Palestine, 7 octobre 2023 : la dernière guerre ?
(Cf. Elias Sanbar, « La dernière guerre ? Palestine, 7 octobre 2023 – 2 avril 2024 » ; Tracts Gallimard N° 56, avril 2024)
Dans une lettre ouverte à Alain Finkielkraut, publiée le 18 avril 2016 par Le nouvel Obs, Alain Badiou, lui-même philosophe, s’adressait déjà sévèrement au « nouveau philosophe » qui a fait de la « dénonciation de l’antisémitisme » l’arme de guerre politique justifiant toutes les actions de l’Etat d’Israël et un « rayon anesthésiant » … que cette formule est devenue dans la majorité des médias français. Un « rayon anesthésiant » à portée idéologique, destiné à faire taire, avant même qu’elle ne s’exprime, toute contestation des orientations politiques des gouvernements israéliens successifs et de leurs actions, notamment sur le territoire de Palestine, dont ils vont jusqu’à contester la réalité en lui substituant l’appellation géographico-historique de « Judée-Samarie » … un territoire que les Colons considèrent comme israélien et qu’ils ont l’ambition de reconquérir (Cf. l’article du 17 novembre 2023 du Courrier international titrant : En Cisjordanie, reconquérir la ʺJudée-Samarieʺ, l’objectif affiché des colons. Et l’article de poursuivre dans le paragraphe-chapeau introductif : depuis l’assaut du Hamas, le 7 octobre, les colons israéliens ont multiplié les attaques en Cisjordanie contre les Palestiniens, victimes de violences, voire de déplacements forcés. L’objectif affiché : prendre par la force le contrôle de ce territoire qu’ils considèrent comme partie intégrante de la terre d’Israël – ʺEretz Yisraëlʺ).
Cette stratégie du « rayon paralysant », en usant de l’accusation d’antisémitisme envers toute personne critiquant l’État d’Israël, n’est pas neuve pour autant. En témoignent les mots qu’Alain Badiou adressait à Alain Finkielkraut dès 2009, à l’occasion d’un premier débat retranscrit ci-dessous [Note : à la fin 2009, le philosophe Alain Badiou avait accepté pour la première fois de débattre avec Alain Finkielkraut. Un dialogue publié dans ʺl’Obsʺ et qui fut à l’origine de la publication d’un livre l’année suivante : « l’explication » ; conversations avec Aude Lancelin, éditions Lignes 2010] :
« Lors des discussions, publiques et publiées, que nous avons eues naguère, je vous avais mis en garde [Alain Badiou s’adresse à Alain Finkielkraut] contre le glissement progressif de votre position, et singulièrement de votre crispation identitaire, que je savais être à l’époque sans doute déjà très réactive, mais que je considérais comme loyale et sincère, du côté d’un discours qui deviendrait indiscernable de celui des extrêmes-droite de toujours.
C’est évidemment le pas que, malgré mes conseils éclairés, vous avez franchi avec le volume « l’Identité malheureuse » (Ed. Stock, octobre 2013] et le devenir central, dans votre pensée, du concept proprement néo-nazi d’Etat ethnique. Je n’en ai pas été trop surpris, puisque je vous avais averti de ce péril intérieur, mais, croyez-le, j’en ai été chagrin : je pense toujours en effet que n’importe qui, et donc vous aussi, a la capacité de changer, et – soyons un moment platoniciens – de se tourner vers le Bien.
Mais vous vous êtes irrésistiblement tourné vers le Mal de notre époque : ne savoir opposer à l’universalité, abstraite et abjecte, du marché mondial capitaliste, que le culte, mortifère dès qu’il prétend avoir une valeur politique quelconque, des identités nationales, voire, dans votre cas, « ethniques », ce qui est pire.
J’ajoute que votre instrumentation sur ce point de « la question juive » est la forme contemporaine de ce qui conduira les Juifs d’Europe au désastre, si du moins ceux qui, heureusement, résistent en nombre à cette tendance réactive ne parviennent pas à l’enrayer. Je veux dire, la bascule du rôle extraordinaire des Juifs dans toutes les formes de l’universalisme (scientifique, politique, artistique, philosophique…) du côté du culte barbare et sans issue autre que meurtrière d’un Etat colonial. Je vous le dis, comme à tous ceux qui participent à ce culte : c’est vous qui, aujourd’hui, par cette brutale métamorphose d’un sujet-support glorieux de l’universalisme en fétichisme nationaliste, organisez, prenant le honteux relais de l’antisémitisme racialiste, une catastrophe identitaire sinistre.
Dans le groupe des intellectuels qui vous accompagnent dans cette vilenie anti-juive, on me traite volontiers d’antisémite. Mais je ne fais que tenir et transformer positivement l’universalisme hérité non seulement d’une immense pléiade de penseurs et de créateurs juifs, mais de centaines de milliers de militants communistes juifs venus des milieux ouvriers et populaires. Et si dénoncer le nationalisme et le colonialisme d’un pays déterminé est « antisémite » quand il s’agit d’Israël, quel nom lui donner quand il s’agit, par exemple, de la France, dont j’ai critiqué bien plus radicalement et continûment, y compris aujourd’hui, les politiques, tant coloniales que réactionnaires, que je ne l’ai fait s’agissant de l’Etat d’Israël ? Direz-vous alors, comme faisaient les colons en Algérie dans les années cinquante, que je suis « l’anti-France » ? Il est vrai que vous semblez apprécier le charme des colons, dès qu’ils sont israéliens. »
(Extrait de : Le Nouvel Obs, 18 avril 2016 : https://www.nouvelobs.com/idees/20151112.OBS9357/lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut-par-alain-badiou.html
Si les mots ont un sens, celui-ci se déforme au fil du temps et des usages sociaux. Il est donc nécessaire de les prendre « à la source » et pour cela quoi de mieux qu’un dictionnaire (ici nous avons choisi notre exemplaire du dictionnair Le Robert, édition 1994). L’objectif est de bien nommer les choses (ou les objets) … pour ne pas ajouter au malheur du Monde (Cf. Albert Camus, Sur une philosophie de l'expression, paru dans la revue Poésie 44, 1944 ; on pourra également se référer à l’émission de France culture en suivant ce lien : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-des-idees/des-mots-et-des-choses-3314130).
Sémite : se dit des différents peuples provenant d’un groupe ethnique originaire d’Asie occidentale et parlant des langues apparentées. Les arabes, les éthiopiens, les juifs sont des Sémites. Courant (mais abusif) Juif. Adj : Avoir un type sémite, israélite.
Sémitique : relatif aux Sémite. Ling : qui appartient à un groupe de langues d’Asie occidentale et d’Afrique, présentant des caractères communs (racines trilitères, richesse en consonnes, etc.). Les langues sémitiques. Le sémitique occidental (groupe du Nord : cananéen ; phénicien, hébreu ; araméen ; syriaque – groupe du Sud : arabe, éthiopien)
Sémitisme n.m. – 1862 ; de sémite 1. DIDACT. Ensemble de caractères propres aux sémites, à leur civilisation, à leurs langues, etc. 2. Abusivt (vocab. Des antisémites) Caractères et influence des juifs (=> antisémitisme)
Antisémitisme n.m. – 1866 ; de antisémite ◊ Racisme dirigé contre les juifs.
Antisémite n. et adj. – 1889 ◊ Raciste animé par l’antisémitisme. Adj. Propagande antisémite. Des propos antisémites. « Je meurs antisémite (respectueux des sionistes) » (Drieu La Rochelle) (N.B. Pierre Drieu La Rochelle, né à Paris en 1893 au sein d’une famille bourgeoise déclassée, décédé en 1945. Ecrivain célèbre de l'entre-deux guerres, l'auteur de Gilles et du Feu follet a adhéré à l'idéologie fasciste au début des années 1930 (quoique très lié à Aragon dès 1917 –il l’admirait), avant de collaborer pendant l'Occupation et ce dès 1940. Il s'est suicidé au lendemain de la libération, par empoisonnement.)
Sionisme n.m. – 1886 ; de Sion, montagne de Jérusalem ◊ Mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un État juif (la nouvelle Sion) en Palestine.
Sioniste adj. et n. – 1886 ; ◊ relatif ou favorable au sionisme. Mouvement sioniste N – Les sionistes.
Judaisme : n.m. – 1220 ; lat. ecclés. Judaismus ◊ religion des juifs, descendants des Hébreux et héritiers de leurs livres sacrés. Se convertir au judaisme. – Appartenance à la communauté juive ; attachement aux valeurs juives – Communauté des juifs.
Judaïté (n.f. 1962) ou judéité (n.f. 1962) : ◊ didact la réalité juive, la condition de juif ; le fait d’être juif ; ou encore judaîcité, le fait d’être juif, d’appartenir à la communauté juive (affirmer sa judaïcité)
Judaïser : v. – fin XIVe . 1. v. intr. Relig. ou didac. Observer les cérémonies, les pratiques de la loi judaïque 2. v. tr. Rendre juif. Peupler d’habitants juifs.
Antisioniste/me : ne figure pas dans l’édition 1994 du dictionnaire Le Robert.
Antijudaisme : n’y figure pas non plus.
Au terme de ces relevés de vocabulaire et de leur stricte définition académique il faut bien admettre que « antisionisme » ne peut être pris pour synonyme de « antisémitisme », quand bien même le premier terme ne figurait même pas au dictionnaire dans son édition de 1994. Que, par conséquent, l’accusation infamante et disqualifiante d'« antisémite » lancée à quiconque critique le gouvernement et l’Etat d’Israël pour leurs politiques sioniste et colonialiste est a minima une fourberie, voire une forfaiture. Il s’agit plus certainement d’une stratégie parfaitement consciente de la part de ceux qui agitent ce ʺrayonʺ, d’une ruse politique particulièrement efficace, dont ne devraient pas user les militants progressistes, les « libres-penseurs » et les intellectuels de bonne foi (Cf le document vidéo ci-après circulant sur Facebook mais que je n’ai pu dater – vraisemblablement enregistré dans les années 1990. Alain Badiou y répond déjà, et avec fermeté, à Alain Finkielkraut.
(https://www.facebook.com/share/2nTkeJpZdWVLD3oN/).
Quand bien même le Président français pouvait-il déclarer devant le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahou, à l'occasion de la 75ème commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, en juillet 2017 : "nous ne céderons rien aux messages de haine, nous ne céderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme".
Soulignons enfin que le terme d’islamophobie ne figure pas dans l’édition « papier » de 1994, qu’il n’y est entré qu’en octobre 2013 et sous la définition suivante : "forme particulière de racisme dirigé contre l'islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins" (Le Petit Robert, 14 oct. 2013).
On pourrait dès lors suivre en parallèle la variante « forme particulière de racisme dirigé contre le judaïsme et les juifs » et qualifier ces comportements, actes ou propos racistes de judéophobie, le terme de racisme englobant toutes les formes particulières de son expression, et celui de xénophobie (n. f. – 1904) définissant « l’hostilité à ce qui est étranger » (Le Robert), le rejet de ʺl’étrangerʺ quel qu’il soit.
Et pour conclure cette exploration terminologique en compagnie de Robert (le petit), terminons notre voyage par une note plus pacifique et optimiste, aspirons à davantage de xénophilie (n. f. – 1906), terme qui, quoique « RARE » comme le mentionne le dictionnaire, exprime une « sympathie pour les étrangers ».
Etranges étrangers, pourtant si proches et imbriqués dans leur histoire sur cette Terre sainte faite d'intrications centenaires voire millénaires, comme nous le découvrirons sous la plume d'Elias Sanbar (Cf. La Palestine expliquée à tout le monde, Ed. Seuil, octobre 2013) dans la seconde partie de cet article (à paraître prochainement).
Nous examinerions par la suite plus spécifiquement ce registre du "sionisme" en présentant historiqement ce que fut le "congrès sioniste", dont la 1ère session s'est tenue à Bâle en 1897. Nous découvrirons que, longtemps, ce projet sioniste fut loin d'être majoritaire au sein des divers courants du judaïsme (entendu comme "communuaté"), courant religieux, courant patriotique assimilationniste, humaniste, libéral et/ou démocratique et, bien entendu plus radical, révoltionnaire et internationaliste marxiste (voir l'ouvrage collectif : Antisionisme, une histoioe juive. Textes choisis par Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman; Ed. Syllepse, septembre 2023).
Dans un troisième mouvement nous pourrons alors aborder la Palestine, cette "Terre sainte" si longtemps occupée ou mise sous tutelle (cf. le mandat britannique) et aujourd'hui niée, pour tenter d'entrevoir la possibilité d'une issue par le haut.