LA ZFE-m, UN BOL D'AIR INDISPENSABLE (1ére Partie)
LA POLLUTION DE L'AIR:
UN COÛT INSUPPORTABLE POUR L'EMS
L’annonce de reporter à fin 2026 l’interdiction des véhicules automobiles ayant une vignette Crit’Air 3 sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) a créé la surprise. Le 18 septembre, Pia Imbs, présidente de l’EMS, entourée de Jeanne Barseghian maire de Strasbourg et Danièle Dambach présidente de l’Agence du climat, a justifié cette décision en invoquant « l’amélioration de la qualité de l’air et la situation économique et sociale des ménages ». A la croire , elle se contente de tirer les enseignements de l’évaluation intermédiaire du dispositif de la Zone à faibles Emissions (ZFE).
Cette volte-face n'a pas manqué de susciter des réactions au sein de l'opposition. Les maires opposés à cette mesure n’ont pas tardé à réagir, publiant une tribune dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. Avec une pointe d’ironie, ils ont souligné : « Surtout, nous n’avons cessé de rappeler que, face à l’idéologie, la présidente de l’Eurométropole, ses alliés écologistes et les quinze maires qui ont voté son calendrier, finiront un jour par être rattrapés par le principe de réalité. » Ils concluent leur tribune avec une phrase cinglante : « Il aura juste fallu trois ans pour que l’exécutif de l’Eurométropole s’engage enfin sur la voie de la raison. Nous veillerons à ce qu’il y reste. »
Face à ces critiques acerbes, Pia Imbs a tenu à défendre fermement sa position. Visiblement agacée, elle réfute toute accusation de renoncement et réplique dans un communiqué: « La ZFE n’est pas une fin en soi, mais un outil au service d’un objectif commun : la santé publique. ».
Un tel changement, intervenant à seulement six mois d’intervalle, ne peut qu’engendrer des interrogations d’autant plus que « l’EMS a fait de l’amélioration de la qualité de l’air et de la santé de ses habitant∙es un des objectifs majeurs de son action ». Ce revirement suscite nécessairement des doutes quant à sa détermination affichée à atteindre « les seuils préconisés par l’OMS, avec les nouveaux seuils de l’Union Européenne en étape intermédiaire afin de garantir un air sain pour toutes et tous ».
De ce fait, il est pertinent d'examiner les motivations sous-jacentes à cette décision, en particulier à l’approche des élections municipales prévues en 2026. Cette mesure est-elle avant tout motivée par des impératifs électoraux comme le soutient l’opposition de droite ou se fonde-t-elle sur des considérations environnementales, sociales et juridiques objectivement établies ?
Dans un premier temps, nous analyserons dans quelle mesure l'instauration de la ZFE peut constituer un outil pertinent dans la lutte contre la pollution atmosphérique. Par la suite, nous nous demanderons si le choix de report de la majorité de l'EMS pour tenir compte de "la situation économique et sociale des ménages" est justifié au regard de la lutte contre la pollution de l'air. Un soutien financier accru de la collectivité envers les ménages à faibles revenus ainsi que le développement des modes de transport alternatifs à la voiture individuelle pourraient s’avérer plus adaptés à une mise en œuvre socialement équitable de la ZFE.
Ces questions appellent une analyse que nous nous proposons d'examiner en détail dans plusieurs articles
Il est indéniable que la qualité de l'air s'est améliorée dans l'agglomération de Strasbourg au cours des quatre dernières années. Les données disponibles en témoignent de manière probante comme le révèle le tableau ci-dessous, qui présente l'évolution des concentrations annuelles moyennes de dioxyde d'azote (NO₂) entre 2019 et 2023.
Ces évolutions se traduisent par une meilleure qualité de l'air pour les habitants de l'EMS. Comme l'indique la note de l'ADEUS intitulée « Évaluation de la Zone à Faibles Émissions_Mobilité », publiée en septembre 2024, cette amélioration est clairement illustrée dans le tableau ci-dessous
Ainsi, comme le mentionne la note « Pour le dioxyde d’azote NO2, le nombre d’habitant·e·s exposé·e·s au nouveau seuil de 20 µg/m3 a fortement diminué depuis 2019 passant de 220 754 personnes à 7 812. Ce sont également environ 5 % des établissements tertiaires et industriels (c’est-à-dire environ 5 000 établissements) et une cinquantaine d’établissements accueillant des populations sensibles (écoles, crèches, établissements sportifs, ...) qui sont exposés à une concentration supérieure à 20 µg/m3 ».
Il en va de même pour les particules fines dont les concentrations ont également diminué au cours des dernières années. Les niveaux de particules PM10 et PM2.5 ont connu une baisse significative, témoignant d'une amélioration générale de la qualité de l'air. Toutefois, en ce qui concerne les concentrations d'ozone, aucune diminution notable n'a été observée comme le montre le tableau ci-dessous concernant la station Strasbourg Nord. Cela s'explique en grande partie par les effets du changement climatique qui exacerbent la formation d'ozone troposphérique.
Ces données révèlent une baisse significative de la pollution atmosphérique en 2023, reflétant non seulement des conditions météorologiques favorables mais surtout l’application de politiques locales visant à réduire les émissions de polluants. De fait, la majorité de l’EMS s’est fortement engagée, dés son arrivée, dans la lutte contre la pollution atmosphérique, notamment à travers le Plan Climat 2030, adopté en décembre 2019, avec des objectifs thématiques clairs et un plan d’action structuré. Celui-ci repose sur quatre axes principaux : l’amélioration de la qualité de vie et la résilience, la transformation du territoire vers la neutralité carbone, la transition économique et les moyens d’action à déployer.
Il était en effet impératif d'agir et de mettre en place des mesures structurées et ambitieuses face à la dégradation progressive de la qualité de l'air qui a causé une augmentation préoccupante des pathologies liées à la pollution atmosphérique, notamment les cancers ainsi que les maladies cardiovasculaires et neurologique. Cette détérioration affecte particulièrement les populations vulnérables, notamment les personnes âgées, les femmes enceintes, les enfants, ainsi que celles souffrant de maladies chroniques. Cependant, l'exposition à ces polluants n'est pas équitablement répartie au sein de la population. Les individus vivant ou travaillant à proximité d'axes routiers à forte densité de circulation sont davantage exposés et donc plus gravement affectés. Ainsi, selon les données de Santé Publique France, le dioxyde d'azote (NO₂) et les particules fines ont été responsables de 47 000 décès prématurés à l'échelle nationale en 2021 dont environ 500 sur le territoire de l’EMS.
Le trafic routier apparait comme l'une des principales causes de cette dégradation environnementale, étant responsable d'une part significative des émissions de polluants dangereux pour la santé humaine. Il est notamment à l'origine de 81 % des émissions de dioxyde d'azote (NO₂) et de 20 % des émissions de particules fines (PM), deux agents reconnus pour leurs effets néfastes sur la santé. Ces données soulignent l'urgence de prendre des mesures concrètes visant à réduire les émissions polluantes, en particulier dans le secteur des transports.
Un aspect souvent sous-estimé des problématiques environnementales réside dans les coûts socio-économiques liés à la pollution atmosphérique. Selon un rapport de l'Alliance européenne pour la santé publique (EPHA) (1) publié en 2020, la pollution de l'air engendre des dépenses considérables pour les villes européennes. En effet, d'après cette étude de grande envergure, la pollution atmosphérique coûte, en moyenne, 1 276 euros par habitant chaque année dans les villes européennes. Ce rapport quantifie les coûts monétaires associés aux décès prématurés, aux traitements médicaux, aux journées de travail perdues, ainsi qu'à d'autres dépenses de santé liées aux trois principaux polluants responsables de la majorité des maladies et des décès : les particules fines (PM), l'ozone (O₃) et le dioxyde d'azote (NO₂).
Pour ce qui est de la ville de Strasbourg, les résultats de l'étude révèlent que les coûts liés aux dépenses de santé induites par la pollution atmosphérique pour une commune de cette taille s'élèvent à environ 268 millions d'euros par an ce qui correspond à une dépense moyenne de 955 euros par habitant. Ces chiffres mettent en lumière l'ampleur des conséquences économiques de la pollution de l'air, non seulement en termes de santé publique, mais aussi en termes de coûts financiers supportés par les collectivités et les individus.
Dans un prochain article, nous nous attacherons à analyser le contexte politique et réglementaires dans lequel s’inscrit la décision de l’EMS de reporter l’interdiction des véhicules dotés d’une vignette Crit’Air 3. Cette analyse portera sur l'évolution des seuils réglementaires prévus pour 2030 dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique, évolution résultant de la directive européenne relative à la qualité de l'air ambiant et à un air pur pour l'Europe, adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 14 octobre 2024. Ce texte législatif redéfinit le cadre législatif national et interroge la légitimité de la décision prise par l'EMS au regard des exigences européennes en matière de santé publique et de protection environnementale. En outre, nous aborderons les résultats des enquêtes d’opinion lesquels révèlent que, en 2023, le changement climatique s’est imposé comme la principale préoccupation des citoyens français.
(1) CE Delft, Health costs of air pollution in European cities and the linkage with transport, European Public Heatlh Alliance (EPHA), 2020