Le seul ami du Palestinien, c’est … son âne !

Publié le par J.C. VAL

« Dans quelques jours, il y aura un cessez-le-feu à Gaza », estiment David Khalfa (co-Directeur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la fondation Jean-Jaurès) et Isabelle Lasserre, journaliste française. C’est du moins ce qu’ils ont déclaré ce matin (08 juillet 2025) sur les ondes de Radio France (1)

Ils reprennent la déclaration de Donald Trump qui, hier lundi, lors d'un dîner à la Maison Blanche en présence de Benjamin Netanyahu, s'est dit convaincu que le Hamas était prêt à accepter un cessez-le-feu à Gaza : "Ils veulent une rencontre et ils veulent ce cessez-le-feu". "Je ne pense pas qu'il y ait un blocage. Je pense que les choses avancent très bien", a-t-il ajouté lorsqu'on lui a demandé ce qui empêchait un accord de paix. Les pourparlers indirects entre Israël et le Hamas se poursuivent au Qatar.

Après 21 mois d’une guerre qui a surtout causé des souffrances inhumaines et des degrés de privation sans précédent dans la population civile, aggravées par des dégâts matériels jamais vus depuis la seconde guerre mondiale, comment justifier un tel optimisme alors que ces dernières semaines « les opérations militaires se sont intensifiées [et que] des centaines de personnes ont été tuées, certaines pendant les rares distributions alimentaires, et [que] des milliers de familles ont été [une nouvelle fois] déplacées » ? En 21 mois, côté palestinien, près de 60 000 morts (dont 15 613 enfants) ont été officiellement dénombrés par l’UNICEF (sans compter les cadavres enfouis sous les décombres, parfois à grandes lames de bulldozer : 11 200 selon l’UNICEF) et plus de cent trente mille blessés graves (dont 34 173 enfants). Tous ces chiffres sont extraits du rapport de l’UNICEF du 4 juillet : « Gaza un cimetière à ciel ouvert » (2)

D'une à ... des Nakba
Pour un monde sans frontières ...

Pour un monde sans frontières ...

Plus de 80% des constructions sont littéralement rasées, 95% des écoles ont été endommagées et il n’y a pratiquement plus d’hôpital qui ait été épargné par les bombardements et autres canonnades de l’armée israélienne.

Quant aux terres, qui permettaient de produire une partie des denrées nécessaires aux plus de 2 millions de gazaouis elles sont inexploitables, et pour longtemps. Chacun sait par ailleurs comment l’approvisionnement en aide alimentaire internationale est bloqué par les autorités israéliennes, ou pillée par des groupes mafieux entretenus par la puissance occupante (« qui s’institue sous le terme volontairement neutre de ʺcoordinationʺ, dirigée par un général, membre de l’état-major » : Cf ci-dessous l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu), prête à les armer pour neutraliser le Hamas et simultanément répandre la terreur parmi la population civile, jouant ainsi sur le réflexe provoqué de l’exode accepté … à défaut d’être souhaité. Toutes ces catastrophes provoquées, depuis la ʺNakbaʺ de 1948, sont autant de maillons d’une chaîne politique marquée par « Le nettoyage ethnique de la Palestine », opéré par la puissance étatique occupante qu’est l’État d’Israël (Cf l’ouvrage du même titre de l’historien israélien, Ilan Papé, La Fabrique éditions, avril 2024).

Peut-on raisonnablement garder espoir ?

Malgré toutes ces conséquences accablantes, David Khalfa et Isabelle Lasserre arguent que ce serait la nouvelle configuration géopolitique qui permettrait d’être plus optimiste que lors des deux tentatives précédentes. Des tentatives qui avaient hélas vite échoué, dont les 42 jours de trêve en janvier 2025 … dont on connaît l’issue dramatique depuis mars. Cette ʺouvertureʺ serait néanmoins rendue possible par l’instauration d’un nouveau rapport de force renforçant l’Etat d’Israël, tant au niveau local (en contrepoint … et contrepied de la faillite révélée par l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023) que ʺrégionalʺ, notamment suite aux bombardements des sites nucléaires iraniens.

Mais les négociateurs qataris sont eux moins enthousiastes, plus mesurés ; ils s’entretiennent séparément avec les deux délégations présentes à Doha. Exprimant leur prudence, le porte-parole du Ministère des affaires étrangères du Qatar, Majed al-Ansari a indiqué aujourd’hui : « Je ne pense pas pouvoir donner de calendrier à ce stade, mais je peux dire qu'on a besoin de temps pour ça » (3)

Lire ... pour espérer
Colonnes ... pas colonies !

Colonnes ... pas colonies !

Outre deux petits ouvrages (à coût modeste) de l’historien, poète et essayiste palestinien Elias Sanbar (« La Palestine expliquée à tout le monde », Le Seuil, édition de poche, octobre 2013 ; « La dernière guerre ? », tract Gallimard N° 56, avril 2024), un livre ʺnon spécialisteʺ de Jean-Pierre Filiu vient tout récemment nous faire prendre de l’intérieur la mesure de la douleur endurée par le peuple palestinien. Ce peuple toujours sans état … et bientôt sans terre … si la ʺcommunauté internationaleʺ n’impose pas immédiatement avec force, fermeté et constance à la ʺcoordinationʺ de commencer par coordonner en son sein les règles du droit international, pour appliquer les décisions maintes fois répétées de l’ONU.

Pour que la diplomatie prenne le pas sur le feu destructeur des armes et que la Palestine cesse d’être un terrain d’expérimentation des tactiques et du matériel militaires.

Pour que les Palestiniens, « certes musulmans sunnites ou druzes, chrétiens de diverses communautés, juifs, mais tous se vivent comme les ʺgens de la terre sainteʺ, c’est-à-dire les enfants d’une terre réceptacle des trois monothéismes, les dépositaires des trois messages réunis » (Elias Sanbar, op. cit. p.21), pour quce ceux-ci puissent vivre à nouveau cette polychromie d’origine, à l’opposé de la monochromie portée par « les fondamentalistes et le sionisme [qui] sont des mouvements radicalement différents [mais qui] partagent la même approche d’une Palestine monochrome » (ibid p. 22).

polyphonie

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Un historien à Gaza

Quoique historien universitaire et diplomate, Jean-Pierre Filiu nous livre dans son dernier ouvrage consacré à cette bande de Gaza qu’il connait si bien, une ʺvue de l’intérieurʺ faite d’impressions et de souvenirs que peu de témoins ont pu récemment rapporter (Un historien à Gaza, Jean-Pierre Filiu, Ed. Les Arênes, 204 pages, juin 2025, 19€).

Certes, il consolide ce témoignage intime au moyen de toutes ses connaissances accumulées, d’une part sur l’histoire de ce Moyen-Orient et de ses populations qu’il a maintes fois fréquentées (Gaza et Palestine mais aussi Israël), d’autre part sur les différents théâtres de guerre qu’il a arpentés (dont les Balkans ou la Syrie).

Noël dans "La Zone"
Pas, lesté !

Pas, lesté !

Présent à Gaza (ou du moins dans sa « zone humanitaire » (voir « La zone » p. 29)… qui ne représente déjà plus que 1/5ème de la petite enclave) sous la bannière de « Médecin sans frontières » (à qui sont versés les droits d’auteurs de cet ouvrage, spécifiquement pour son action à Gaza) du 19 décembre 2024 au 21 janvier 2025, soit 60 ans après que le Fatah y eut lancé le premier « mouvement de libération de la Palestine » (2 janvier 1965), c’ est un témoignage de ce que vit la population qu’il nous délivre ici et non une analyse académique d’historien.

Sous les exigences implacables de l’occupant qui y impose des règles draconiennes, maquillées sous le vocable neutre de « La coordination » (p. 15), Jean-Pierre Filiu a passé un terrible « Noël » (page 47), dans ce qui fut autrefois un petit village, Mawasi, où sont dorénavant parquées (et acculées) plus d’un million de personnes. Mawasi est en plein cœur de cette « Zone » (voir en jaquette de la 2ème page de couverture cette carte de la bande de Gaza avec toutes ses appellations, carte qui nous permet de localiser les lieux des drames entendus sur les ondes et de se repérer quelque peu sur ces 2 routes de ʺl’exil interneʺ que doivent emprunter les gazaouis, deux fois, trois fois … dix fois en une année, et sur un territoire dont la superficie totale est rétrécie en permanence au bon vouloir de cette « coordination » autoritaire et cruelle, voire génocidaire), une zone dite humanitaire et en principe ʺsûreʺ … dont la densité de population est l’une des plus forte au monde (30 000 personnes au Km2)  alors que jusqu’en octobre 2023 elle n’était ʺqueʺ de 1 200 ! Une enclave dans l’enclave, que cette langue de terre aride et inhospitalière (Cf. p. 192)

Une nuit de Noël qu’il décrit avec émotion, sous son cortège d’enfants morts de froid et de faim, après nous avoir confié « Le choc » (p. 25) de ses retrouvailles avec un lieu qui lui était pourtant si familier, depuis des décennies : « Rien ne me préparait à ce que j’ai vu et vécu à Gaza. Rien de rien. De rien » (page 9) … Gaza où il est rentré … de nuit et à pied ... sous bonne garde blindée, quelques dizaines de mètres durant.

Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous

Depuis son retour en France les conditions de survie des 2 millions (et plus) de gazaouis se sont encore aggravées (si cela est possible). Israël et son armée ayant rompu le cessez-le-feu le 18 mars 2025 puis imposé un blocus total de l'aide humanitaire (à partir du 2 mars 2025), la population Gazaouie est précipitée dans la privation totale : plus aucun accès à la nourriture, à l'eau, aux soins médicaux et aux abris. Les chapitres « Les hôpitaux » (p . 55) et « L‘eau » (p.  69) rappellent ce que nous entendons sur les (quelques) ondes ou lisons sur les médias papier les plus critiques, ce que vivent hommes femmes et enfants qui, malgré toutes ces souffrances et privations, conservent leur dignité et leur humanité pour que « celui qui sera resté jusqu’au bout [puisse] raconter cette histoire. Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous » (p. 68). Ce qui nous rappelle cruellement une autre période … à acteurs (partiellement) inversés ?

Mais l’intérêt de ce livre est aussi de nous décrire avec précision la stratégie de long terme menée par l’Etat d’Israël : jouer en permanence sur la division (voire l’alimenter) des mouvements politiques palestiniens, en particulier entre le mouvement proprement ʺnationalisteʺ (le Mouvement de Libération de la Palestine ou Fatah, puis l’OLP) qui a lancé, depuis la Syrie, sa première offensive vers le nord du territoire israélien … le 2 janvier 1965 (date anniversaire mentionnée plus haut, donc jour férié à Gaza) et les Frères musulmans du Cheikh Ahmed Yassine, qui vont se transformer en « Mouvement de la résistance islamique », désigné sous son acronyme arabe de Hamas, et qui se dotera ensuite d’une branche armée, les « brigades Qassam ». Celles-là même qui sont passées à l’offensive sanglante le 7 octobre 2023 (voir notamment les chapitres « Un anniversaire » –  p. 83, « Les témoins » – p. 99 et « Les vautours » – p. 115)

Le seul ami du Palestinien, c’est … son âne !

Alors ? Espoir ?

« Le peuple de Gaza se sait abandonné du monde. Il a d’abord cru que les images du carnage bouleverseraient l’opinion internationale et la contraindraient à agir pour y mettre fin. Réaliser qu’il n’en serait rien fut une douloureuse prise de conscience, qui ajouta ses plaies à celle des corps blessés. On maudit la passivité des régimes arabes, voire leur complicité. On n’attend pas grand-chose des pays européens, dont pas un représentant n’a exigé d’être admis à Gaza. Quant aux Nations-Unies, on apprécie leur aide et leur présence, sans bien distinguer les missions respectives des différentes agences. » (p. 167). Désabusés, les gazaouis constatent que « Le seul ami du Palestinien c’est son âne. » (p. 199, en guise d’épilogue, chapitre « Samson »).

Pourtant, le patriarche latin Mgr Pizzaballa, autorité suprême de l’Église catholique en terre sainte, ayant obtenu l’accord, après maintes difficultés et promesses non tenues, de passer une nuit à Gaza (le 22 décembre 2024) auprès de ses fidèles chrétiens conclut :

« Tôt ou tard la guerre se terminera, nous reconstruirons tout, nos écoles, nos hôpitaux et nos maisons. »

Qu’elle se termine vite cette guerre, très vite : le carnage a assez duré !

Mais attention à ne pas tomber dans l’autre piège ! Celui du ʺGrand Israël » dont rêvent les conquérants, par l’annexion immédiate, pure et simple, des colonies dans les territoires occupés en Cisjordanie. Ces colonies israéliennes représentent 61% du territoire dévolu aux palestiniens par le plan de partage élaboré en 1947 par l’ONU : autant dire qu’un tel dépeçage rendrait impossible l’existence d’un véritable état palestinien. La ʺquestion palestinienneʺ ne serait donc pas réglée et toute place serait laissée à la violence souterraine, jusqu’à ce que …

On le voit, se pose à nouveau la question des ʺdeux étatsʺ, solution à laquelle n’adhère plus l’autre figure des ʺnouveaux historiensʺ, Shlomo Sand, qui l’exprime ainsi dans son dernier ouvrage (« Deux Peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme ». Ed du Seuil, coll ʺLa couleur des idéesʺ, janvier 2024) :

 

« Avec l’arrivée aux affaires de l’extrême droite en Israël, les massacres perpétrés par le Hamas et les bombardements de la bande de Gaza, la question d’un État binational est devenue une urgence pour toute la région. Lui tourner le dos n’y changera rien.

Le binationalisme ne relève pas seulement du vœu pieux, mais aussi de la réalité présente : 7,5 millions d’Israéliens-juifs dominent, par une politique d’expulsion, de déplacement, de répression et d’enfermement, un peuple palestinien-arabe de 7,5 millions de personnes, dont une grande partie est privée de droits civiques et des libertés politiques élémentaires. Il est évident qu’une telle situation ne pourra pas durer éternellement. » (4ème de couverture)

Le seul ami du Palestinien, c’est … son âne !

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