« Jura Citadelle » et « Cité Spach-Rotterdam » : 2 QPV centraux, voisins et pourtant différents.
Partons d’en haut :
5 307 455, c’est la population municipale (chiffres de 2020) qui, en France hexagonale, résidait en 2024 dans un Quartier Prioritaire de la Ville (QPV), soit 8% de la population hexagonale.
Pour ce seul hexagone, on dénombre 1362 QPV (plus 140 Outre-Mer), dont 31 en Alsace ; soit 24 dans le Bas-Rhin (et 7 dans le Haut-Rhin), dont 21 pour la seule Communauté Urbaine de Strasbourg (EMS) … 15 étant concentrés dans la seule commune de Strasbourg.
Strasbourg regroupe donc la moitié des QPV d’Alsace. C’est dire que cette question sera un des points majeurs de la campagne pour les prochaines élections municipales (2026) … pour peu que l’on ait la volonté de mobiliser les électrices et les électeurs de ces quartiers populaires. Populaires certes, mais nous allons le constater, surtout défavorisés, voire déclassés, oubliés et abandonnés.
Pour autant, contrairement à l’image facilement diffusée des ʺbanlieuesʺ et autres ʺtècesʺ ou ʺtieksonsʺ, les QPV de Strasbourg ne sont pas tous excentrés, relégués dans les limes de la ʺcapitale européenneʺ d’Alsace (et "capitale de Noël" !) : parmi les 15, deux au moins sont implantés au centre, enchâssés dans le vaste réseau d’eau des rivières et canaux qui font la beauté de notre ville, et proches de parcs verdoyants.
44.3 % : c’est le taux de pauvreté au seuil de 60 % (%) dans ces mêmes QPV,
26.8 % : c’est la part des 16-25 ans non scolarisés et sans emploi,
32.8 % : c’est la part des familles monoparentales.
4 883 résidents pour ce ʺpetit dernierʺ QPV strasbourgeois qui n’a été rattaché au ʺcontrat de villeʺ qu’en 2024. Un quartier de taille modeste (16 ha, tout de même le double de la superficie occupée par le quartier Ampère) et tout en longueur, s’étalant sur une bande étroite (le plus souvent bordée de 2 rues parallèles) depuis le cœur très vivant de la ville (rue de Lausanne), à proximité immédiate des places d’Austerlitz et de l’Étoile et bordant ensuite le quartier historique et autrefois très populaire de la Krutenau, puis longeant celui de l’esplanade.
Un quartier pauvre quasiment en centre-ville, dont le ʺtaux de pauvreté à 60%ʺ (Cf. note N° 1) est de 41%, ce qui est élevé. Par comparaison, le quartier Ampère, quartier que nous avons qualifié ʺde relégationʺ, enregistre un taux de pauvreté encore plus élevé (57%). Pourtant la rue du Jura (plus encore que le prolongement ʺcitadelleʺ) est confortablement installée dans un environnement bien loti en services publics et commerces : il suffit de passer … le bras du canal du Rhône au Rhin par l’une des passerelles piétonnes pour accéder au centre commercial ʺRive-Etoileʺ ainsi qu’à la médiathèque Malraux. Un quartier pas vraiment « ségrégué », à l’opposé du quartier Ampère (Cf. un article précédent). Persistent toutefois des signes évidents de pauvreté : seuls 23% des ménages résidents sont imposés et 26,1% d’entre eux ne subsistent que grâce aux maigres pensions de retraite et revenus assimilés. A l’opposé, les revenus d’activité (essentiellement des salaires) ne représentent que 57,4% de l’ensemble des revenus perçus par les habitants du quartier, quand les indemnités de chômage et les prestations familiales ne représentent respectivement que 5,3% et 5% de cette totalité. Les immigrés pompent-ils réellement la Sécu et l’Etat ? Mais où sont passés les ʺassistés sociauxʺ ? Notons enfin que sur les 4 883 résidents, 1 888 sont bénéficiaires d’une ou plusieurs allocations sociales (couvrant 3 378 personnes, cas des ménages avec enfants), dont 251 familles monoparentales et … 648 ʺallocataires étudiantsʺ. On a connu plus riches, non ?
Une population fortement composée de jeunes, mais dont peu d’entre eux sont ʺnon scolarisés et sans emploiʺ (6,9% des 16-25 ans), particularité qui révèle un fort taux général de scolarisation parmi les jeunes. Car si la population globale est peu diplômée (32,5% des résidents du QPV ne sont dotés d’aucun diplôme, 33% pour les seules femmes), caractéristique pénalisante qui touche surtout les étrangers (47%) et explique largement le fort taux de chômage au sein du quartier (28% au dernier recensement de 2020), les jeunes de 15 à 24 ans sont quasiment tous scolarisés (89%), plus nettement encore les femmes (91,2%). Les 85,3% d’étrangers de la tranche d’âge scolarisés (15-24 ans) sont bien des étudiants : preuve en est que 29,6% des étrangers du QPV sont dotés d’un diplôme de niveau Bac + 2 ou supérieur, ce qui est remarquable pour un tel quartier.
C’est que les équipements collectifs de type culturel, sportif et d’éducation/formation ne manquent pas dans et autour du QPV. Le groupe scolaire de l’école élémentaire Louvois (quai des Alpes) récemment rénové, l’école maternelle Oberlin (rue du Jura), le centre sportif de l’Esplanade (Rue Louvois), un espace de sport et de jeux extérieurs au pied de la citadelle Vauban, 2 salles de spectacle (Le Tambourin dans l’enceinte de l’ARES et la POKOP 19 rue du Jura, salle ouverte à tous quoique cogérée par le CROUS et l’Université), le collège international (rue de Louvois, mais est-il réellement destiné aux enfants du quartier ?), sans oublier la médiathèque Malraux pour laquelle … il suffit de passer le pont pour y accéder. Le tout couronné par le lycée Marie Curie, dernière marche avant … l’Université voisine. Enfin, si le parc de la citadelle est situé à l’extrémité du quartier faisant la jonction entre ʺJura-citadelleʺ et ʺSpach-Rotterdamʺ, le quai des Alpes est agréablement bordé de hauts platanes qui procurent aux riverains un peu de fraîcheur par les chaudes journées d’été. Ce ne sont donc pas tant les conditions matérielles de l’habitat et de son environnement urbain qui sont en cause, mais bien les conditions économiques et sociales de la population qui y réside.
La population du QPV est donc plutôt jeune : seuls 18,1% des individus sont âgés de plus de 60 ans alors que l’ ʺindice de jeunesseʺ est de 1,7 (mais il atteint 2,7 pour le quartier Ampère), confirmant le fait que la moitié de la population (49,2%) soit âgée de moins de 25 ans. Une population fortement composée d’immigrés (25,1%), qui représentent un tiers des ménages (33,8%) mais se réduisant à une proportion de 19% de personnes de nationalité étrangère. Conclusion : la part des personnes majeures de nationalité française atteint tout de même 81,5%, les ʺnon nationauxʺ étant souvent des étudiants, ce qui explique simultanément le faible taux d’emploi des étrangers, soit 33,4% en 2024.
La quasi-totalité des ménages sont bien évidemment locataires (98,8%), donc peu susceptibles d’accéder à la propriété (comment peut-on devenir propriétaire … en étant pauvre ?).
On notera toutefois que seuls 95,5% des logements sont qualifiés de ʺrésidence principaleʺ, les 4,5% restants étant déclarés ʺvacantsʺ (sont-ce des logements en cours de réhabilitation ?). En outre, seuls 97,1% sont des ʺappartementsʺ, mais relativement spacieux (entre 60 et 80 m2), généralement composés de 3 ou 4 pièces (80,5% des logements) et relativement peu occupés (2,3 personnes par appartement en moyenne). C’est ce que l’on a constaté en parcourant le quartier Jura et en conversant avec quelques habitants, qui nous ont confirmé qu’une proportion importante des logements sociaux étaient occupés depuis plusieurs décennies par des membres des classes populaires, plutôt alsaciens de longue date et jouissant de logements spacieux (les enfants ont grandi et sont partis), rénovés voici peu et entourés de services divers dont le centre commercial Rive-étoile (avec un hypermarché à prix compétitifs) et un autre supermarché au pied de la Porte de France. En revanche il n’y a plus guère de commerces de proximité en dehors d’une boulangerie-pâtisserie, sorte de halte sur le quai des Alpes. Les constructions sont plutôt anciennes, achevées entre 1946 et 1970 pour 70,4% d’entre elles, complétées par les 13% de bâtiments achevés entre 1971 et 1990. Des ensembles qu’il fallait donc rénover : ce qui a été fait il y a un peu plus d’une décennie, au moins pour l’isolation thermique, isolation efficace en hiver mais bien moins en été, selon ce qui nous a été rapporté par les habitants rencontrés. Quelques maisonnettes charmantes situées le long du canal du Rhône au Rhin complètent joliment cet ensemble filiforme, face à la médiathèque Malraux et à proximité du tram, voire de la gare routière de la place Dauphine … permettant de s’échapper en ʺbus low costʺ. Encore faut-il les moyens de le faire…
Or la configuration particulière de la population résidente, composée d’une proportion importante d’étudiants (et de scolaires), explique largement le très faible taux d’emploi (Cf. 2), 37,8% de la population totale (33,7% pour les femmes et 42,9% pour les hommes), dont 41,5% à temps partiel. Ce dernier point explique en retour le fort taux de pauvreté, alors que le taux d’activité est de plus du double pour les 25-54 ans (79%) mais reste sensiblement inférieur à celui de ʺSpach-Rotterdamʺ (84,5), la différence résidant bien entendu dans le nombre important d’étudiant ou scolarisés.
Au 31 décembre 2023, ces chômeurs du QPV ʺJura-Citadelleʺ étaient de 497, à quasi égalité entre femmes et hommes. Très peu étaient âgés de moins de 26 ans (70) … et pour cause : ils sont le plus souvent encore en formation. En revanche, 255 (soit la moitié des chômeurs du quartier) étaient âgés de 25 à 49 ans et à égalité entre femmes et hommes, la grande majorité étant de nationalité française (294). Dans le Quartier le taux de chômage au sens du recensement (Cf. 3) est alors de 28,1%, soit 4 fois le taux de chômage de la ʺFrance entièreʺ !
Si l’on ajoute la forte proportion de familles monoparentales (36,7%), essentiellement des femmes bien entendu, cela accroît les difficultés matérielles quotidiennes et psychologiques des parents devant affronter (seules, en fait) une telle situation. Notons que l’une des caractéristiques majeures de ces QPV où qu’ils se situent, c’est justement la concentration de familles monoparentales : 1 ménage sur 6 dans les QPV, contre 1 sur 10 ʺdans les environnements urbainsʺ.
Comment peut-on envisager, sans autre forme de questionnement, de payer son loyer, même pour un logement « social », et élever ses enfants dans des conditions dignes avec si peu de ressources ?
Spach-Rotterdam : deux quartiers ʺclassésʺ … mais déclassés !
3357 habitants pour ce second QPV situé en bordure de l’esplanade (la Cité Spach) ou ancré au sud du quartier des XV (pour Rotterdam). Une taille à peine moins modeste que le précédent (18 ha) mais un assemblage artificiel de 2 quartiers qui sont de fait séparés et historiquement fort différents. Le plus ancien n'était au départ qu'une rue, la Rue Spach, du nom de Frédéric-Gustave Spach, secrétaire à la mairie de la ville de Strasbourg 40 années durant la seconde moitié du XIXème siècle ; décédé en 1895, sans héritier, il lègue ses biens à la ville qui les regroupe dans une fondation. Conçue à la fin du XIXème siècle (1899-1900), en bordure de l’avenue de la forêt noire, donc dans cette ʺNeustadtʺ classée aujourd’hui au patrimoine mondial de l’UNESCO, la rue est augmentée dès 1903 de logements populaires dans le cadre juridique d’une société coopérative (Gemeinnützige Baugenossenschaft) qui fait construire le pendant de la première rue, la transformant ainsi en ʺCitéʺ. Au départ ce sont 96 logements sociaux destinés à « des familles de bonne réputation honorables et appartenant aux classes économiquement faibles » (plutôt des employés municipaux) qui sont construits, puis 101 logements supplémentaires sont programmés en 1903, « dans une optique hygiéniste, hauts de plafond, bien aérés, équipés du gaz pour le chauffage et l’éclairage » !
Toute autre est l’histoire de la cité Rotterdam qui, au sortir de la seconde guerre mondiale a ouvert la voie aux grands ensembles des années soixante. Les premiers occupants ne l’investissent qu’en 1953, après 14 mois de travaux. Programmée dès 1950, crise du logement oblige (en plein ʺbaby-boomʺ) et, surtout, pour assurer le rapatriement des strasbourgeois hébergés à Kehl suite aux bombardements de la seconde guerre mondiale, elle devait offrir 1 000 logements mais il n’y en aura finalement que 800, répartis dans 11 immeubles, de tailles très diverses (7 types d’appartement). Ils étaient prévus pour accueillir des familles nombreuses, placées dans les bâtiments bas de 2 ou 3 étages (dont certains avec jardin privatif en RdC), ou des ménages sans enfant, voire des célibataires, affectés prioritairement dans les 2 bâtiments les plus hauts (13 étages pour le plus élevé). Deux écoles complètent l’ensemble, maternelle ʺVaubanʺ et ʺécole élémentaire du Conseil des Quinzeʺ au pied de l’immeuble de 13 étages, et quelques commerces de proximité prévus à l’origine ont survécu, notamment un petit supermarché et un commerce alimentaire ʺbioʺ. Autre avantage de cette cité autrefois très hétérogène quoique ʺpopulaireʺ et bordée par ce quartier cossu du Conseil des Quinze : le grand marché de la Marne (mardi et samedi). Un marché scindé en deux ʺcompartimentsʺ situés des deux côtés du boulevard d’Anvers, à niveaux de prix et de clientèles d’habitués bien différenciés. Labellisée « Patrimoine remarquable du XXème siècle », la cité Rotterdam est donc elle aussi classée. Elle s’ouvre facilement sur l’Esplanade et son complexe développé d’institutions scolaires du second degré et, bien sûr, l’Université, toute proche avec le PEGE (Pôle Européen d’Economie et de Gestion) qui la sépare de la Cité Spach. Sans aucune articulation avec cette dernière la Cité Rotterdam n’a été rattachée à ce QPV qu’en 2024.
Un QPV de taille à peine moins modeste que le premier (18 ha) et composé de 2 éléments séparés formant aujourd’hui un ilot de pauvreté dans un quartier résidentiel plutôt confortable occupé par des familles de type ʺclasses moyennesʺ (Marne/Forêt noire) voire supérieures (Conseil des Quinze).
En revanche un QPV bien desservi par les transports collectifs, tram et bus. Les lignes de tram E et C sont proches de Spach (à son extrémité Sud-ouest) et la ligne F, qui permet de rejoindre la gare centrale, marque son terminus à son extrémité Est et devant les premiers immeubles bas de Rotterdam, place d’Islande. Un tram F qui redouble la ligne G, un Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) qui marque son terminus de retournement en bordure Nord-est de la Cité Rotterdam, point un peu éloigné de son cœur de cité toutefois. Enfin, un QPV qui dispose à ses portes d’un grand parc, le parc de l’orangerie, un petit parc ouvert exclusivement de jour (l’observatoire) mais peu propice aux activités autres que ʺintellectuellesʺ, tandis qu’à l’autre extrémité le terrain vague du terminus de tram F (place d’Islande) est appelé à recevoir très prochainement les premières fondations d’une résidence universitaire de 500 logements.
Moins jeune que ʺJura-Citadelleʺ (seul 1/3 des résidents sont âgés de moins de 25 ans – 34,7%), Spach-Rotterdam enregistre un indice de jeunesse plus modeste (1,2 seulement, contre 1,7 pour le premier), donc comprend vraisemblablement bien moins d’étudiants. Par ailleurs, 49,5% des ménages installés y ont emménagé voici plus de 10 ans ce qui traduisant un vieillissement de la population résidente et une forme de relégation dans ce quartier, alors que les cités du même type qui ont été construites dans les années 1960 étaient plutôt des résidences de passage avant l’accession à la propriété, phénomène massif qui a accompagné les ʺ30 glorieusesʺ. La population y est effectivement plus âgée : 20,7% de personnes sont âgées de plus de 60 ans contre 18,1% pour ʺJura Citadelleʺ.
En revanche, le quartier est très marqué socialement, accusant un taux de pauvreté de 46% (certes, on est encore loin des 57% du quartier Ampère) et comprend encore plus de familles monoparentales que ʺJura-Citadelleʺ (40,2% des ménages contre 36,7 pour ce dernier), très peu de ménages de plus de 2 personnes (22,2%) et, aujourd’hui, quasiment plus de familles ʺnombreusesʺ (seuls 10,6% des ménages sont composés de 4 ou 5 personnes). Le ménage archétypique du quartier est donc une famille monoparentale avec 1 voire 2 enfants, fait corroboré par la proportion de femmes dans la population du QPV (54,7%) et redoublé par la part majoritaire des femmes parmi les ménages composés d’une seule personne (54,1%).
Autre indicateur significatif de cette forte implantation de familles en situation de précarité : 954 enfants sont couverts par au moins une prestation CaF (Caisse d’Allocation Familiale), dont 141 de moins de 3 ans et 165 âgés de 3 à 6 ans. Sans l’aide sociale ces enfants ne pourraient certainement pas vivre dans des conditions (tout juste) convenables, en particulier sur le plan alimentaire. En outre, sur le plan de leur scolarisation ces enfants sont nettement moins intégrés que dans le QPV ʺJura-Citadelleʺ : à Spach-Rotterdam la proportion des 16-25 ans ʺnon scolarisés et sans emploiʺ est de 15,5% (contre 6,9% à Jura-Citadelle), alors que le taux de scolarisation des étrangers de 15-24 ans n’est que de 70,9% (contre 85,3) et que plus du tiers des femmes sont sans diplôme (35,1%). Si l’on ajoute que 163 personnes perçoivent l’Allocation Adultes handicapés (AAH), la déclinaison de cette situation de pauvreté est (presque) complète.
Une population pauvre … sous assistance
Au regard de la population totale du QPV, le nombre total d’allocataires est donc particulièrement élevé : 1667, soit la moitié des habitants. En revanche et contrairement au QPV ʺJura-Citadelleʺ, les ʺallocataires étudiantsʺ y sont relativement rares (145, contre 648) et les jeunes de 15 à 24 ans sont nettement moins scolarisés qu’à ʺJura-Citadelleʺ (76,8% contre 89), plus nettement encore pour ce qui concerne les jeunes femmes (74,9% contre 91,2). Ce sont les ʺallocataires isolés sans enfantʺ qui sont les plus nombreux (1043), manifestation de situations individuelles de grande précarité confirmée par un fort taux de chômage (28,2%) et un faible taux d’emploi (46,9%). Bien évidemment, le taux d’activité (c’est-à-dire chômeurs déclarés compris) est très faible (63,1% pour les femmes et 68,4 pour les hommes), à l’exception de la tranche d’âge 25-54 ans où l’on retrouve des taux ʺnormauxʺ (84,5%). Enfin, le taux d’emploi des femmes (47,9%) y est légèrement supérieur au taux d’emploi masculin (45,7), mais ce paradoxe apparent s’explique bien évidemment par la forte présence de familles monoparentales (40,2%) dont l’adulte est … une femme.
Agrégés aux allocataires monoparentaux (266), ces 2 catégories d’allocataires (isolés et monoparentaux) représentent presque 80% des personnes percevant un revenu d’assistance (1309/1667) : la précarité est bien le marqueur social du quartier. Ce que confirme le nombre de demandeurs d’emploi au 31 décembre 2023 : 646 (contre 497 pour le QPV ʺJura-Citadelleʺ), une caractéristique toujours à quasi égalité entre femmes et hommes quoiqu’un peu plus marquée pour les femmes (334 contre 309) et touchant ici davantage les moins de 26 ans (72 personnes en données brutes), si l’on veut bien tenir compte de la taille du quartier, réduite d’un tiers en comparaison de ʺJura-Citadelleʺ. Nombre de chômeurs et de ʺdécouragésʺ ne subsistent que grâce aux allocations.
À Spach-Rotterdam la proportion d’immigrés est également élevée (31,7%). Ils représentent presque 40% des ménages (39,5%) mais la moitié d’entre eux ont acquis la nationalité française puisque seuls 20,1% de ménages sont étrangers. Si la part de la population sans diplôme (30,7%) est légèrement inférieure à ce qui a été constaté dans le QPV ʺJura-Citadelleʺ, elle est bien plus marquée pour les femmes (35,1%) et plus encore pour les immigrés (39,9).
Bien évidemment et comme à ʺJura-Citadelleʺ, 97% des ménages sont locataires (mais qui sont donc les 3% manquant ?). En revanche le nombre de personnes par résidence principale est faible (1,9), ce qui confirme ce qui vient d’être relevé en termes d’allocataires : beaucoup d’isolés sans enfants. Le tout correspond à la taille des logements, qu’ils soient de 2 pièces (24,2%) ou de 3 (49,3%), particulièrement dans la partie Spach. Les logements de 60 à 80 m2 sont essentiellement implantés Cité Rotterdam et destinés aux familles ʺnombreusesʺ. Malgré cela 11,4% des logements de 3 pièces sont ʺsuroccupésʺ, vraisemblablement davantage à Spach qu’à Rotterdam.
En visitant les lieux, et plus spécifiquement cette ʺcité Spachʺ, on perçoit bien ces situations : même si des opérations de rénovation des bâtiments et logements ont été entreprises voici quelques décennies et que les règles minimales d’hygiènes y sont respectées, ce n’est pas le mignon petit jardin d’enfants et sa petite note de fraîcheur qui suffit à illuminer ce qu’est devenue cette rue Spach pourtant conçue, il y a plus d’un siècle, dans un grand mouvement généreux hygiéniste et ʺsocialʺ. Tout y manque : l’air, le soleil, des lieux de convivialité et d’échanges sociaux … et lorsque le plafond est bas (à l’extérieur) ce n’est pas la gaieté qui impressionne de prime abord !
Quel que soit le Quartier Prioritaire, la politique de la ville est-elle à même de remédier seules aux difficultés profondes rencontrées par les personnes qui l’habitent ? Certes, non.
Ce sont tout d’abord les politiques économiques (planification et dynamisation de la production à l’échelle du territoire tout entier, puis déclinaisons particulières au niveau des ʺbassinsʺ, le tout dans une logique de cohésion territoriale et en prenant compte de l’épuisement possible des ressources) et leurs incidences positives sur l’emploi en général qui sont primordiales. Complétées par les politiques sociales nationales (redistribution et aides aux plus défavorisés ou en difficulté, distribution des biens communs à toutes et tous en assurant leur production responsable et durable et leur distribution égalitaire) elles constituent la réponse la plus efficace permettant de remédier aux inégalités profondes. Le troisième volet, celui de l’éducation et de la formation est toutefois tout autant primordial pour vaincre les pesanteurs de la reproduction sociale.
Or sur ce point comme sur celui des ʺbiens communsʺ (dans lesquels l’école est bien évidemment primordiale) et du logement, la ville est en capacité de jouer un grand rôle via sa politique scolaire spécifique et son volontarisme en matière de logements sociaux de qualité. Des logements sociaux sans cesse rénovés (et leur parc augmenté rapidement) en prenant en compte les contraintes du changement climatique indéniable, pour éviter les erreurs passées de ces grands ensembles désarticulés énergie-voraces. Des implantations (logements, écoles, universités, lieux culturels et de loisirs, équipements de soins, administrations publiques…) harmonieusement disposées sur le métier à tisser urbain pour contrer la sinistre ʺloi de Paretoʺ (80/20), où les 80% sont relégués de plus en plus loin et sans être accompagnés des équipements collectifs indispensables (notamment en matière de déplacements), alors que les 20% supérieurs (voire une proportion moindre) se disputent les cœurs de ville à grand renfort de spéculation immobilière produisant immanquablement la relégation des premiers.
De tout cela il va falloir parler, réfléchir puis s’engager à agir dans les mois qui viennent. À Strasbourg, dans l’ensemble de la Communauté Urbaine (pour que le terme de ʺcommunautéʺ retrouve son sens premier, en le réhabilitant plutôt que celui de ʺmétro-pôleʺ !) et au niveau du département, pour penser la cohérence et la cohésion globales. Pour contrer, justement, le mouvement inverse accéléré depuis des décennies, celui de la concentration et de la satellisation de ces particules ignorées que sont ces quartiers de relégation.
1°) Taux de pauvreté à 60% : proportion de personnes dont le revenu est inférieur à 60% du « revenu médian » (en France, le salaire médian net s'élève à environ 2 231 euros en 2024, selon les données de l'Insee, soit 1338€ mensuels bruts), ce dernier laissant 50% des effectifs étudiés au-dessus et 50% en-dessous. On peut également calculer un « taux de pauvreté à 50% » qui est encore plus faible, donc qui touche un peu moins de personnes.
2°) Taux d’emploi : différent du taux d’activité (les chômeurs sont considérés comme actifs … sans emploi). Le taux d’activité est toujours plus élevé que le taux d’emploi
3°) Taux de chômage au sens du recensement : calculé par l’INSE selon des critères particuliers, il est légèrement différent du taux de chômage au sens du BIT (Bureau international du travail) ou de « France-travail »