CHAUD DEVANT DANS L'EMS (1ére partie)
En Alsace, un phénomène particulièrement révélateur du réchauffement climatique est passé largement inaperçu. Un épisode de chaleur remarquable s’est en effet produit entre le 30 avril et le 3 mai 2025, affectant principalement les régions septentrionales de la France. Strasbourg a été l’une des villes les plus concernées par cet événement. Le 2 mai, une température maximale de 30 °C y a été enregistrée, franchissant pour la première fois de l’année le seuil des fortes chaleurs au niveau national. Cet épisode, exceptionnel pour cette période de l’année, illustre à la fois la précocité et l’intensification des vagues de chaleur.
En 2024, 42 % des ménages français ont déclaré avoir subi un excès de chaleur au sein de leur logement, d’après les données de l’Observatoire national de la précarité énergétique. En 2022, marquée par une canicule exceptionnelle, cette proportion avait atteint 59 %. Or, ce phénomène demeure un angle mort des politiques de rénovation thermique lesquelles restent majoritairement orientées vers la lutte contre le froid.
Ces épisodes de fortes chaleurs accentuent la vulnérabilité du territoire et affectent de manière disproportionnée les populations les plus fragiles. Ce phénomène est notamment amplifié dans les zones urbaines par la formation d’îlots de chaleur qui contribuent à une élévation significative des températures en milieu densément bâti.
Après avoir présenté les données produites par le Cerema relatives au phénomène des îlots de chaleur urbains sur l’agglomération strasbourgeoise, nous analyserons les impacts de ces phénomènes sur les populations, en particulier les plus vulnérables. Dans un second temps, nous nous interrogerons dans quelle mesure l’urbanisme durable et les solutions fondées sur la nature peuvent-ils permettre de résoudre la contradiction entre les bénéfices environnementaux de la densification urbaine et ses effets aggravants sur les îlots de chaleur et la qualité de vie en ville ? Puis, l’attention portera sur les dispositifs mis en œuvre par l’exécutif de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) pour y faire face. Cette analyse visera à évaluer dans quelle mesure ces actions sont à la hauteur des enjeux climatiques actuels, tant du point de vue des moyens financiers mobilisés que du cadre normatif qui les encadre.
Au printemps 2025, le département du Bas-Rhin, et en particulier la ville de Strasbourg, connaît des conditions climatiques nettement plus chaudes que les normales saisonnières. Cette anomalie thermique s’inscrit dans une tendance observée sur la moitié nord de la France, où l’excédent de température est particulièrement marqué. À Strasbourg, les températures maximales moyennes s’élèvent à 18,5 °C pour l’ensemble de la saison printanière, soit une anomalie positive de +2 °C par rapport aux normales climatologiques. Cette élévation des températures s’explique notamment par un ensoleillement exceptionnellement généreux durant cette période.
À l’horizon 2030, les projections de hausse des températures relatives à l’agglomération strasbourgeoise, établies à partir des données de Météo-France, sont synthétisées dans le tableau ci-dessous.
Le réchauffement climatique se traduit par des températures significativement plus élevées en milieu urbain, notamment par la formation d'îlots de chaleur urbains (ICU). Dans son guide méthodologique, le Cerema définit l’ICU comme «un phénomène qui consiste en un écart positif de quelques degrés de la température de l’air entre le centre des villes et les zones rurales ou naturelles périphériques. Son existence dépend de différents paramètres, comme la densité et la forme urbaine, l’artificialisation des sols, les propriétés d’absorption et de stockage des matériaux de constructions, les activités anthropiques productrices de chaleur (industrie, transport, équipements domestiques), la présence/absence d’espaces végétalisés ou en eau, ou encore le climat régional»
Le phénomène des ICU constitue un enjeu majeur à l’échelle nationale en France. Selon les données disponibles, plus de 5 millions de personnes résident dans des quartiers particulièrement vulnérables aux fortes chaleurs. Dans les grandes agglomérations de plus de 400 000 habitants, ces zones concernent près de 20 % du tissu urbain, touchant 2 millions de personnes soit 50 % de la population de ces villes.
Lors de la séance du conseil de l’EMS du 28 mars 2024, le bilan à mi-parcours du Plan Climat 2030 met en évidence une amplification attendue du phénomène des ICU tant sur le plan de leur fréquence que de leur intensité. Ainsi, à l’échelle de l’EMS, 90 % de la population de l’EMS est exposée à un ICU d’intensité supérieure à 3°C lors d’un été caniculaire, la commune de Schiltigheim voit 99 % de sa population concernée.
Les cartes mises en ligne sur la plateforme Cartagene en mai 2025 permettent d’établir un diagnostic précis des quartiers les plus exposés aux effets de la surchauffe urbaine, en lien avec divers facteurs tels que l’occupation du sol, la présence de végétation et de surfaces en eau, ainsi que la morphologie bâtie, notamment l’implantation et la hauteur des constructions. À titre d’illustration, la carte ci-dessous des différentes typologies de zones thermiques locales (Local Climate Zones LCZ) présente l’analyse appliquée à l’agglomération de Strasbourg.
La sensibilité des LCZ à l’effet d’îlot de chaleur urbain (ICU) est hiérarchisée comme suit :
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Très forte sensibilité : LCZ 1 et LCZ 2
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Forte sensibilité : LCZ 3
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Sensibilité moyenne : LCZ 4 et LCZ 5
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Faible sensibilité : LCZ 6 et LCZ 9
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Sensibilité variable : LCZ 7, LCZ 8, et LCZ E
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Sensibilité faible à nulle (zones non bâties) : LCZ A à LCZ G, à l’exception de la LCZ E.
De plus, l’analyse des cartes peut être approfondie par un croisement avec des données socio-démographiques, dans le but de produire un diagnostic de la vulnérabilité des quartiers face aux effets des îlots de chaleur urbains. Cela permet ainsi de renforcer la connaissance de ce phénomène, notamment par l’analyse fine de sa distribution spatiale. Une telle approche permet d’identifier les zones les plus sensibles et de prioriser les interventions. Elle constitue ainsi un levier pour la mise en œuvre ciblée de mesures d’aménagement urbain visant l’amélioration du confort thermique des populations en milieu urbain.
Ces considérations prennent tout leur sens dans le contexte du réchauffement climatique dont les impacts sur la santé humaine sont désormais largement documentés. En effet, les variations climatiques extrêmes, en particulier les épisodes de chaleur intense, influencent un large spectre de pathologies, qu’elles soient respiratoires, infectieuses, cardiovasculaires, cutanées, cancéreuses, nutritionnelles ou encore mentales.
Un exemple marquant de ces impacts sanitaires est la vague de chaleur survenue en France métropolitaine durant la première quinzaine d’août 2003, caractérisée par son intensité exceptionnelle, sa durée prolongée et son étendue géographique inédite. Cet événement a provoqué une surmortalité significative à l’échelle nationale. En région Alsace, l’excès de mortalité pour la période allant du 1er au 20 août 2003 a été estimé à un facteur de 1,34, selon les données de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), telles que présentées dans un rapport remis au ministre de la Santé et de la Protection sociale en octobre 2004.
Pour appréhender de manière globale l’influence des épisodes de chaleur sur les populations de l’EMS, il convient de s’attarder sur la notion de vulnérabilité. Celle-ci constitue un concept pluridimensionnel essentiel à la compréhension et à la gestion des aléas climatiques. En effet, une vulnérabilité réduite permet non seulement d’en atténuer les impacts, mais également de réduire le niveau de risque global auquel une population est exposée. Une connaissance fine de cette vulnérabilité est donc déterminante pour élaborer des stratégies visant à renforcer la résilience des populations et à faciliter leur adaptation aux aléas climatiques.
La vulnérabilité thermique d’une population se définit par l’interaction de trois composantes principales : l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation.
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L’exposition renvoie aux conditions locales susceptibles de majorer l’intensité et la persistance de la chaleur, notamment en milieu urbain (effet d’îlot de chaleur, densité du bâti, surface végétalisée, etc.).
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La sensibilité caractérise la propension des individus à subir des conséquences sanitaires défavorables lors d’un épisode de forte chaleur (âge, état de santé, maladies chroniques, etc.).
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La capacité d’adaptation désigne le potentiel des individus et des collectivités à modifier leurs comportements ou leurs infrastructures pour faire face au stress thermique (accès à la climatisation, dispositifs de fraicheur, plans de veille sociale, etc.).
Ces trois dimensions sont étroitement conditionnées par des facteurs sociaux, économiques et environnementaux qui influent tant sur la répartition spatiale de l’exposition que sur les ressources matérielles et immatérielles mobilisables par les populations pour se prémunir contre la chaleur extrême.
La Carte ci-dessous donne les valeurs brutes par IRIS de l’indice de vulnérabilité à la chaleur dans l’EMS. Les quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont délimités en bleu
Cependant, pour élaborer des stratégies efficaces visant à renforcer la résilience des populations et à faciliter leur adaptation aux aléas climatiques, il convient de cartographier à l’échelle de l’agglomération les risques thermiques, défini comme la combinaison entre un aléa en l’occurrence l’ICU et la vulnérabilité de la population exposée.
La carte présentée ci-après illustre le risque thermique nocturne en été, estimé à l’échelle des unités statistiques IRIS. Elle résulte de la combinaison entre les données de vulnérabilité sociale et sanitaire de la population et l’intensité spatiale de l’îlot de chaleur urbain. Cette représentation cartographique permet ainsi de localiser les zones à risque élevé, où les effets conjugués de l’exposition à la chaleur et de la vulnérabilité des habitants appellent des mesures prioritaires d’adaptation et de prévention.
Sur cette carte, les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) se distinguent comme des zones à risque élevé. Cette situation résulte de la vulnérabilité socio-économique importante de leurs habitants, conjuguée à une implantation géographique souvent marquée par une forte exposition aux îlots de chaleur urbains. L’association de ces deux facteurs c’est à dire précarité sociale et conditions environnementales défavorables, contribue à accentuer la fragilité de ces territoires face aux aléas climatiques.
Une étude de l'INSEE publiée le 13 novembre 2024 met en évidence que, face au phénomène des ICU les ménages modestes demeurent les plus exposés. Cette analyse souligne les spécificités de l’agglomération strasbourgeoise en matière d’inégalités sociales face aux risques climatiques, et en particulier face à l’exposition aux ICU. Trois enseignements principaux peuvent être tirés de cette étude.
Premièrement, les ménages à faibles revenus sont proportionnellement plus exposés aux ICU tandis que les ménages aisés le sont nettement moins. Cette inégalité s’explique en grande partie par la localisation résidentielle : les foyers les plus favorisés résident plus fréquemment dans des quartiers périphériques, moins denses, davantage végétalisés et composés d’habitations plus récentes.
Lecture : Les ménages du 1 dixième de niveau de vie vivant à Strasbourg ou dans sa périphérie sont en moyenne exposés à un indice d’îlot de chaleur de 2,4°C
Deuxièmement, la qualité et l’ancienneté du bâti jouent un rôle protecteur. À Strasbourg, les quartiers résidentiels des ménages les plus aisés comportent une plus grande proportion de logements récents (construits après 1981), mieux isolés et donc plus aptes à résister aux effets de la chaleur. En revanche, les ménages les plus modestes disposent de ressources moindres pour faire face aux épisodes de forte chaleur : ils ont, par exemple, moins fréquemment accès à la climatisation ou à une résidence secondaire, limitant ainsi leur capacité d’adaptation
Troisièmement, la végétalisation des quartiers est fortement corrélée au niveau de vie des habitants. Les ménages les plus aisés bénéficient d’un environnement résidentiel plus verdoyant, ce qui atténue sensiblement leur exposition à la chaleur urbaine. À l’inverse, les quartiers habités par les ménages moins favorisés présentent souvent un déficit de couverture végétale, accentuant leur vulnérabilité thermique.
Lecture : Les ménages du 1er décile de niveau de vie vivant à Strasbourg ou dans sa périphérie résident dans des quartiers dont l’indice de végétation est de 0,20 en moyenne
Ainsi, dans l’EMS, les ICU renforcent les inégalités sociales, exposant davantage les populations précaires à des risques sanitaires et environnementaux. Une politique urbaine égalitaire doit donc prioriser les quartiers défavorisés dans les stratégies d’adaptation climatique.
Après avoir exposé, dans le présent texte, les impacts des ICU sur les populations, notamment sur les groupes les plus vulnérables, nous examinerons dans une prochain article, dans quelle mesure l’urbanisme durable et les solutions fondées sur la nature peuvent contribuer à résoudre la tension entre, d’une part, les bénéfices environnementaux associés à la densification urbaine et d’autre part, les effets délétères que cette densification peut engendrer en termes d’aggravation des îlots de chaleur urbains et de dégradation de la qualité de vie en milieu urbain.
(1) Kastendeuch P., Massing N., Schott E., Philipps N., Lecomte K., 2023. Vulnérabilité et îlot de chaleur urbain : les facteurs du risque thermique nocturne à Strasbourg. Climatologie, 20, 9.
(2) En milieu urbain, les ménages modestes sont en général plus exposés aux îlots de chaleur. Insee Analyses • n° 99 • Novembre 2024