EURO-METROPOLE et métropolisation : une indispensable mise en questions.
“L'Euro-métropole de Strasbourg ambitionne d'accueillir 50 000 habitants de plus d'ici 2030 » : voici ce qu’on a pu lire dans le rapport de présentation du Plan local d’Urbanisme intercommunal (PLUi), approuvé le 16 décembre 2016 par le conseil de l’Euro-métropole, à 77 voix pour, neufs abstentions et … une seule une voix contre !
Ainsi, une écrasante majorité de cette assemblée rassemblant élus de droite, de gauche et écologistes, s’est prononcé en faveur d’une densification accrue de la ville et de son agglomération. Un unanimisme qui ne peut qu’interpeller face à la perception négative de ce phénomène ressentie majoritairement par nos concitoyens, comme l’ont montré les élections municipales partielles à Schiltigheim, en avril dernier.
C’est que l’objectif du PLUi est bien clair :
Dans la compétition internationale que se livrent les métropoles il convient de mobiliser toutes les ressources disponibles, y compris démographiques. Ce « renforcement de l'attractivité » implique dès lors des choix concrets. On peut lire ainsi dans les orientations d’aménagement et de programmation que « la production de logements à prévoir à l'horizon 2030 doit aussi être à la hauteur de l'ambition démographique de l'Euro-métropole strasbourgeoise.». La logique est surprenante : fixons tout d’abord un objectif démographique, selon des critères qui restent d'ailleurs obscurs, puis … organisons l'offre de logement !
Certes, les difficultés pour trouver à se loger sur l'agglomération strasbourgeoise sont bien réelles et touchent essentiellement les personnes les plus défavorisées. Les raisons premières en sont une forte hausse de la propriété occupante et le niveau de loyer privé trop élevé pour les ménages modestes. En retour, ces facteurs contribuent à renforcer la demande en « logements sociaux », induisant des temps d’attente trop longs pour les ménages à la recherche de logements à prix modérés.
Mais pour comprendre la logique qui sous-tend la décision d’augmenter la population de « l’Euro-métropole » de 50 000 habitants à l’horizon 2030, il faut examiner la loi MAPTAM (Loi de Modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) du 27 janvier 2014. Celle-ci est riche d’enseignements. On peut y lire notamment que les métropoles constituent aujourd’hui « les lieux essentiels de la croissance française » et ce d’autant plus qu’elles « rayonnent sur leur environnement régional, national et international, et fonctionnent en réseau avec les autres grandes villes et les villes moyennes qui les entourent ».
Confrontons ces objectifs à la réalité des faits et d'analyses plus approfondies.
Des études de « France Stratégie » de novembre 2017 et de l’école urbaine de Sciences Po de Paris du 4 septembre 2018 remettent pourtant en cause l’idée selon laquelle un soutien à la croissance des métropoles va naturellement de pair avec un rayonnement de leur dynamisme sur les territoires voisins, par « effet de ruissellement ». Au contraire, selon ces études, les métropoles ont tendance à phagocyter les emplois dans certains secteurs économiques.
Il apparaît donc que la politique de métropolisation, actuellement pratiquée en France de manière accélérée, soit sans effet probant sur la prospérité globale de son économie. Avec par contre un renforcement de la ségrégation des territoires qui implique une relégation sociale marquée : l’Eurométropole de Strasbourg se situe ainsi au 3ème rang des EPCI (Établissement public de coopération Intercommunale) sur le plan des inégalités de revenus. Autant de phénomènes … qui peuvent expliquer la colère des gilets jaunes de ces derniers mois.
Voyons enfin si cette stratégie de métropolisation a au moins un effet positif, en matière d’occupation des sols en particulier ? Les métropoles permettent-elles de lutter efficacement contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols (le Grand Contournement Ouest – GCO - est un exemple patent) qui sont des défis majeurs pour l’avenir de l’humanité ? Au vu des dynamiques de marché à l’œuvre la plus grande réserve est de mise en la matière. Pour s’en convaincre, la consultation de la carte des prix fonciers est édifiante : elle reflète fidèlement la division sociale de l’espace. Ce ressort fondamental s’exerce pleinement dans les métropoles, dans le cadre de l'appropriation de la rente foncière et des logiques financières à l’œuvre. Les centres villes deviennent de moins en moins accessibles aux catégories modestes et intermédiaires qui, de ce fait, sont chassées vers les banlieues et le périurbain … accélérant ainsi l’étalement urbain !
Ainsi, nous voyons bien que la métropolisation des villes mène à une impasse.
Ainsi, nous voyons bien que la métropolisation des villes mène dans une impasse.
Cette politique de métropolisation crée un mal vivre grandissant : pollution de l'air, bruit, bétonisation, coût du foncier et des services, insécurité, ségrégations, embouteillages et congestions diverses liés à la circulation consécutives aux déplacements démultipliés en sont les principaux effets négatifs.
En outre, il est de plus en plus difficile et coûteux pour la puissance publique de jouer son rôle de régulateur et tenter de contrecarrer ces phénomènes, surtout dans le contexte actuel d'austérité budgétaire imposée aux collectivités locales.
En fait, la métropolisation répond à une volonté politique d’inspiration néo-libérale.
Celle-ci vise à soumettre l’ensemble des aspects de la vie sociale et économiques aux « lois du marché et de la concurrence ». Ce projet global d’organisation de la société poursuit l’objectif de reconfiguration des territoires selon une logique de généralisation de leur marchandisation.
C’est bien que le système capitaliste trouve dans la métropolisation de l’espace et de la société un moyen de surmonter la crise d’accumulation qu’il ne cesse d’approfondir depuis des décennies, faisant de chaque individu un simple consommateur déraciné et modélisable selon les logiques du marché.
A l’heure du néo-libéralisme métropolitain les habitants sont bel et bien dépossédés de leurs lieux de vie et de sociabilité : les dynamiques à l’œuvre tendent finalement à distendre les liens, tant sociaux que géographiques, entre une majorité de la population et les territoires.
Pourtant le fait urbain est un phénomène incontournable de la civilisation humaine. Selon l'ONU, en 2014, 54 % de la population mondiale vit en milieu urbain. En France ce sont déjà plus de 80 % qui vivent en zone urbaine.
Il est donc urgent de mettre en œuvre des stratégies politiques, tant locales que globales, répondant aux besoins réels des citadins plutôt que soumises à la logique de l’accumulation capitaliste. Pour ce faire, un autre aménagement du territoire, solidaire et respectueux de l'environnement, doit être planifié, en s’appuyant notamment sur le tissu des villes moyennes. L’un des points forts de l’Alsace justement.