Vous avez dit "Président des riches" ?
Les riches, grands gagnants des premières mesures de Macron, selon l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques)
« Macron, président des riches ! » A l’automne dernier, l’opposition n’en démordait pas. Dans sa ligne de mire : la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et son remplacement par une taxe sur le patrimoine immobilier, la mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, la baisse de 5 euros des APL ou encore la réduction des emplois aidés.
Le premier marathon budgétaire du gouvernement s’annonçait rude. Malgré les critiques et une opinion partagée, le projet de loi de finance 2018 a été adopté le 21 décembre sans encombre. Le même jour, le gouvernement se félicitait, par la voix du ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, d’un « budget de transformation [de l’économie] au service du pouvoir d’achat des Français ». Tous devaient bénéficier du train de réformes.
Vraiment ? Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cercle de réflexion classé à gauche, publiée le lundi 15 janvier, relativise ce satisfecit. Centrée sur les réformes socio-fiscales votées par la majorité et leur impact sur la croissance et le pouvoir d’achat des Français en début de quinquennat (2018-2019), l’analyse vient rappeler que la politique du gouvernement ne fera pas que des heureux. Au moins à court terme.
Du pouvoir d’achat… à terme
« Les mesures nouvelles pour les ménages [seront] en 2018 largement au bénéfice des 2 % de ménages du haut de la distribution des revenus, détenant l’essentiel du capital mobilier, note le rapport. Pour les ménages du bas de la distribution, les revalorisations en fin d’année des minima sociaux ne compensent pas les hausses de la fiscalité indirecte [fiscalité écologique et tabac] ».
Cette année, les 5 % de Français les plus modestes devraient ainsi voir leur niveau de vie reculer de 0,6 % en moyenne, soit 60 euros par ménage, tandis que les 5 % les plus aisés verront le leur augmenter de 1,6 % (1 730 euros par ménage [1]. Toutefois, l’étalement des mesures sur l’année 2018 et notamment la deuxième tranche de baisse des cotisations salariales, couplée à la revalorisation de la prime d’activité, devraient redonner, à terme, du pouvoir d’achat aux Français.
« Au total, sur deux ans, un peu plus de 6 milliards d’euros auront été rendus aux ménages. Il y aura essentiellement des gagnants : cette politique ne se fait pas au détriment des classes modestes », estime Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. A la fin 2019, les 5 % du bas de l’échelle enregistreront une hausse de leur niveau de vie de 0,2 % et les 5 % du haut de 2,2 %. Les plus riches resteront les premiers bénéficiaires des réformes entamées. « A eux seuls, les 5 % de ménages les plus aisés capteraient 42 % des gains » de niveau de vie, ajoute l’étude. « Il n’y a pas que les riches qui gagnent, mais ce sont eux qui gagnent le plus », résume M. Plane.
[1] Notez que, exprimées en valeur monétaire absolue les inégalités sont bien plus criantes qu’en pourcentage du revenu dont chacun dispose : - 60 euros c’est beaucoup pour qui a … très peu. Mais + 1730 euros c’est pas mal … pour qui a déjà beaucoup ! (toutes les notes qui suivent ont été rédigées par le PG67)
Pour les classes moyennes, peu d’impact
Les ménages aisés mais sans patrimoine seront les seuls à voir leur niveau de vie baisser (– 0,4 %) par rapport à 2017 : ils continueront à payer la taxe d’habitation, sans bénéficier ni des mesures sociales (prime d’activité, allocation de solidarité pour les personnes âgées…) ni des allégements de fiscalité sur le capital. Quant aux classes moyennes, les mesures de l’exécutif devraient peu influer sur leur niveau de vie : l’abattement de 30 % de la taxe d’habitation et l’élargissement du crédit d’impôt pour les emplois à domicile voté par la précédente majorité compenseront les hausses de fiscalité écologique et sur le tabac ainsi que les effets de la hausse de la CSG pour les retraités.
A Bercy, on s’empresse de déminer. « Ce résultat doit être relativisé. (…) Les ménages du premier décile verront leur niveau de vie augmenter de 0,9 % », explique le cabinet du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui estime que les mesures concernant le tabac et l’énergie modifieront les comportements et ne coûteront pas autant aux Français[1].
Pourtant, les déséquilibres attendus en 2018 ne surprennent pas Jean Pisani-Ferry, maître d’œuvre du programme économique du président. « La réduction du déficit imposait un choix [nécessité d’être en dessous de 3 % pour se conformer aux règles européennes]. Le gouvernement a choisi de faire passer d’abord les mesures concernant la fiscalité du capital, qui mettent plus de temps à produire leurs effets. (…) Les mesures plus sociales (bascule de cotisations, prime d’activité, emplois francs, minima sociaux) sont étalées dans le temps. C’est un choix politiquement coûteux mais économiquement rationnel », assure l’économiste.
[1] Faut-il comprendre par là que le Ministre de l’Economie et des Finances recommande aux français qui ont du mal à se chauffer… de se chauffer moins ? Argument fumeux, pour le moins, non ?
Coupes dans la dépense publique
Reste une interrogation : l’étude ne tient pas compte des coupes dans la dépense publique aux effets non directement quantifiables pour les Français. « A fin 2019, quelque 8 milliards d’euros de mesures ne sont pas encore financés. Ils le seront vraisemblablement par une réduction de la dépense publique, qui amputera le pouvoir d’achat des ménages, notamment des moins aisés (dépenses des collectivités locales, rémunération des fonctionnaires, économies sur le logement …) », avance Mathieu Plane.
« Ce n’est pas contradictoire de constater que cette politique avantage les plus riches et de considérer qu’elle va dans le bon sens, estime quant à lui l’avocat fiscaliste Michel Taly. La réforme de 2012 était allée beaucoup trop loin dans la taxation des revenus mobiliers. La dépense publique ne peut pas être financée uniquement par les riches et les entreprises. »
Pour Emmanuel Jessua, du think tank proche du patronat COE-Rexecode, le budget a surtout le mérite d’instaurer une « fiscalité plus saine et plus neutre, qui incitera davantage les Français à investir en actions pour financer les activités productives »[1].
En matière de dépenses publiques, le premier budget Macron est, en revanche, loin d’être la « révolution » vantée par la majorité. « Il se caractérise par une faible réduction de la dépense publique structurelle [qui ne dépend pas de la conjoncture], loin des recommandations de la Commission européenne », souligne M. Plane.
Dans l’ensemble, le chef de l’Etat récolte les fruits de la politique économique du précédent quinquennat. En effet, dans l’absolu, les mesures de Macron devraient peser sur le PIB tricolore (– 0,2 point en 2018 et – 0,1 point en 2019). Mais l’impact différé des dispositifs Hollande (le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et le pacte de responsabilité, principalement), qui mettent cinq à dix ans à produire leurs effets complets, apporte « un surplus de croissance significatif ». Ils donnent en outre au gouvernement le temps de mettre en place ses principales réformes. De quoi conforter la stratégie de l’exécutif.
(En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2018/01/15/en-2018-la-politique-de-macron-avantagera-d-abord-les-ultra-riches_5241787_1656968.html#J2swwSTrBChXOVU5.99)
[1] En 2010, seuls 9,4% des ménages français détenaient des actions (en régression de 2 points depuis 2004), et seulement 5,6% pour des actions cotées en bourse. C’est dire la portée discriminante de la mesure et le peu d’effets « productifs » qui s’en suivra, l’investissement des entreprises ne dépendant pas de l’abondance d’une épargne personnelle des ménages, fussent-ils très aisés. (Source : Bulletin de la Banque de France, N° 185-3 trimestre, 2011, p. 96).