De l’adhésion à l’engagement : l’irruption des plateformes internet en politique bouleverse la donne, les principes et les classifications.
(Episode 1)
Quoique fragilisé depuis les élections européennes de 2019, c’est bien le Mouvement 5 étoiles (M5S, Movimento 5 Stelle) qui tient actuellement les rênes du gouvernement italien en la personne de son Premier Ministre, Giuseppe Conte qui, sans se réclamer de celui-ci (il se déclare « indépendant ») lui est indéniablement lié. S’est ajouté jusqu’en septembre 2019 le Vice-Premier Ministre du gouvernement Conte I, devenu ensuite Ministre des affaires étrangères du gouvernement Conte II, Luigi di Maio, qui fut un temps à la direction (visible) du mouvement (2017 – 2020), Grillo s’effaçant volontairement. Un Président du Conseil (Conte) qui, suite au désaccord et départ de l’un de ses alliés, Matteo Renzi (ltalia Viva, parti fondé par le même en septembre 2019, suite à son départ du Parti Démocrate – PD) vient pourtant de devoir remettre sa démission au Président de la République, Sergio Mattarella. Mais Il entend bien former rapidement un 3ème gouvernement en changeant … la couleur des masques … pour éviter un retour aux urnes et affronter le risque d’un repli des électeurs italiens sur un refuge placé nettement plus à droite. Des électeurs vraisemblablement lassés et finalement (vite) déçus par les apprentis-comiques du M5S. La Ligue du Nord (Liga Nord) conduite par Matteo Salvini est en effet à l’affût.
C’est aux élections générales (législatives) de 2013 que perce le mouvement M5S : porté par un taux de participation remarquable (75%) il totalise alors 25% des suffrages exprimés (9 millions de voix) et décroche ainsi 163 députés (sur un total de 630, toutefois abaissé à 400 à la fin « normale » de cette législature, en mars 2023). Des députés pour la plupart inexpérimentés mais qui sont « là pour le mouvement ». Et le doge passe-muraille du mouvement, son éminence grise Casaleggio (voir ci-dessous) de préciser immédiatement : « ils ne doivent pas faire de politique, ils sont seulement l’instrument d’un programme et doivent respecter les règles auxquelles ils ont souscrit. C’est simple ». On ne peut dire mieux, en effet ! Mais cela nous fait curieusement penser, avant l’heure, à certains « députés playmobils » … d’un autre pays !
Aux législatives de 2018, le M5S accroît fortement son assise en rassemblant près de 10.750.000 voix (32,70% des suffrages exprimés, le taux de participation s’étant à peine effrité en frôlant les 73%) obtenant ainsi à lui seul 228 députés (et 112 sénateurs). Premier parti d’Italie, le M5S est toutefois devancé par une coalition de « centre-droit » (12.165.000 suffrages, soit 37% des exprimés, 265 députés + 135 sénateurs sur un total de 300), emmenée cette fois par Matteo Salvini, l’autre Vice-Président du Conseil, qui entre alors au gouvernement comme ministre de l’intérieur.
Figure très controversée et à nouveau poursuivi en justice pour avoir bloqué des migrants en mer (11 janvier 2021), Matteo Salvini est devenu en 2013 le leader du parti d’extrême droite, « La Ligue » qu’il a contribué à redynamiser. Une Lega qui ne se résume plus uniquement au Nord (Lega Nord, créée en 1991 de l’union de deux mouvements régionalistes en Lombardie et en Vénétie,) mais que Salvini est parvenu à étendre à l’ensemble du pays, sur des thématiques anti-immigrés et anti-réfugiés notamment. Quoique n’ayant rassemblé que 17% des suffrages en mars 2018, au sein de cette coalition de « centre-droit » (sic) la Ligue prend alors l’ascendant sur Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi qui n’a atteint que 14% des voix et 104 députés au scrutin du 4 mars. La dynamique de l’ascension de la Ligue est ainsi enclenchée par la montée en légitimité de son leader devenu Vice-Président du Conseil. En effet, la totalité des sondages de l’année 2020 laissent craindre que ce n’est plus le Cinque Stelle qui sortirait grand vainqueur des urnes en cas de dissolution (avant 2023) du Parlement italien, mais bien le parti d’extrême-droite avec plus de 25% des voix selon plusieurs sondages, malgré les problèmes judiciaires que connaît maintenant sa figure de proue. Ce qui explique que Salvini ait demandé en août 2019 des élections générales (législatives) anticipées pour tenter de renforcer sa suprématie dans les urnes. Mais qui a incité le président Mattarella à confier à Conte le soin de constituer un nouveau gouvernement … Manœuvre qui se soldera par une nouvelle alliance, avec le PD cette fois, dont Matteo Renzi, pour un temps du moins !
Car les cinq étoiles ont perdu de leur brillance depuis les élections européennes de 2019, ont été ternies par les élections régionales de 2020, et depuis lors dévissent dans les sondages qui ne leur accordent plus que 15 à 17%. Assisterait-on à la fin d’un populisme à l’italienne, de géométrie variable et difficile à classer ? C’est mal connaître cet OVNI politique né dans le cerveau d’un informaticien manager-commercial quelque peu mégalomane, mais excellent observateur des innovations technico-politiques, Gianroberto Casaleggio.
Qui donc en France connaîtrait le « V-Day », date fixée par un comique et vedette télévisuelle italienne au 8 septembre 2007 ? Pourquoi avoir choisi cette date, symbolique en Italie, pour appeler « le Peuple du blog » à se rassembler sur toutes les grandes places des villes du pays, par la voix de Beppe Grillo ? Le contenu de son appel répond à nos questions :
« Hier [le 8 septembre 1943, jour de l’armistice, donc de la fin de la période fasciste en Italie] le roi en fuite et la nation en déroute, aujourd’hui les politiques enfermés dans les palais. Le V-Day sera un jour d’information et de participation populaire. Pour en faire partie, restez connectés sur le blog » (ce blog de Beppe Grillo mutera dès 2009 en celui du M5S). Ce « V-Day » était une abréviation à la phonétique nettement connotée (D-Day) mais que nulle formation politique, même la plus marginale et frondeuse, n’oserait poser en exergue dans notre pays : le « Vaffanculo Day » ! Ce sont bien entendu les vieux politicards corrompus et jugés exclusivement repliés sur leurs calculs de caste qui sont ainsi visés. Tous dans le même panier et quel que soit leur bord, avec cette ironie brutale et vulgaire que manipulait avec verve et délectation Beppe Grillo.
Selon Beppe Grillo, « l’espèce qui survit n’est pas la plus forte, mais celle qui s’adapte le mieux. Nous sommes donc […] un peu à droite, un peu à gauche et un peu au centre, nous pouvons nous adapter à n’importe quoi […] (La specie che sopravvive non è quella più forte, ma quella che si adatta meglio. Quindi noi siamo dentro democristiani, un po’ di destra, un po’ di sinistra e un po’ di centro, possiamo adattarci a qualsiasi cosa quindi vinceremo sempre noi sul clima, sull’ambiente, sulla terra : https://www.corriere.it/elezioni-2018/notizie/grillo-noi-p0-dc-sinistra-destra-sopravvive-chi-si). C’est sur ce principe tactique qu’en 2018, lors des tractations pour la formation du gouvernement, le M5s a traité à la fois avec le centre gauche et l’extrême droite, en suivant la tactique dite « des deux fours ». Serait-ce une source d’inspiration pour Emmanuel Macron en vue des élections à venir ?
Relevons enfin qu’en ce dimanche 31 janvier 2021 le blog beppegrillo.it en est à sa … 147ème semaine d’édition hebdomadaire ! Or en parcourant son éditorial, on trouve des thématiques dignes des inquiétudes des « écologistes » : saturation de nos atmosphères urbaines en Co2 et surmortalité liée au smog dans la vallée du Pô (Grillo met en exergue les tristes records de surmortalité à Bergame et Brescia … dont on sait qu’elles sont les 2 agglomérations urbaines parmi les plus denses du pays et qui furent les plus dramatiquement touchées par l’épidémie de SARS-COV2), pollution de l’eau par les pesticides, avenir possible de l’hydrogène comme nouvelle source d’énergie non polluante, etc. Et il y fait mention d’autres innovations sociales que pourrait défendre un parti disons, écosocialiste : expérimentation dans une institution de Seattle où des personnes âgées partagent leurs journées avec des enfants d'âge préscolaire âgés de 3 mois à 5 ans, ou tout simplement « socialiste » comme l’appel à signer la pétition demandant à l'Europe d'introduire un revenu de base universel pour les États membres.
Succès impressionnant aux élections législatives de 2013 : après 4 années d’existence seulement, le mouvement « 5S » totalise déjà 25% des suffrages et s’octroie ainsi 163 députés. Aux législatives de 2018 il s’impose comme la mécanique électorale de la modernité, sans grippage ni rival : 32,70% des suffrages, pour un taux de participation quasi inchangé. Il contrôle à lui seul 228 députés (et 112 sénateurs), une majorité relative certes, mais solide !
2020 , bas les masques : les sondages ne lui accordent plus que 15 à 17% des suffrages. Le retour prématuré devant les urnes lui serait donc fatal.
Ceci explique certainement cela : suite au départ de la coalition au pouvoir de Matteo Renzi, Giuseppe Conte est obligé de présenter sa démission au Président de la République Sergio Mattarella … mais s’impose immédiatement comme candidat à la formation d’un nouveau gouvernement pour éviter l’incertitude d’une nouvelle élection générale.
Examinons comment devrait procéder Giuseppe Conte pour installer son « gouvernement III », avant d’en déclarer publiquement la composition. Comme en septembre 2019, il devrait préalablement consulter les internautes de « la plate-forme Rousseau », leur demandant l’approbation du principe de la future-nouvelle coalition. Cette nouvelle plateforme a été développée par le M5S … mais sous la houlette exclusive de l’héritier de Gianroberto Casaleggio, son propre fils Davide. A la mort de son père en avril 2016, Davide Casaleggio a hérité de la société Casaleggio Associati … société commerciale qui était propriétaire exclusif de toute la machinerie internet conçue par Gianroberto. Une bien curieuse « Démocratie 2.0 », teintée de népotisme familial mais qui se veut l’application moderne de la démocratie-directe-représentative, si l’on peut se permettre ce néologisme politique. La plateforme, cette nouvelle « boîte noire », source de vives inquiétudes chez les militants les plus lucides.
La stratégie du réseautage en plateforme : ni parti, ni association … mais une belle entreprise !
Dans sa forme embryonnaire, la nébuleuse est constituée par le réseau des « Amis de Beppe Grillo », réseau né sur la plateforme Meetup et qui va donner naissance à un blog, conçu par un innovateur de la sphère informatique et bureautique, devenu expert en marketing digital : Gianroberto Casaleggio. Projet commercial en tête, Casaleggio se rend en avril 2004 à l’un des spectacles de Grillo à Livourne, et à l’issue du spectacle il parvient à le rencontrer dans sa loge. L’ayant convaincu de suivre ses « conseils » il conçoit l’architecture du blog durant l’année 2004, puis le fait lancer par Beppe Grillo, le 26 janvier 2005. Sous l’adresse de Grillo (beppegrillo.it.) Casaleggio a véritablement choisi l’acteur pour animer le visuel (façade) de son site et le sortir ainsi du clan fermé des geeks de la péninsule. Le 4 octobre 2009, Beppe Grillo présente dans un nième théâtre, mais à Milan cette fois, le mouvement 5 étoiles comme une « non-association » : le mouvement 5 étoiles représente une plateforme et un moyen de confrontation et de consultation qui tire ses origines et trouve son épicentre dans le blog www.beppegrillo.it. Mais le blog précise bien que « les contacts avec le mouvement 5 étoiles sont assurés exclusivement à travers la boîte électronique à l’adresse movimento5stelle@beppegrillo.it.
En pratique le « Mouvement » n’est donc ni un parti ni une association, mais un blog. Dont la propriété ne fait toutefois aucun doute : en bout de chaîne on trouve bien Gianroberto Casaleggio, qui pourra ainsi transmettre son patrimoine à son fils, peu avant son décès en 2016. Celui qui contrôle le blog détient le contrôle absolu de la vie du mouvement 5 étoiles … étoiles filantes ?
Conséquence de ce contrôle absolu du propriétaire de la machinerie infernale et dantesque, via une plateforme propriété d’une société commerciale sous la silhouette d’un prête-nom : toute tentative de participation spontanée de ses membres a été immédiatement étouffée, donnant lieu à des vagues progressives d’expulsions. De la même façon, chaque proposition de réunir une assemblée nationale autogérée par les militants a vite été excommuniée par les fondateurs (Pour plus de détails, voir le livre de Paolo Ceri et Francesca Veltri, Il Movimento nella rete. Storia e struttura del Movimento 5 stelle, Turin 2017, Rosenberg & Sellier). On a depuis connu quelques situations similaires en France, hélas !
(Pour une mise en perspective plus globale … à suivre dans du second épisode !)