Sur le concordat et sa mise en perspective avec le droit social local en Alsace et Moselle. (1ère partie : une histoire mal connue)
La controverse est fréquente en Alsace et en Moselle et tourne rapidement à la polémique : « Si vous supprimez le concordat, vous mettez en péril le droit local ! Or une partie du droit local d’Alsace-Moselle est favorable aux intérêts des habitants en général, et des salariés en particulier. Conclusion : ne touchons à rien ! »
Cet édifice qui fait tout autant la fierté des Alsaciens et des Mosellans que les splendides cathédrales et les 2 gares impériales de Metz et de Strasbourg est fragile, autant que complexe dans ses fondements. Les curés, les pasteurs et les rabbins des 3 départements continueront donc d’émarger au budget de l’État français (60 Millions d’Euros annuellement, tout de même) et, parallèlement, l’enseignement religieux y sera dispensé dans les écoles de la République, république pourtant « indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Article 1er de la constitution de 1958). Mais jusqu'à quand ... à la fin des temps ?
L’objet de cette étude est de remettre les pendules à l’heure (et pas forcément l’église au milieu du village…) en entrant dans les textes … et dans l’Histoire ; voire dans les opinions publiques en scrutant son évolution récente, histoire de démystifier (et démythifier) tout cela. Soyons rationnels : les fondements et les règles de droit l’exigent. Soyons libres, pensons juste !
Nous allons voir que, en effet, le droit local d’Alsace-Moselle n’est pas du même registre ni de la même origine que la survivance du concordat Franco-Vatican de 1801 sur le territoire des bordures de l’est … de la République.
Après un siècle de tergiversations, l’abrogation du concordat dans les 3 départements ne remettra pas en cause les particularités du droit local, avantageux en matière sociale on va le voir ! Pour cela il nous faut revenir à l’histoire, particulièrement tourmentée pour cette région frontalière de l’Est et qui a laissé de multiples traces dans la mémoire collective locale, alors que dans « la France de l’intérieur » la méconnaissance de ces 2 questions est fréquente, leur perception se résumant au superficiel.
Signé entre le Saint-Siège et un état, en l’occurrence la France (encore république quoique sous le régime du consulat) pour régler les questions relatives à l’organisation et aux activités de l’Eglise catholique : la nomination des évêques, la réglementation du patrimoine ecclésiastique, etc. il s’agit bien d’un traité international passé entre 2 états. Ce « concordat napoléonien » peut dès lors être défait par un nouveau texte de loi. C’est ce à quoi aboutira la loi de 1905, dite "de séparation des Eglises et de l'Etat" (09 décembre 1905).
Le premier concordat ou « concordat de Bologne » date de François 1er mais fut abrogé à la Révolution française (juillet 1790).
Signé le 18 août 1516 à l’occasion du 5ème concile du Latran, entre le Pape Léon X et un représentant du Roi de France François 1er (le chancelier Antoine Duprat), il fut abrogé à la révolution française : Le 12 juillet 1790 l’Assemblée constituante vote un texte abrogeant ce premier concordat et décrétant la constitution civile du clergé, après qu’ait déjà été supprimée la dîme et que les biens du clergé aient été nationalisés.
Dès 1789, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (27 août 1789) stipulait déjà, dans son article 10, que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». On y trouve déjà l’inspiration de la future loi de 1905.
Plutôt qu’un texte « de concorde », le second concordat imprime la puissance de Napoléon sur l’Eglise catholique, apostolique et romaine.
Signé en 1801 (26 Messidor an IX) entre Joseph Bonaparte, envoyé par le Premier Consul Napoléon son frère, et le cardinal Consalvi, secrétaire d’état et représentant du pape Pie VII, le second concordat n’entre en vigueur qu’en 1802 et, lui aussi, ne concerne que l’Eglise catholique. L’Etat français déclare vouloir rétablir la paix religieuse … visiblement résumée à une seule religion : l’article 1er du concordat prononce en effet que « la religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France » (notez toutefois qu'il ne précise pas qu'elle pourrait être "religion d'état") … mais n’en mentionne aucune autre.
La volonté profonde de Napoléon est en fait de contrôler l’exercice de cette institution en contrôlant les ministres du culte catholiques via leur hiérarchie : les archevêques et évêques seront dès lors nommés par les autorités françaises mais recevront néanmoins l’institution canonique du pape. En compensation à cette mise sous tutelle le « gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés » (article 14). Les articles 6 et 7 stipulaient bien que « évêques et prêtres doivent prêter fidélité au gouvernement », disposition ayant toutefois cessé d’être appliquée, d’un commun accord.
Cette volonté de contrôle de l’exercice des cultes par Napoléon s’exprime également dans la mise en place des consistoires israélites (hors concordat) créés à l’initiative de Napoléon par un décret du 10 décembre 1806, décret remplacé ultérieurement par une ordonnance royale du 18 mai 1844, toujours en vigueur. Ce sont ces consistoires israélites qui organisent encore aujourd’hui le culte hébraïque dans le cadre d’une région … mais qui n’existent que dans Les 3 départements où ne s’applique pas la loi de 1905 (Alsace-Moselle).
Lors du passage des 3 départements d’Alsace et de Moselle sous l'autorité du Reich allemand (Traité de Francfort, 10 mai 1871), le concordat ne fut pas abrogé par les nouvelles autorités de tutelle. Relevons toutefois que la partie sud-ouest du département du Haut-Rhin (l’arrondissement de Belfort, soit 1/6ème de sa superficie) reste alors territoire français, mais en tant que « arrondissement subsistant du Haut-Rhin ». Ce n’est que le 11 mars 1922 que le Territoire de Belfort deviendra officiellement département, soit 4 ans après le retour de l’Alsace (et de la Moselle) à la France. Il a donc fêté ses 100 ans d’existence le 11 mars … 2022 ! Du fait de cette partition en 1871 le territoire de Belfort, ancien « arrondissement subsistant du Haut-Rhin », est régi depuis sa promulgation par la loi de 1905.
Il serait grand temps de rationaliser tout cela en appliquant la loi de 1905 à l’ensemble du territoire français. D’autant que cette survivance hors d’âge coûte annuellement la bagatelle de 60 millions d’euros à l’ensemble des contribuables français (pour plus de détails sur la nature de ces coûts voir l'aticle suivant - 2ème partie - et plus particulièrement sa fin "En guise de conclusion"), essentiellement en rémunérations des ministres du culte et en dépenses qui l’accompagnent (dont l’enseignement religieux dans les établissements scolaires publics … et privés), pour les 4 religions concernées : catholique, luthérienne, réformée et hébraïque ! La question de l’abrogation du concordat napoléonien, ayant survécu sous l’autorité du Reich allemand (dans cette aire du Reichland Elsaβ-Lothringen, 1,9 millions d’habitant environ en 1914, capitale Strasbourg), se posa donc après le retour des 3 départements (Bas-Rhin, Haut-Rhin amputé et Moselle) dans le giron de la République française en 1919 (Traité de Versailles, 28 juin 1919). Tout en comprenant qu’une « période de transition » puisse être ménagée, ce « concordat napoléonien » fut pourtant prorogé en 1925, après avis du Conseil d'Etat du 24 janvier de la même année. Et l’on se retrouva donc dans la même situation … en 1945 ! Le transitoire-provisoire dure ainsi depuis un siècle !
Note : En Guyane, le texte en vigueur reste l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828 : il serait grand temps de rafraîchir tout cela ! Pour d’autres territoires d’outre-mer ce sont les décrets-loi Mandel de 1939 qui sont les fondements du droit local. Si l’application de la loi de 1905 a été étendue à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion à partir de 1911, la loi de 1905 ne s’applique toujours pas en Guyane, bien que la Guyane soit devenue un département en 1946. Quoique temporairement département français à partir de 1797, la Guyane deviendra en effet une colonie pénitentiaire en 1852 pour ne retrouver son plein statut de « partie de la France » (d’outre-mer) qu’en 1946 et devenir dès lors département. En Guyane également est seul reconnu le culte catholique. Les ministres du culte catholique sont des salariés du conseil général de Guyane. L’évêque a un statut d’agent public de catégorie A, les 29 prêtres sont des agents de catégorie B.
- "liberté de conscience" et …
- " libre exercice du culte ".
Conforme à la constitution en vigueur à l’époque, la loi de 1905 n’a pas été déclarée anti constitutionnelle depuis lors. En outre, elle ajoute à tous les textes antérieurs la prise en considération de l’existence de plusieurs religions et cultes, autre que la religion catholique, donc les protège tous.
Sur le plan matériel, cette loi de séparation DES églises et de l’État, mentionne par ses articles 4 et suivants que les biens mobiliers et immobiliers possession des « établissements ecclésiastiques supprimés » sont transférés aux « associations cultuelles » concernées. Sont notamment cités, explicitement, outre les « menses, fabriques et conseils presbytéraux », « les consistoires et autres établissements publics du culte ». Sont donc ici désignées « les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte » (article 18 de la loi de 1905), ces consistoires désignant aussi bien « les établissements publics du culte » protestants qu’israélites.
L’article 1er de la loi de 1905 stipule que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. ». Tous les cultes sont donc protégés et leur libre exercice garanti.
L’article 2 ajoute que : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Aucun culte particulier n’est reconnu par l’Etat : il n’y a donc aucune place pour quelque « religion d’état » que ce soit, pas davantage que pour un supposé "athéisme d’état" ! Et la règle vaut pour toutes les collectivités publiques (collectivités territoriales aujourd’hui) : aucun ministre du culte ne peut être rémunéré par la puissance publique.
L’article 2 précise néanmoins que « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. ». Ces "établissements fermés" (c’était encore le cas en 1905 de certaines écoles, collèges et lycées) devaient donc être dotés de moyens spécifiques permettant d’assurer à leurs pensionnaires le libre exercice de leur culte.
Les 42 autres articles, plus ou moins détaillés, abordent tous les aspects juridiques concernant les associations cultuelles qu’il conviendra d’installer en lieu et place des "établissements publics du culte". Ils concernent également les biens mobiliers et immobiliers dont étaient propriétaires ces établissements, jusqu’aux « cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte » et même « les sonneries des cloches » (Article 27). Sans oublier que, depuis cette date, il est « interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. » (Article 26) et que « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. (Article 28).
Voici qui est clair et devrait dissuader les édiles … amateurs de crèches de Noël !
Loi de concorde, on peut ainsi résumer l’esprit de celle-ci en une formule simple mais explicite : l’État ne reconnait aucune religion … mais il les protège toutes. Il garantit le libre exercice de tout culte, « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » (article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 27 août 1789).
Il nous faut toutefois exposer plus spécifiquement son article 35 : « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. ».
Conclusion : tout est dit dans cette loi de 1905 pour entraver, par la loi universelle, toute dérive dans l’orientation de l’exercice de quelque culte que ce soit. Une nouvelle loi, telle celle dite "contre le séparatisme" (Loi du 24 août 2021 : « Loi confortant le respect des principes de la République ») n’était donc pas nécessaire … sauf à vouloir stigmatiser un culte particulier, peut-être.
Une formule souvent attribuée (à tort) à Jean Jaurès en résume parfaitement l’esprit : « La loi protège la foi tant que la foi ne veut pas faire la loi ».
Antérieurement à Jaurès, c’étaient en fait les partisans de la laïcité qui exprimaient ainsi un principe constitutionnel de la République. Pour sa part, Jean Jaurès qualifiait cette loi de 1905 de « loi juste et sage ».
Loi de concorde, la loi de 1905 consacre en effet des principes aussi fondamentaux que la liberté de conscience et l'égale dignité de toutes les convictions philosophiques et/ou religieuses, y compris celle de ne pas "croire": croyants, libres penseurs et athées sont donc également considérés, donc protégés : plus personne ne peut dès lors être incriminé pour délit de blasphème. Mais la loi de 1905 garantit la liberté de culte, pour toutes et tous, quelles que soient l'obédience et la pratique religieuses.
En revanche, la survivance du concordat napoléonien est plutôt source locale de discorde, au point qu’il a pu être instrumentalisé par les différentes parties impliquées qui s’affrontent en Alsace et qui n’hésitent pas à le mettre en contradiction avec le droit local autant qu’avec le principe (affiché mais …) de laïcité.
On l’a constaté il y a peu dans l’affaire de la mosquée "Eyyub Sultan" qui doit être agrandie dans le quartier de la Meinau (Strasbourg) et devrait ainsi devenir la plus grande mosquée d’Europe. Dans une délibération du 22 mars 2021 la municipalité de Strasbourg (menée par EE/LV et sa Maire, Jeanne Barseghian) avait accordé une subvention de 2,5 millions d’€ à l’association cultuelle ʺConfédération islamique du Milli Görüsʺ, promoteur du projet.
Pour ce faire, l’équipe municipale s’est appuyée sur le droit local concernant les lieux de culte et leur financement (Cf. les pages 215 à 219 du code du droit local relatives au « financement des cultes », qu’ils soient « statutaires » ou « non statutaires ») : « les subventions publiques à destination des institutions et des activités cultuelles ne sont pas prohibées », y compris « … dès lors que l’édification d’un lieu de culte au profit d’un culte non reconnu [ce peut être le culte musulman] correspond à un besoin des habitants de la commune et présente ainsi un intérêt général au sens des dispositions de l’article L.2541-12 10° du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal de ladite commune peut légalement décider de participer au financement de cette édification, que ce soit sous la forme d’une subvention ou de la mise à disposition ou de la cession gratuite de terrains ou de locaux. ».
Le code du droit local relève bien que « le statut des cultes non reconnus ou non statutaire des départements du Rhin et de la Moselle est plus avantageux que celui en régime de séparation ». Mais le tribunal administratif, saisi à la demande du ministère de l’intérieur, avait annulé par une décision du 10 novembre 2022 la délibération du conseil municipal concernant cette subvention, pour vice de forme, arguant notamment « que la ville de Strasbourg n’avait pas respecté les critères de subventionnement des lieux de culte qu’elle s’était elle-même fixés par deux délibérations de 1999 et 2000 […] ». Immédiatement, Gérald Darmanin dans un communiqué « se félicitait de cette décision du tribunal administratif ». La polémique engagée dès la décision municipale de 2021 a continué d’enfler, la Maire, Jeanne Barséghian, ayant même révélé durant la séance du conseil municipal du 26 septembre 2022 avoir fait l’objet de menaces de mort au printemps 2021 !
Comme on le constate ʺla concordeʺ n’est pas toujours de mise au sein du landerneau local, la référence à la laïcité pouvant être utilisée pour stigmatiser les musulmans. On est loin du « climat de dialogue et de respect unique en France entre les cultes et l’état » vanté par les défenseurs du concordat napoléonien.
Il est grand temps d’appliquer la loi de 1905 à l’ensemble du territoire de la République pour que ce type de polémique ne perdure plus et que tous les cultes puissent se dérouler dans des conditions matérielles décentes, à charge pour les associations cultuelles de se financer conformément à la loi générale. Pour davantage de précisions sur cette polémique, voir le blog du PG67 (www.pg67.fr) en particulier l’article « Une loi de discorde » du 27 novembre 2022 (http://www.pg67.fr/2022/11/une-loi-de-discorde.html)
(Pour la suite, voir la 2ème partie de l'article : Une perception évolutive du particularisme local mais des confusions toujours entretenues entre "droit social local" et "concordat napoléonien")