QPV Quartiers Ouest: Embellir ou/et Insérer?

Publié le par Marc Baader et Guy Desportes

Situé entre les communes de Bischheim et Schiltigheim, le Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville (QPV) « Quartiers Ouest » regroupe près de 5 839 habitants. Comme le montre le plan ci-dessous, ce territoire se divise en quatre secteurs aux réalités urbaines diverses : les Écrivains, les Généraux, la rue de Vendenheim et le lotissement ICF.

QPV Quartiers Ouest: Embellir ou/et Insérer?

Dans le nouveau Contrat de ville « Quartiers 2030 », adopté le jeudi 28 mars 2024 par l’ Eurométropole de Strasbourg (EMS), les objectif affichés sont ambitieux. Ainsi, dans la délibération qui met en œuvre le contrat pour la période 2024-2030, on peut lire le passage suivant.

« La Politique de la ville vise à réduire les inégalités socio-spatiales et urbaines au sein des villes, à restaurer l’égalité républicaine dans les quartiers populaires et à améliorer les conditions de vie de leurs habitant·es. C’est une politique transversale qui permet de mobiliser les acteurs publics dans la recherche de solutions adaptées aux besoins de chaque territoire ».

À l’heure où l’EMS déploie son nouveau contrat de ville 2024–2030, une question se pose : les méthodes et moyens engagés sont-ils à la hauteur des ambitions annoncées pour les Quartiers Ouest ? Pour y répondre, un retour en arrière s’impose.

Une comparaison édifiante

Les contrats de ville 2015–2020 et 2024–2030 serviront de points de référence pour évaluer la portée et l’ambition des engagements actuels. Nous procéderons à une analyse comparative entre deux documents clés : la convention d’application territoriale dédiée aux quartiers Ouest, annexée au contrat 2015–2020 et le nouveau cahier de quartier , adopté le 28 mars 2024.

Ces deux documents dressent un état des lieux à la fois exhaustif et objectif de la situation du "Quartier Ouest". Cependant, cet article ne vise pas à résumer ces documents de référence. Leur lecture constitue un préalable essentiel pour toute personne souhaitant se forger une opinion éclairée sur les enjeux sociaux et urbains qui y sont à l’œuvre.

Ainsi, dans le cahier de quartier 2024, le portrait statistique ci-dessous offre, sous forme d’indicateurs, une bonne représentation des enjeux auxquels le QPV Ouest est confronté en 2025.

QPV Quartiers Ouest: Embellir ou/et Insérer?

Des données sur les quartiers de la politique de la ville publiés par l’INSEE le 27 février 2025 sont également disponibles à l’adresse internet suivante

Hausse de la pauvreté et décrochage scolaire

Nous analyserons l’évolution de deux indicateurs clés reflétant les conditions de vie dans le QPV "Ouest" afin de mettre en évidence les principaux enjeux auxquels répond la politique de la ville.

Intéressons nous tout d’abord à l’évolution de la distribution des revenus mensuels disponibles des ménages par unité de consommation. L’analyse comparative des données présentées dans les deux tableaux ci-dessous et portant sur les années 2013 et 2019 se révèle particulièrement éclairante. Elle met en évidence une diminution significative de l’ensemble des indicateurs observés et révèleune forte augmentation de la pauvreté.

 

Distribution des revenus mensuels disponibles des ménages par unité de consommation 2013

Distribution des revenus mensuels disponibles des ménages par unité de consommation 2013

distribution des revenus mensuels disponibles des ménages par unité de consommation 2019

distribution des revenus mensuels disponibles des ménages par unité de consommation 2019

Enfin, observons au sein de ce QPV "Quartiers ouest" une proportion particulièrement élevée de jeunes âgés de 16 à 25 ans, non scolarisés et sans emploi : elle s’élève à 29,8 % en 2020, contre 12,2 % à l’échelle de l'EMS. Cette situation s’inscrit dans une dynamique défavorable puisque cette part était de 25,3 % en 2015, traduisant une détérioration notable au cours de la période considérée.

Détérioration progressive des conditions de vie des habitant

Ainsi, les données relatives à l’emploi, à la formation et aux revenus mettent en évidence une dynamique préoccupante. Une part croissante de la jeunesse du quartier connaît des difficultés d’insertion, tant sur le plan social que professionnel. Dans ce contexte, l’accompagnement des jeunes dans leur parcours éducatif et d’insertion sociale constitue comme un enjeu stratégique majeur pour la cohésion sociale et la lutte contre la ségrégation urbaine.

Dès lors, il convient d’examiner si les pouvoirs publics ont su tirer les enseignements de cette évolution défavorable, en particulier à travers les orientations définies dans le cahier de ville annexé au Contrat de ville de l’EMS 2024–2030. Il s’agit d’évaluer dans quelle mesure des objectifs clairs ont été fixés et si des moyens adaptés ont été mobilisés pour répondre à l’ampleur des défis identifiés.

Aggravation de la pauvreté

Afin de faire face à la paupérisation croissante des habitants du QPV, la promotion de parcours vers l’emploi constitue un levier stratégique majeur. À ce titre, la comparaison entre la Convention d’Application Territoriale QPV 2015 et le Plan d’action territorial du Cahier de Quartier QPV 2024 révèle une évolution significative, voire préoccupante, tant dans la formulation des objectifs que dans la mobilisation des moyens. Cette mise en perspective met en lumière une inflexion des ambitions et un affaiblissement de la structuration des politiques publiques en faveur de l’insertion professionnelle des habitants des quartiers prioritaires.

Dans la Convention d’Application Territoriale QPV 2015, la thématique de l’emploi faisait l’objet d’un traitement approfondi et méthodique à travers un chapitre entier intitulé « Emploi, insertion, activité économique ». L’objectif opérationnel « Favoriser le parcours vers l’emploi » y était décliné en une série d’actions clairement définies, assorties d’objectifs spécifiques et mesurables. Chaque action faisait l’objet d’une fiche détaillant les résultats attendus, le public cible, le calendrier de mise en œuvre, les indicateurs de suivi ainsi que les acteurs responsables (porteurs de projet). Cette structuration témoigne d’une volonté explicite de pilotage stratégique reposant sur une planification rigoureuse et une évaluation continue de l’efficacité des dispositifs.

Pas très chouette ... tout ça !

Pas très chouette ... tout ça !

À l’inverse, le Cahier de Quartier QPV 2024 propose une approche sensiblement plus sommaire et générale. La question de l’accès à l’emploi n’est traitée que de manière marginale, au sein d’un simple paragraphe dont la portée opérationnelle reste très limitée. Il y est notamment proposé de « rendre plus lisibles et accessibles les différents dispositifs d’aide à l’emploi », en formulant deux objectifs opérationnels : d’une part, coordonner les actions ponctuelles et la communication autour des dispositifs existants, et d’autre part, mettre en place un groupe de travail "emploi et insertion" à l’échelle des quatre QPV des deux communes concernées. Bien qu’orientées vers une meilleure visibilité et une coordination minimale, ces propositions ne s’inscrivent pas dans une logique d’action structurée ni dans une dynamique de transformation de la situation socio-économique des habitants.

Ce décalage manifeste entre les deux documents témoigne d’un recul des ambitions politiques en matière de retour à l’emploi dans les quartiers prioritaires. Alors que le document de 2015 s’inscrivait dans une logique active, fondée sur des objectifs mesurables et une mise en œuvre encadrée, celui de 2024 apparaît davantage comme un effort de coordination des ressources existantes, sans réelle stratégie de fond ni plan d’action articulé. Ce glissement constitue un désengagement progressif des pouvoirs publics, voire comme une forme de renoncement à mobiliser des leviers efficaces pour lutter contre le chômage structurel dans les territoires les plus fragiles.

Le décrochage scolaire

Concernant le décrochage scolaire, Dans le plan d’action territorial du Cahier de Quartier QPV 2024, la problématique du décrochage scolaire est abordée de manière relativement limitée et peu structurée, elle est abordée sous l’enjeu intitulé « La lutte contre les effets des inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ». L’action publique se concentre essentiellement sur le soutien aux dispositifs d’accompagnement à la scolarité déjà existants sur le territoire, tels que l’aide aux devoirs ou encore le Contrat Local d’Accompagnement à la Scolarité (CLAS). En complément, il est fait mention du renforcement des actions transversales portées par le tissu associatif local, notamment à travers la mobilisation de groupes de travail orientés vers l’insertion socio-professionnelle des jeunes. Cette approche, bien que reflétant une volonté d’implication des acteurs associatifs, demeure toutefois imprécise et repose largement sur des initiatives non-institutionnelles, sans cadre méthodologique clairement défini ni indicateurs de suivi tangibles.

Paon ... Théon ! (Cnossos)

Paon ... Théon ! (Cnossos)

À titre de comparaison, la Convention d’Application Territoriale QPV 2015 se distinguait par une approche beaucoup plus rigoureuse et articulée en matière de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire. Les objectifs fixés y étaient clairs, mesurables et directement corrélés aux dispositifs spécifiques mis en œuvre par l’Éducation nationale, en particulier dans le cadre des Réseaux d'Éducation Prioritaire (REP). Ainsi, le document de 2015 faisait état de données précises telles que le nombre d’élèves suivis par les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Élèves en Difficulté (RASED), inscrits en Activités Pédagogiques Complémentaires (APC), bénéficiaires du CLAS, repérés dans le dispositif de Lutte contre l’Absence et le Travail Illégal (LATI), ou encore le nombre d’élèves sans affectation en fin de classe de troisième. De plus, le taux d’absentéisme scolaire constituait un indicateur-clé de suivi, intégré au pilotage stratégique.

En définitive, la comparaison entre ces deux documents illustre une évolution notable dans la manière d’appréhender la question du décrochage scolaire dans les quartiers prioritaires : alors qu’en 2015 l’action publique reposait sur une articulation précise entre les services de l’État, les établissements scolaires et les collectivités territoriales, avec des objectifs quantifiables et une méthodologie rigoureuse, le document de 2024 témoigne d’une dilution des responsabilités et d’un recentrage des efforts sur le secteur associatif, au détriment d’une politique éducative coordonnée et fondée sur des données objectivables.

Un projet de renouvellement urbain ambitieux

Pourtant, face à la détérioration progressive des conditions de vie des habitants, la réponse des pouvoirs publics s’organise principalement autour d’interventions portant sur le bâti, l’aménagement urbain, les équipements et l’environnement. À cet égard, le quartier des Écrivains constitue un exemple particulièrement révélateur des orientations retenues en matière de rénovation urbaine.

Le quartier des Écrivains compte 1 440 logements, tous sociaux. Situé entre les communes de Bischheim et de Schiltigheim ; il est confronté à plusieurs difficultés, notamment sur les plans social, éducatif et familial. Le niveau de précarité y est également très élevé. Bien qu’intégré dans le tissu urbain, ce quartier demeure en grande partie marginalisée en raison d’un enclavement social marqué.

Une page nouvelle ... à écrire ?

Une page nouvelle ... à écrire ?

La forte densité de l’habitat et la vétusté du bâti ont conduit à la mise en œuvre d’un vaste Projet de Renouvellement Urbain (PRU) pour un montant financier programmé de plus de 38 millions d’euros, il a pour ambition de transformer en profondeur le cadre de vie de ses habitants avec :

 

  • un programme de construction (206), de réhabilitation (173) et de démolition (210) de logements
  • la création d’un pôle de éducatif, un pôle de santé et d’une maison de l’enfance
  • la construction d’un nouveau groupe scolaire et restructuration d’un groupe scolaire
QPV Quartiers Ouest: Embellir ou/et Insérer?
Une attente forte pour un cadre de vie agréable

Ce projet met résolument l’accent sur l’amélioration de la qualité de vie et l’accessibilité, en plaçant la requalification des espaces publics au cœur de ses priorités. Il prévoit notamment une redéfinition des voiries ainsi que la création d’un parc de plus d’un hectare, visant à relier les équipements publics d’est en ouest.

Les entretiens réalisés en porte-à-porte confirment que la question du cadre de vie constitue une préoccupation primordiale pour les habitants. Parmi les réclamations fréquemment exprimées figurent, par exemple, la propreté des espaces publics et la difficulté à se garer. Ces éléments traduisent une attente forte en faveur d’un environnement urbain plus agréable et conforme à des conditions de vie jugées dignes.

Néanmoins, si ces aménagements relèvent à juste titre de la politique de la ville, ils ne permettent pas, à eux seuls, de répondre aux enjeux fondamentaux que sont la lutte contre la pauvreté et l’inclusion sociale et professionnelle des populations concernées. De telles problématiques appellent une articulation plus étroite entre la politique de la ville au niveau locale et les politiques économiques et sociales nationales, notamment à travers une planification intégrée et des mécanismes renforcés de redistribution des richesses.

Ne jamais perdre l'espoir !

Ne jamais perdre l'espoir !

Une participation des habitants nécessaire

Dans cette perspective, la participation active des habitants apparaît comme une condition essentielle à la mise en œuvre cohérente et efficace de politiques publiques réellement émancipatrices. À cet égard, les élections municipales de 2026 représenteront une opportunité déterminante pour renforcer la représentation des quartiers populaire dans la prise de décision. Cela suppose la mise en place de campagnes d’inscription massive sur les listes électorales pour lutter contre l’abstentionnisme électorale ainsi que la constitution de listes électorales portées par les habitants eux-mêmes. L’émergence de candidatures issues des quartiers populaire soutenues par la France Insoumise, pourrait permettre de faire entendre les revendications locales et de défendre les droits des habitants au sein des conseils municipaux.

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