intensification de l’artificialisation des sols, l'accroissement des inégalités territoriales, la saturation des infrastructures et la dégradation des milieux naturels, il promeut simultanément une dynamique de croissance urbaine qui en reproduit les mécanismes.

Il convient de préciser que seul 30 % de la production totale de logements devront être consacrés au logement aidé. Cette orientation implique la création d’une offre supplémentaire estimée à 30 000 logements aidés à l’horizon 2050 afin de répondre à la forte demande en matière de logement social,

De plus, il importe de rappeler que la notion de logement aidé recouvre l’ensemble des logements bénéficiant d’un soutien public pour le locatif et pour l'accession qu’il émane de l’État ou des collectivités territoriales. Cette catégorie englobe ainsi tant les logements sociaux publics que les logements locatifs privés faisant l’objet d’une convention avec l’État.

Une incohérence inexpliquée

Ce qui frappe à l’analyse des données du SCOTERS, c’est la discordance manifeste entre les prévisions de progression démographique et les projections de croissance du parc de logements. En 2020, la population s’élevait à 602 594 habitants pour 276 737 ménages tandis que le parc de logements comptait 309 322 unités.

Selon les projections démographiques fondées sur les scénarios de l’INSEE, la population pourrait, à l’horizon 2050, atteindre 602 000 habitants dans le scénario bas, 718 500 habitants dans le scénario haut et environ 660 000 habitants dans le scénario central, soit pour ce dernier scénario une augmentation modérée de 9 % par rapport à 2021.

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En revanche, le nombre de logements projeté à cette même échéance connaît une progression beaucoup plus soutenue, de l’ordre de 31 %. Cette divergence ne peut pas s’expliquer par la poursuite de la diminution de la taille des ménages qui s’établit à 2,13 personnes par ménage comme le montre le tableau ci-dessous.

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Par contre, le décalage entre la croissance attendue de la population et les prévisions d’augmentation du parc de logements met en évidence plusieurs déséquilibres structurels. Le dossier du SCOTERS souligne à cet égard la progression du taux de vacance, passé de 5,3 % en 1990 à 7,4 % en 2020, ainsi qu’une hausse soutenue du nombre de résidences secondaires qui atteignent 9 758 unités en 2020, soit une croissance annuelle moyenne de 10,2 % entre 2014 et 2020. Ces évolutions mettent en évidence un décalage persistant entre la croissance démographique réelle et le rythme de production de logements, accentuant les pressions sur la disponibilité du foncier et faisant émerger le risque d’une bulle immobilière.

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Une stratégie à rebours des enjeux de durabilité

Certes, le SCOTERS s’est doté de leviers stratégiques et réglementaires destinés à inverser les tendances observées et à encourager un usage plus rationnel et équitable du parc de logements existant, leviers dont l’analyse détaillée dépasserait le cadre du présent article. Toutefois, la fixation d’un objectif de production de logements de 97 100 interroge la cohérence de la démarche. En effet, un tel choix semble traduire une absence de volonté politique de la part de la Présidente de l’EMS Pia Imbs en faveur d’une véritable gestion qualitative et solidaire de l’aménagement du territoire.

Cette contradiction interroge la cohérence du projet de territoire : comment concilier un objectif de développement soutenable avec une augmentation du parc de logements d’une telle ampleur ? L’ambition d’« assumer le rôle métropolitain » semble, dans ce contexte, prévaloir sur la volonté affichée de préserver les équilibres territoriaux et environnementaux.

En outre, la logique de planification par tranches décennales, bien que présentée comme un outil de modulation et d’adaptation, apparaît insuffisante pour garantir une réelle maîtrise des dynamiques urbaines. Elle tend plutôt à institutionnaliser un modèle de croissance continue, difficilement compatible avec les objectifs ZAN de sobriété foncière et de transition écologique à l’horizon 2050.

Ainsi, la stratégie du SCOTERS illustre l’un des paradoxes majeurs des politiques métropolitaines contemporaines c'est à dire la volonté de concilier attractivité et soutenabilité, sans remettre en cause le paradigme de la croissance urbaine source de ségrégation spatiale. Ce décalage entre le discours et la pratique invite à repenser en profondeur les fondements mêmes de la planification territoriale afin de dépasser une logique quantitative pour inscrire véritablement l’action publique dans une perspective de bifurcation écologique et de justice spatiale.

Les propositions de la France Insoumise

Comme le préconise La France insoumise dans la perspective des prochaines élections municipales de 2026, il apparaît nécessaire d’ouvrir « un débat public pour déterminer les moyens d’atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050, et plus tôt si possible, en mobilisant notamment les outils pour lutter contre la sous-occupation des locaux, la rétention foncière et l’étalement urbain ».

Il convient également de « sanctuariser dans les PLUi le foncier agricole, forestier et naturel en appliquant strictement les dispositions législatives et réglementaires existantes » afin de préserver durablement les espaces essentiels à l’équilibre écologique et de garantir le droit à la nature en ville.

Enfin, il importe d’« intégrer aux documents de planification urbaine (PLU, PLUi, SCoT, PLH…) un principe d’aménagement visant à rapprocher à moins de 15 à 30 minutes en transports en commun, à pied ou à vélo, l’habitat, les lieux de travail, de loisir et de culture », dans une logique de cohésion territoriale et de réduction des mobilités contraintes.

C’est en veillant à garantir l’implication effective des citoyens dans les processus de décision collective et à s'assurer que la transition écologique s’effectue au profit de l’ensemble de la population que la planification écologique pourra véritablement répondre aux enjeux spatiaux, sociaux et environnementaux du territoire du SCOTERS.

Pour des scoters plus élégants !

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